CD : Riccardo Muti dirige la 13ème symphonie de Chostakovitch
- Dimitri Chostakovitch : Symphonie N°13 ''Babi Yar'' op.113
- Alexey Tikhomirov, basse
- Chœur d'hommes du Chicago Symphony Chorus, Duain Wolfe, chef de chœur
- Chicago Symphony Orchestra, dir. Riccardo Muti
- 1 CD CSO-Resound : CSOR 901 1901 (Distribution : PIAS)
- Durée du CD : 68 min 27 s
- Note technique : (5/5)
Les nouvelles interprétations au disque de Riccardo Muti se font rares. Le chef privilégie les enregistrements live avec l'orchestre dont il est Musical Director, le luxueux Chicago Symphony Orchestra. Les voici dans un répertoire où on ne les attendait peut-être pas, Chostakovitch et sa fascinante Treizième Symphonie, une œuvre qui tient à la fois du monumental et du compassionnel.
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La Symphonie N°13 op.113 en si bémol mineur de Chostakovitch est sous-titrée « Babi Yar », du nom de ce village ukrainien qui vit, en septembre 1941, l'extermination de ses habitants juifs. Elle a été composée en 1962 à partir du poème ''Babi Yar'' publié l'année précédente par Evgueni Evtouchenko auquel Chostakovitch avait demandé l'autorisation de le mettre en musique. Ce qui en deviendra le premier mouvement. Les quatre suivants sont également écrits sur d'autres poèmes d'Evtouchenko. La création moscovite sera chaotique : elle sera assurée par Kyrill Kondrashin, suite à la défection d'Evgeny Mavrinsky et au lendemain d'une violente diatribe de Khrouchtchev contre le poète et le musicien, enfin d'une autre défection de la basse soliste juste avant la générale. La première devait pourtant être un succès public. À l'issue du second concert, les autorités demandèrent à Evtouchenko de modifier le texte du poème ''Babi Yar'' pour en amoindrir la portée dénonciatrice, mais Chostakovitch ne changera rien à sa partition. Les exécutions de la symphonie en Russie seront rares, dont une en 1965. Suite à l'édition de la partition en 1970, Riccardo Muti en donnera la première exécution à l'Ouest, la même année à Rome, avec l'Orchestre de la RAI et la basse Ruggiero Raimondi.
Monument dressé contre l'antisémitisme, c'est l'opus symphonique le plus désespéré de son auteur. Ses cinq mouvements sont de facture peu conventionnelle, les trois derniers joués enchaînés. Bâtis à partir des poèmes d'Evtouchenko, ils sont confiés au chœur d'hommes et à la basse solo. La simplicité du langage frappe dans le premier mouvement, terriblement sombre, évoquant la tragédie de Babi Yar, mise en regard de celles de l'affaire Dreyfus ou d'Anne Frank. L'instrumentarium si particulier au compositeur, dont le contrebasson, les autres bois utilisés dans leur registre grave et diverses percussions, contribue à créer un climat funéraire, le mouvement associant aussi des éclats cataclysmiques. Un Allegretto en forme de scherzo fait suite, titré « l'Humour ». Le ton est grotesque pour montrer combien celui-ci possède un caractère indomptable malgré toute répression. Ainsi de cette phrase : « ils ont jeté l'humour aux oubliettes, mais le diable n'aurait pu l'y garder ». Les échanges sarcastiques entre soliste et chœur, presque théâtralisés, font penser à certaines pages de l'opéra Lady Macbeth de Msensk. Le ton change constamment pour démontrer que l'homme ne peut être réduit au silence.
Durant le concert de la 13ème Symphonie de Chostakovitch, Orchestra Hall de Chicago, 21/09/2018 ©Todd Rosenberg
Le troisième mouvement « Au magasin », Adagio, évoque la vie des femmes russes, piliers de la vie familiale mais aussi économique, au fil de la mélodie simplement évocatrice du violoncelle solo sur une pédale des cordes graves, et de la voix de basse s'exprimant jusqu'au murmure. Le suivant, « Les terreurs », qu'il faut prendre aussi bien au premier degré que, plus largement, par référence à celles de manque de courage ou du mensonge, est l'occasion de combinaisons sonores étonnantes des vents, dont le tuba, et des percussions, comme d'un traitement particulier du chœur chantant sur une seule note, ou encore du dialogue du soliste et de la clarinette basse. On y trouve, comme à maints autres endroits, un mélange de gravité abyssale et de ton populaire. Le finale, « La carrière », celle de l'artiste réprimé pour ses convictions mais demeurant fidèle à ses idéaux, est introduit par la bouleversante mélopée d'un thème joué à la flûte, relayée par les cordes ppp. Un moment presque gai en pareille occurrence et à l'aune du ton ironique de la basse et du chœur. Puis s'établit un climat de pastorale, mais qui retourne peu à peu à l'atmosphère sombre du début de la symphonie, avant de s'achever en une sorte d'anéantissement pianissimo.
Cette œuvre hors norme qu'il fréquente depuis ses jeunes années de chef et considère donc comme essentielle, Riccardo Muti la façonne dans une sorte de sérénité. Comme il en est de ses récentes interprétations d’œuvres chorales (Messa da Requiem de Verdi, Neuvième Symphonie de Beethoven). Il porte la constante tension de son effroyable message, notamment dans l'élargissement souvent considérable du spectre sonore, mais aussi et surtout par l'instauration de climats quasi chambristes, où l'on peut parler de presque douceur. Une manière qui refuse la rugosité, sans l'éluder, à la faveur d'une narration plus distanciée. Il dispose avec le Chicago Symphony Orchestra de la plus luxueuse des phalanges qui déploie un poli instrumental inouï dans tous ses départements. Et pourtant rien de cliquant dans les déferlements sonores. Le beau timbre de basse d'Alexey Tikhomirov exprime la nostalgie insondable de ces pages mémorables qui trouvent pareille résonance dans la magistrale contribution du chœur d'hommes du Chicago Symphony Chorus.
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L'enregistrement, en concert à l'Orchestra Hall, Symphony Center de Chicago (2018), offre une image proportionnée, d'une belle profondeur dans le grave et les percussions. Le relief n'est jamais mis en défaut dans les climax les plus extrêmes. Le soliste placé au fond de l'orchestre devant le chœur, est magistralement intégré dans le flot musical.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Dmitri Chostakovitch, Alexey Tikhomirov, Duain Wolfe, Chicago Symphony Orchestra, Chicago Symphony Chorus, Riccardo Muti