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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Dardanus, l'opéra protéiforme de Rameau

Rameau Dardanus

  • Jean-Philippe Rameau : Dardanus. Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes. Livret de Charles-Antoine Le Clerc de La Bruère (Version de 1744)
  • Judith van Wanroij (Iphise & l'Amour), Chantal Santon Jeffery (Vénus & Une Phrygienne), Cyrille Dubois (Dardanus), Thomas Dolié (Teucer & Isménor), Tassis Christoyannis (Anténor), Clément Debieuvre (Arcas)
  • Purcell Choir
  • Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi
  • 3 CDs Glossa : GCD 924010 (Distribution :[PIAS])
  • Durée des CDs : 49 min 16 s + 50 min 27 s + 68 min 54 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile grise (4/5) 

La tragédie lyrique Dardanus de Rameau possède ce caractère singulier d'avoir connu deux versions successives radicalement différentes. Peu représentée au disque (Leppard/1981, Minkowski/2000, Pichon/2015), l’œuvre connaît un souffle nouveau avec cet enregistrement réalisé sous les auspices du Centre de Musique Baroque de Versailles, en coproduction avec le Müpa de Budapest, une institution largement dévolue au répertoire baroque, singulièrement français. Il en offre une interprétation très soignée.

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Lors de sa création en 1739, Dardanus a cristallisé les haines et rancœurs de la querelle dévastatrice des lullistes et des ramistes. Les critiques se sont focalisées sur la piètre qualité de son livret. Charles-Antoine Le Clerc de la Bruère était un jeune poète en vue, adoubé par Voltaire - auquel Rameau aurait pensé pour tenir la plume de ce nouvel opus - mais pas toujours inspiré. La pièce, mâtinée de divertissements dansés, apparaît quelque peu hybride pour ce qui est un huis clos amoureux entre trois personnages : Iphise est aimée de Dardanus, l'ennemi juré de son père, qui lui verrait bien épouser Anténor, chef de l'armée et auquel est confiée la mission d'anéantir cet ennemi et rival en amours. Un magicien, Isménor, permettra aux deux amants de se retrouver, après que Dardanus, emprisonné, victime du complot ourdi par son rival, ait été sauvé par Iphise. Entre temps, Dardanus et Anténor auront combattu un monstre marin déchaîné par Neptune. Le problème est que cet emprunt au merveilleux, de règle dans la tragédie lyrique, s'il est prétexte au grand spectacle, n'apporte pas grand-chose à la vraisemblance de la trame. Et l'œuvre progresse au fil d'un prologue et de cinq actes en un patchwork au potentiel pas toujours très exaltant. Devant les critiques, Rameau et son librettiste reprendront l'ouvrage, singulièrement pour ce qui est de ses trois derniers actes et Dardanus reverra le jour en 1744. C'est cette version qui est l'objet de la présente exécution. Le remaniement ôte à l’œuvre son aspect merveilleux, notamment en biffant l'épisode du monstre, et l'action connaît un net resserrement, devenant une tragédie passionnelle. Même si l'on danse (encore) beaucoup dans Dardanus, les divertissements sont désormais mieux intégrés et la nouvelle mouture assure à l'opéra une assise dramaturgique plus crédible.

Quoi qu'il en soit des avatars du livret, la musique de Rameau sauve la pièce et promet des pages souvent d'une stupéfiante beauté. Debussy dira, avec le délicieux sarcasme qu'on lui connaît, à l'endroit de son illustre prédécesseur : « il faut l'aimer, avec ce tendre respect qu'on conserve à ses ancêtres, un peu désagréables, mais qui savaient si joliment dire la vérité ». Parmi les points forts de la partition, on citera le duo héroïque, baryton-basse, entre Teucer et Anténor (I/3), le dialogue Iphise-Dardanus, enfin réunis, à l'acte IV, duo d'amour face à la proximité de la mort, et quelques grands airs et récits aux harmonies audacieuses. Ou encore les pages purement instrumentales telle celle appelée ''Bruit de guerre'' qui termine l'acte IV et introduit sans solution de continuité l'acte V. Et surtout les divertissements qui en particulier aux IIIème et IVème acte, enrichissent la musique d'un lustre somptueux, déclinant rigaudons, menuets et autres tambourins, enluminés par les flûtes. Comme enfin le grand final de l'acte V célébrant le triomphe de l'Amour avec musette, contredanse et chaconne ''pour les Fêtes, les Jeux et les Plaisirs''.

L'excellence de l'interprétation, on la doit d'abord à la direction de György Vashegi qui, s'il a retenu la version de 1744, la complète d'emprunts à celle de 1739 pour une meilleure cohérence musico-dramatique. Le discours prend une dimension grandiose, avec même des effluves italiens, par exemple lors de l'air de Vénus au prologue. L'influx dramatique, il le ménage habilement par des tempos relevés et un art consommé des transitions. Comme cette manière de ''retenir'' l'orchestre entre deux morceaux, préparant celui qui suit : ces quelques instants de silence qui font qu'on attend l'aria et que les premières pages s'en découvrent avec délectation. La fluidité de la ligne n'a d'égale que la clarté de ton qui, à l'occasion, sait se faire hypnotique. Les danses sont alertes, ne serait-ce que par le jeu perlé prodigué par l'Orfeo Orchestra et un raffinement instrumental rencontrant de vraies intonations galliques, comme aux bassons et aux flûtes. Le continuo est rigoureux et expressif, emmené par la claveciniste Violaine Cochard.

La distribution aligne plusieurs interprètes ayant déjà à leur actif l'expérience d'autres tragédies lyriques de Rameau. Tel est le cas de Judith van Wanroij qui prête à Iphise puissance et intensité. La noblesse de ton est évidente dès le premier air ''Cesse cruel Amour de régner sur mon âme'' (I/1) ou dans le monologue du début du Vème acte, là où le personnage frôle l'horreur. Elle est également distribuée dans la partie de L'Amour à laquelle elle apporte des accents enjoués. Cyrille Dubois rejoint les grands tenants des parties de ténor français de ce répertoire voisinant le registre de haute-contre, et brille par une superbe projection, telles les tenues sur une note ou un mot, gage d'expression juste. Comme dans le monologue poignant de la prison à l'acte IV ''Lieux funestes'' ou lors du récit ''Puis-je à ce prix affreux vouloir sauver mes jours'', aux accents déchirants de désespoir. Le timbre possède la séduction et la couleur idoines pour distinguer le rôle-titre qu'il pare d'une quinte aiguë d'une insolente projection. Tassis Christoyannis, Anténor, de son timbre charmeur, est dans les pas de ses collègues français comme Stéphane Degout dont il possède le racé de la diction et la clarté d'émission. On remarque aussi la basse de Thomas Dolié, tour à tour Teucer, intransigeant stratège et père inflexible, et le magicien Isménor. Une coloration différente de la voix crédibilise cette double casquette. Quant à Chantal Santon Jeffery, elle apporte à Vénus les prestiges d'une voix de soprano somptueuse et d'une diction impeccable. Le Purcell Choir assimile par une parfaite diction les nombreux passages énergiques confiés au Chœur.

L'enregistrement, dans la grande salle Béla Bartók du Müpa de Budapest, ménage un équilibre satisfaisant voix-orchestre. Mais offre une ambiance quelque peu résonnante pour ce qui est de ce dernier, les violons en particulier, comme captés à distance.

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Texte de Jean-Pierre Robert

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