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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'opéra : Saul de Haendel

Handel Saul 2021

  • George Friedrich Haendel : Saul. Oratorio dramatique en trois actes. Livret de Charles Jennens
  • Christopher Purves (Saul), Iestyn Davies (David), Paul Appleby (Jonathan), Sophie Bevan (Michal), Lucy Crowe (Merab), Benjamin Hulett (Abner, Le Grand Prêtre/Doeg/un Amalécite), John Graham-Hall (La sorcière d'Endor)
  • Otis-Cameron Carr, Robin Gladwin, Ellyn Hebron, Thomas Herron, Merry Holden, Edwin Ray, danseurs
  • The Glyndebourne Chorus, Jeremy Bines, chef des chœurs
  • Orchestra of the Age of Enlightenment, dir. Ivor Bolton
  • James McVinnie, orgue solo
  • Mise en scène : Barrie Kosky
  • Chorégraphie : Otto Pichler
  • Costumes et décors : Katrin Lea Tag
  • Lumières : Joachim Klein 
  • Production du Glyndebourne Opera Festival, enregistré live en août 2015
  • Video Director : François Rousillon
  • Sound Supervisor : Jean Chantauret
  • 1 DVD Opus Arte : OA 1216 D (Distribution : Distrart)
  • Durée du DVD : 185 min
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

La production de l'oratorio Saul de Haendel, dans la mise en scène de Barrie Kosky, que Paris a pu voir au Théâtre du Châtelet début 2020, a été créée pour le Glyndebourne Opera Festival lors de son édition de 2015. Elle avait alors été saluée unanimement comme un succès majeur. Le présent DVD en est la captation. Qui réussit le tour de force de magnifier presque chaque trait d'une mise en scène audacieuse et d'un esthétisme à couper le souffle. Tandis que la partition de Haendel est servie avec une rare efficience.

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Mettre en scène un oratorio biblique de Haendel offre un défi, même s'il renferme souvent autant, sinon plus, d'influx dramatique qu'un opéra. Il faut trouver un fil conducteur d'ordre théâtral, « faire entendre la narration », souligne Barrie Kosky, celle qui ressort essentiellement des arias qui, dans le cas de Saul, sont souvent très brèves, « d'incroyables soubresauts émotionnels violents en quelques mesures seulement ». Avec son intarissable inventivité et son sens de l'image, le régisseur australien s'empare sans vergogne d'un sujet finalement porteur. Et parvient à créer une trame qui du début à la fin maintient en haleine. Il dit se défier du réalisme et préférer le chemin de l'extravagance, ce qu'on peut traduire comme la voie de l'hyperbole. Ainsi durant l'Ouverture, en est-il de la première image émergeant du néant : le crâne ensanglanté du géant Goliath vaincu par David. Qui fait sens dès lors qu'enchaînée avec la première scène voyant David, encore meurtri par le combat, être acclamé par le peuple israélite au comble du délire, en des réjouissances hors norme. Barrie Kosky les visualise en une immense table de banquet où s'entassent victuailles, compositions florales et animalières, dignes d'une peinture typique d'Arcimboldo, au sein desquelles s'inscrit le chœur. Cet étonnant melting-pot d'un désordre savamment maîtrisé capte d'emblée l'attention. Le dispositif sera décliné de diverses manières, agrémentées de danses originales tout au long de la première partie, illustrant une phase haute en couleurs. La seconde, en revanche, s'enfonce dans les ténèbres, à partir du fameux concerto pour orgue dont là encore Kosky propose une image mémorable : un orgue positif tournant enchâssé au milieu d'un océan de bougies incrustées au sol. De cet univers onirique, à la frontière du surréaliste et surtout abstrait, car aucun décor construit ne vient le peupler, se dégage une constante animation. Cette approche conceptuelle, Kosky la défend avec une rare cohérence et une science de la chose théâtrale qui lui permet de traduire comme autant de rebondissements ce qui est une succession de moments musicaux. Dont les ''coups'' ne manquent pas. Telle l'apparition de la figure tutélaire de la sorcière d'Endor que Saul veut consulter, véritable pythie, et clin d’œil à l'Erda wagnérienne que le dieu Wotan se résoudra lui aussi à interroger : émergeant du sol entre les jambes d'un Saul assis à terre, désemparé, le personnage apparaît d'abord par le seul crâne, puis le buste et enfin le corps tout entier, tel un enfantement douloureux.

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Ière partie ©Bill Cooper 

La traduction en images, particulièrement étudiée, est d'une force étonnante. Ainsi du travail sur les chœurs qui selon le régisseur, « plantent le décor pour le voyage de Saul de la lumière à l'obscurité ». Les choristes sont traités comme autant de personnages à part entière, habillés façon Grand siècle, perruque et visage poudré. L'emphase portée sur les expressions corporelles l'est tout autant. La captation filmique scrute avec gourmandise ces visages souvent tourmentés. Chaque aria est l'occasion d'une scena qui loin de figer le temps, le dilate en divers moments d'une action construite. Ainsi de l'aria de Merab au Ier acte, accompagnée de la petite flûte imitant le chant des oiseaux : intrigué, Saul se prend de passion pour cet environnement bucolique au point de s'en enivrer jusqu'à la convulsion. Son fils Jonathan le prend alors dans ses bras pour le bercer, tandis que l'aria s'achemine vers sa conclusion sur un solo de clavecin. Avec juste cette dose d'exagération théâtrale, qui permet de souligner de manière combien évocatrice, Kosky dessine la lente descente de Saul dans la folie. La caméra dissèque à l'envi le façonnage du personnage à travers les expressions de douleur ou de joie d'un visage torturé, proches du rictus parfois. Par contraste, le personnage de David est brossé plus lisse, doté d'une palette expressive moins extravagante. Le film plonge dans l'intimité des protagonistes et leurs interactions au point de saisir du doigt les contours de leur psyché et ce qu'ils ressentent au plus profond.

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Christopher Purves (Saul) & Benjamin Hulett (Abner) ©Bill Cooper

Barrie Kosky exige beaucoup de ses interprètes. Le cast assemblé à Glyndebourne à l'été 2015, le lui rend bien. Comme à la musique de Haendel. C'est peu dire que Christopher Purves s'immerge corps et bien dans le personnage de Saul. Inspiré du roi Lear shakespearien, le lent dérèglement mental et physique est un modèle de travail approfondi chez un artiste qui sait toujours se donner à fond. Le chant est à cette aune, tendu comme un arc. Iestyn Davies offre de David presque tout le contraire, par une gestuelle assagie et comme détachée, à en rendre le personnage sympathique. A la boursouflure des attitudes de Saul répond l'impassibilité de son ennemi. Au sombre du baryton fait écho la couleur solaire du timbre de contre-ténor. Outre une ligne stylée de chant de ténor, Paul Appleby offre une vision de tendresse au personnage de Jonathan, qui tranche avec les attitudes plus extraverties de ses sœurs. Lucy Crowe, Merab, passé un début précautionneux, offre un soprano agile et Sophie Bevan s'avère la tragédienne qui entre les mains de Kosky, apporte au personnage de Michal une épaisseur notable. Enfin Benjamin Hulett se coule avec aisance dans la figure de bouffon tragique et histrion que la régie a choisi d'unifier à partir des divers personnages d'Abner, du Grand Prêtre, d'un Amalécite et de Doeg. Une composition assurément grandiose, surtout lorsqu'elle se mesure à celle de Saul. On n'oubliera pas celle de la sorcière d'Endor à laquelle le vétéran John Graham-Hall confère son expérience de la chose lyrique et un chant encore vaillant. Côté vaillance, les Chœurs de Glyndebourne triomphent d'une écriture souvent complexe, telle la vaste fugue ''Oh, fatal consequence of rage'' qui qui clôt l'acte II. 

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Finale de la 2ème partie avec au centre Iestyn Davies (David) et à droite Lucy Crowe (Merab) ©Bill Cooper 

Ivor Bolton, qui faisait un retour remarqué en Angleterre après tant d'années passées à Munich pour y diriger moult Haendel, et déjà Saul en 2003, s'empare de cette musique comme un second soi-même. « Une musique d'un haut niveau d'excellence », remarque-t-il, avec en particulier « un épilogue renversant ». Il le réussit par une sûreté du style, un nuancier de tempos choisis et une évidente empathie avec le chant souvent inextinguible qu'a écrit le saxon. Avec l'Orchestra of the Age of Enlightenment, il dispose de sonorités moirées et souvent envoûtantes, comme l'a toujours prouvé cette formation de longue date en résidence au festival pour le répertoire baroque. On savoure notamment les solos instrumentaux, de violon et d'orgue en particulier, et la beauté plastique du continuo.

La minutie de la captation filmique due à l'équipe de François Rousillon et la pareille qualité de la prise de son de Jean Chantauret apportent à cette version un irrésistible attrait. Voilà bien le témoignage d'un des spectacles les plus aboutis que le Festival de Glyndebourne ait produit ces dernières années. 

Texte de Jean-Pierre Robert 

DVD et Blu-ray disponibles sur Amazon 

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