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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : les premier et dernier opus symphoniques de Rachmaninov

Rachmaninoff Yannick Nezet Seguin 

  • Serge Rachmaninov : Symphonie N°1 op.13. Danses Symphoniques op.45
  • The Philadelphia Orchestra, dir. Yannick Nézet-Séguin
  • 1 CD Deutsche Grammophon : 483 9839 (Distribution : Universal Music)
  • Durée du CD :  80 min 52 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5) 

Après les Concertos pour piano avec Daniil Trifonov, Yannick Nézet-Séguin poursuit l'exploration de l'univers symphonique de Rachmaninov en abordant les symphonies. Le premier volet de ce qui devrait être une intégrale présente la Symphonie N°1 et les Danses Symphoniques op.45, sa dernière œuvre confiée à l'orchestre. Qui mieux que le Philadelphia Orchestra, associé de longue date à l'interprétation de cette musique, pour en défendre les couleurs. Son chef actuel réussit à la renouveler, comme le fit avec bonheur un de ses éminents prédécesseurs, Eugène Ormandy.

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La Symphonie N°1 op.13 connut un fiasco retentissant lors de sa première exécution à Saint-Pétersbourg en 1897. Serge Glazounov qui la dirigeait était ivre et le concert ne donna pas de l’œuvre sa vraie mesure. Ulcéré, Rachmaninov détruisit la partition. Mais le matériel d'orchestre, conservé par ailleurs, devait permettre une reconstitution. La symphonie connut une nouvelle création en 1945, et une première exécution aux USA en 1948 par Ormandy à Philadelphie. Écrite par un jeune musicien de 22 ans avide de démontrer son talent, avec l'épigraphe ''C'est à moi qu'appartient la vengeance'', elle offre une orchestration riche, voire chargée, au point que le compositeur et critique César Cui parlait d'« harmonisation perverse ». Le climat en est passionné et tragique. Ce qu'un thème cyclique parcourant les quatre mouvements vient rappeler. Il est exposé au premier, ''Grave'', à la petite harmonie puis repris par les cordes. Le langage de cet Allegro oscille entre course énergique et plages de répit, mais la péroraison ne donne que peu d'espoir. L'Animato est un scherzo tout aussi ancré dans la tragédie, même si le discours est apparemment plus fluide. Un passage contrastant, sorte de trio, tente de se frayer un chemin avec un beau solo d'alto. Suit un Larghetto élégiaque dans une manière claire-obscure rompant un moment avec le climat épique, introduit par une phrase lyrique de la clarinette sur un accompagnement des cordes graves. Mais les coups du destin reprennent vite leurs droits. L'Allegro con fuoco final, en forme de marche très rythmée et fort cuivrée, montre l'éclat qu'on associera ensuite à la musique de Rachmaninov. Le tragique s'impose jusqu'à une conclusion grandiose en un lancinant cheminement.

Composées en 1940 aux États-Unis, les Danses Symphoniques op.45 ont été créées l'année suivante par Ormandy et le Philadelphia Orchestra. Leurs trois mouvements figurent les trois âges de la vie, adolescence, âge mur, vieillesse. L'orchestration paraît plus claire, comparée à celle de la Symphonie op.13, quoique toujours aussi riche. Le Non Allegro initial, sur un rythme de pseudo marche, n'est pas sans rappeler le tragique de la symphonie, mais avec quelque chose de fier dans l'articulation, ce qui peut faire penser à la jeunesse conquérante. La clarté dans le traitement de l'orchestre, on la remarque quant au travail sur les bois et singulièrement lors d'un passage concertato à la petite harmonie, à laquelle se joint le saxophone. Le Tempo di valse Andante con moto, subtil hommage à Tchaïkovski, a des allures fantomatiques, dont un solo de violon. Le langage se diversifie dans une manière allante, voire preste. Le temps de la réflexion, de l'expérience aussi. Le finale, qui ne comporte pas moins de six indications de tempo, est un festival sonore : accords forte sous tendus de cloches, course haletante dans une section Vivace, puis plage plus mystérieuse des cordes pianissimo, moment de réminiscence au lyrisme un peu appuyé. Le retour aux fanfares du début prélude à une belle agitation dont émerge le thème du Dies irae jusqu'à ce que l’œuvre se termine sur une note d'espoir. Après tant de pages d'un noir abyssal. En tout cas, le testament symphonique de Rachmaninov offre sans doute la synthèse de sa manière si complexe de traiter l'orchestre.

Aux côtés des interprétations de chefs russes comme Evgeny Svetlanov, celles de Yannick Nézet-Séguin ne pâlissent pas. Sans doute plus proches de la patte de son lointain prédécesseur Ormandy. Le lien est fait puisqu'il s'agit dans les deux cas du même orchestre, The Philadelphia Orchestra. Ceux qu'on appelle familièrement ''Those fabulous philadelphians'' déploient un raffinement instrumental inouï dont ces pièces tirent bénéfice, tant aux cordes qu'en ce qui concerne les bois. La patine légendaire de cette phalange américaine, dont le son est tout sauf brillant, confère un indéniable lustre à cette version. Le chef canadien ne se perd pas dans les méandres de la pensée souvent torturée du compositeur et n'éprouve pas de complexe quant à la manière de l'exprimer. L'exécution est d'une grande probité musicale qui ne verse ni dans la recherche d'un post-romantisme exacerbé, ni dans une volonté naïve d'occidentaliser une musique fondamentalement russe.

Les enregistrements en concert, au Kimmel Center de Philadelphie, Verizon Hall, se distinguent par leur parfait naturel. Le souci des proportions dans la restitution des masses instrumentales souvent riches transparaît dans l'étagement des plans, cordes, bois et cuivres. Le nuancier dynamique respecte aussi bien les formidables climax que les pianissimos évanescents.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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