CD : le Quatuor Arod régénère ''La Jeune Fille et la Mort'' de Schubert
- Franz Schubert : Quatuor à cordes N°14 en Ré mineur ''La Jeune Fille et la Mort''. Quartettsatz en Ut mineur D 703. Quatuor N°4 en Ut majeur D 46
- Quatuor Arod
- 1 CD Erato : 0190295172473 (Distribution : Warner Classics)
- Durée du CD : 71 min 08 s
- Note technique : (5/5)
Voici une nouvelle version du célèbre Quatuor ''La Jeune Fille et la Mort'' de Schubert due à un jeune quatuor français, le Quatuor Arod. Dont la qualité technique d'exécution est au service d'une vision pour le moins décapante. L’œuvre est couplée avec deux autres dont le peu joué quatuor de jeunesse D 46. Une proposition alléchante même si pas toujours de tout repos.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Inspiré du Lied éponyme D 531, le 14ème Quatuor ''La Jeune Fille et la Mort'' D 810 de Schubert se vit telle une vaste fresque captant le tragique de son substrat littéraire, une ballade funèbre qui enserre les terreurs de la jeune fille. Les Arod s'inscrivent dans la tragédie dès les premières mesures de l'Allegro initial, formidable unisson des quatre voix, dans une attaque coup de poing. S'enchaîne un discours fébrile, plus que soutenu, rapide et énergique, qui visualise ces terreurs. L'entier mouvement sera une course infernale à l'issue inexorable, où fortissimos et sforzandos sont exacerbés, le développement souvent boulé. La coda renchérit dans le tragique et la rapidité. Puis finalement tout s'apaise jusqu'au dernier pianissimo, impalpable. On tient là ce qui fait la patte du quatuor français : une amplitude extrême dans la dynamique allant de pair avec de très larges écarts de tempos. Ce qui se confirme au 2ème mouvement, Thème et variations. Le thème Andante con moto, tiré du choral de la mort dans le Lied, est joué très chantant avec d'infinis pianissimos, ''une mort qui peut sembler simple et douce », relèvent les musiciens. Chacune des cinq variations est tour à tour haletante (1), toute d'agitation intérieure (2), véhémente dans ses accords assénés, tirant sur le grotesque (3), d'un calme apparent, notamment dans le jeu du violon I d'une étonnante apesanteur dans ses ornementations, créant un saisissant contraste avec la manière preste du début (4), enfin d'une intense progression dynamique à la dernière, là où le propos s'assombrit en un irrépressible crescendo, avant une péroraison pppp presque évanescente. On mesure combien les Arod manient avec dextérité une combinaison portée à l'extrême d’arêtes vives et d'angles très arrondis.
Les mêmes caractéristiques s'appliquent au Scherzo Allegro molto, macabre danse rapide à la rythmique hachée. Le trio est en revanche lumineux et mélodieux, conçu comme un antidote à la démarche précédente. Dans ces circonstances, il est évident que le finale Presto se doit de renchérir en rapidité. Son rythme de tarentelle, poussé à son paroxysme, boulé quasiment, en devient une danse échevelée. L'inéluctabilité de la mort préside à des tempos plus qu'impétueux, rageurs, tels des cris désespérés, notamment au violon I, les quelques pages optimistes balayées d'un revers de main. Le développement offre une vision de cauchemar tant les traits se télescopent sans ménagement. La coda prestissimo est prise à train d'enfer, les quatre voix s'arrachant. On ne sort pas indemne de pareille exécution.
Tout autant que de celle du Quartettsatz en ut mineur D 703, naguère morceau favori des Amadeus. La nervosité avalant le premier thème confine à la précipitation, que le second thème murmuré ne parvient à dompter que partiellement. Le tragique sourd, ici encore, de vagues rageuses, d'enroulements, de course folle. Avec le Quatuor D 46, en Ut majeur, le quatrième écrit par Schubert en 1813, on pense rencontrer moindre énergie. Pas tant que cela, car la référence pour Schubert est alors le Quatuor K 465 ''Les dissonances''. Les Arod nous font redécouvrir cette œuvre de jeunesse, prometteuse, développée en quatre mouvements. Une introduction Adagio mystérieuse, presque angoissée, suivie d'un Allegro agité oscillant entre tragique et insouciance, bardé de grandes explosions, que les Arod ne mégotent pas. Puis un Andante con moto plus calme mais cachant quelque sérieux, un Menuetto bondissant dans la manière d'une danse populaire, et un finale joyeux, sans nuage comme Schubert l'enfantera dans bien de ses compositions ultérieures.
Que conclure ? Sinon que ces versions se situent à part des interprétations de référence. Mais démontrent une indéniable perfection technique chez une formation ayant déjà à son crédit de prestigieuses récompenses (Ier Prix du Concours de Musique de chambre de Copenhague, Ier Prix à l'ARD de Munich en 2013) et qui ayant choisi de s'appeler ''Arod'', du nom du cheval du roman ''Le Seigneur des anneaux'', place au cœur de sa démarche fougue, énergie et esprit de liberté. Les quatre musiciens en ont à revendre et n'hésitent pas à prendre des risques en termes d'urgence, une préoccupation bien dans l'air du temps.
La prise de son dans l'acoustique aérée dans la Salle de musique du Théâtre populaire romand de la Chaux-de-fonds, en Suisse, offre une image large mais bien intégrée dans une disposition naturelle des quatre voix, apte à restituer les partis interprétatifs audacieux du quatuor, singulièrement quant à la tension instrumentale des deux violons.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Texte de Jean-Pierre Robert
CD et MP3 disponibles sur Amazon