CD : Welser-Möst et le Cleveland Orchestra illuminent la ''Grande'' de Schubert
- Franz Schubert : Symphonie N°9 en Ut majeur ''La Grande'' D.944
- Ernst Křenek : Statisch und Ekstatisch op.214
- The Cleveland Orchestra, dir. Franz Welser-Möst
- 1 CD Cleveland Orchestra label : TCO0002 (Distribution : LSOLive/PIAS)
- Durée du CD : 77 min 05 s
- Note technique : (5/5)
Pour leur seconde publication sous le nouveau label maison, l'Orchestre de Cleveland et son chef Franz Welser-Möst proposent un couplage inattendu puisqu'il associe Schubert et Křenek. Témoin de la politique audacieuse de programmation menée par le Music Director autrichien, visant à confronter répertoires classique et moderne. Et voilà bien des interprétations à marquer d'une pierre blanche, et pour ce qui est de la symphonie de Schubert, se mesurant sans pâlir aux grandes lectures du catalogue.
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« Une paire improbable mais évidente », affirme le chef. Les deux œuvres n'étaient à l'origine pas destinées à être rapprochées l'une de l'autre. Les circonstances en ont décidé autrement. Car ce sont là deux parties de concerts donnés juste avant (Křenek) et peu après (Schubert) le lockdown dû à la pandémie en mars 2020. Ne permettent-elles pas de mettre en lumière « les diverses forces artistiques » du formidable Orchestre de Cleveland qui eut, naguère et entre autres, George Szell ou Pierre Boulez pour Music Director.
Le grand morceau phare du répertoire classique viennois qu'est la Symphonie en Ut de Schubert reçoit une exécution d'une absolue rigueur musicale. « Traduire le mystère de l'intériorité par un langage symphonique », tel est selon Brigitte Massin le dessein de Schubert dans cette œuvre, qu'elle voit aussi comme l'aboutissement de la précédente symphonie, l'Inachevée, dont on sait maintenant qu'elle n'était pas la dernière pensée de Schubert confiée à l'orchestre symphonique. Dès les premières mesures avec l'appel des cors, le ton est donné d'une lecture qui se veut sereine, face à l'impression de grandeur qu'implique cette vaste fresque sonore comme de vitalité permanente d'où surgissent autant de vagues et leur dynamique majestueuse. Juste remarque-t-on une légère accélération pour animer le discours au fil des divers retours du premier thème et à l'apothéose finale, sans appuyer ici sur les derniers accords comme souvent. Admirables, le travail sur les bois, traités dans le goût viennois, et la cohésion des cordes de cette phalange d'élite. Le premier thème de l'Andante con moto, enluminé par les hautbois, est pris confortable dans une démarche non pondéreuse. Le second contraste, fluide aux cordes, dont se détachent allègrement les bois. La mélancolie sous-jacente inhérente à la musique de Schubert, Welser-Möst la distille comme d'évidence pour traduire ce qui est là encore un voyage intérieur. C'est magie d'entendre cet orchestre américain sonner si ''viennois'' et avec un tel sens de l'équilibre.
The Cleveland Orchestra & Franz Welser-Möst ©DR
Le Scherzo est conçu dans l'esprit d'une danse menée rondement, dont le deuxième sujet, plus brillant, tranche habilement avec un air de fête. Quelle fête en effet que ce foisonnement thématique et la manière dont il est agencé. Ainsi de l'ondoiement des cordes où le fil passe de main en main de chacune des sections du quatuor. Ici comme pour les autres mouvements, Welser-Möst joue toutes les reprises, ce qui ne nuit pas à l'écoute, mais en renforce même l'équilibre global. On savoure tout le plaisir de se laisser porter par les fameuses ''divines longueurs'' de Schubert. Le Trio, muni de son Ländler paysan, est mené sans précipitation mais sans traîner et cela chante avec un charme naïf et en même temps hautement pensé, nanti d'un brin de mélancolie. Du finale Allegro vivace, l'attaque est prise conquérante pour un discours qui s'enflamme mais sans ostentation. Le développement n'est justement pas pesant, qui ne cherche pas à appuyer les accords. La coda participe du même souci de dosage bois et cordes. Là encore on reste fasciné par la patine orchestrale. Quelle symbiose entre pupitres, adhérant à la rigoureuse pulsation qu'imprime le chef dans les crescendos et decrescendos. La remarquable maîtrise de la dynamique signe une interprétation qui sort indéniablement du lot. Et rejoint au panthéon enregistré de l’œuvre quelques illustres devancières, Böhm/Berliner Philharmoniker, Harnoncourt/Concertgebouw Amsterdam ou encore Abbado/Chamber Orchestra of Europe. Sans doute, le sens de l'occasion dans les conditions particulières déjà mentionnées a-t-il joué. Le chef n'hésite pas à déclarer que cette interprétation était « quelque chose d'absolument inoubliable ».
Commande de Paul Sacher, Statich und ekstatisch op.214 d’Ernst Křenek (1900-1991) a été composé en 1971/1972. Écrite pour un orchestre de chambre pourvu d'une large section de percussions, c'est une œuvre de musique sérielle s'inscrivant dans la continuité des pères fondateurs, et en particulier de Webern pour ce qui est de l'économie de moyens et du recours à la petite forme. Elle est en effet constituée de dix brèves sections jouées sans interruption, qui ne laissent apparaître aucune indication de tempo ou de jeu. L'antagonisme entre passages appartenant aux domaines du ''statique'' et de ''l’extatique'', est subtil, les premiers offrant un son soutenu et peu d’animation, les seconds comme mus par le fait du hasard, étant plus animés. Ainsi de tel solo d'alto puis de flûte à la section 4, ou de la 7ème plus lyrique, comme un choral de Bach avec ses phrases sveltes des cordes. La 9ème fait un large usage des percussions. La dernière et la plus développée, introduite par un impalpable roulement de la grosse caisse, regorge de clusters de percussions, et offre des unissons des cordes et un concertato des vents conduisant à une fin sur un accord de percussions. Là aussi, le chef et ses ''clevelanders'' démontrent une particulière aisance.
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Un autre atout de ce disque est la qualité des enregistrements live : le vrai de l'écoute de concert dans l'acoustique merveilleusement équilibrée du Severance Hall de Cleveland. La répartition spatiale des pupitres du quatuor à cordes, si importante chez Schubert, frôle l'idéal. Comme l'étagement des plans. La dynamique est respectueuse d'une ambiance naturelle en adéquation avec l'interprétation, les graves enveloppants, mais sans excès, contribuant à la définition d'une image sonore naturelle occupant tout l'espace stéréophonique.
Texte de Jean-Pierre Robert
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