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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'opéra : Ariodante de Haendel au Festival de Salzbourg

Ariodante Handel

  • Georg Friedrich Haendel : Ariodante. Dramma per musica en trois actes. Livret d'auteurs inconnus d'après Ginevra, principessa du Scozia d'Antonio Salvi, inspiré de l'Orlando furioso de Ludovico Ariosto
  • Cecilia Bartoli (Ariodante), Nathan Berg (Le Roi d’Écosse), Kathryn Lewek (Ginevra), Rolando Villazón (Lurcanio), Christophe Dumaux (Polinesso), Sandrine Piau (Dalinda), Kristofer Lundin (Odoardo)
  • William John Banks, Christopher Basile, Andrew Cummings, Chris Angus Darmanin, Rouven Pabst, Glauber Silva, Rory Stead, Jack Widdowson (danseurs)
  • Salzburger Bachchor, Alois Glassner, maître de chœur
  • Les Musiciens du Prince – Monaco, dir. Gianluca Capuano
  • Mise en scène : Christof Loy
  • Décors : Johannes Leiacker
  • Costumes : Ursula Renzenbrink
  • Lumières : Roland Edrich
  • Chorégraphie : Andreas Heise
  • Dramaturgie : Klaus Bertisch
  • Enregistré live au Festival de Salzbourg 2017 à la Haus für Mozart
  • Vidéo Director : Tiziano Mancini
  • Audio Producer : Arend Prohmann
  • 2 DVDs Unitel : 802408 (Distribution Distrat Music)
  • Durée des DVD : 216 min
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

Ce DVD est la captation de la production d'Ariodante donnée au Festival de Salzbourg 2017, Pentecôte & Été, conçue et chantée par Cecilia Bartoli. Un spectacle d'un esthétisme assumé dans son univers claustrophobe noir et blanc, sa régie au scalpel et sa réalisation musicale de grande classe.

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La trame d'Ariodante est puisée dans le Roland Furieux de l'Arioste. Créé en 1735, à Londres, dans le tout nouveau théâtre de Covent Garden, ce dramma per musica valut au musicien un succès peu durable, du fait des intrigues qui sévissaient alors entre troupes rivales et malgré la présence d'interprètes prestigieux comme le castrat Carestini dans le rôle-titre et la soprano Anna Maria Strada del Pò dans celui de Ginevra. Haendel s'y montre un dramaturge inspiré, n'hésitant pas à inclure des danses pour agrémenter une action serrée, déployée en une succession d'arias da capo magistrales, véritable festival vocal. Basée sur la mécanique de l'entrelacement, ou mélange d'histoires de divers personnages, l'action est d'une remarquable logique qui voit chacun de ceux-ci, à l'exception du roi d'Écosse, être inséré dans une chaîne amoureuse : Lurcanio aime Dalinda qui aime Polinesso qui aime Ginevra qui aime Ariodante. C'est la manigance du fourbe Polinesso qui empêche le couple Ariodante-Ginevra de connaître le bonheur. Pour contrarier l'union du chevalier Ariodante avec la princesse Ginevra, Polinesso imagine en effet une tromperie, lui faisant croire à l'infidélité de cette dernière. Ariodante, au désespoir, sera stoppé dans son projet de suicide par son frère Lurcanio. Seule une sorte de jugement divin par le truchement d'un combat singulier entre Polinesso et Lurcanio, dont celui-ci sort vainqueur, remettra les choses en place.

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Scène d'ensemble ©SF/Monika Rittershaus

La production possède bien de atouts. À commencer par la prestation de Cecilia Bartoli dans le rôle-titre. C'est l'exemple type du rôle travesti que s'approprie avec bonheur une mezzo soprano de l'envergure de la chanteuse italienne. Qui fêtait une prise de rôle et un retour remarqué aux « Hosenrole » (rôles en pantalon) depuis ses Cherubino de début de carrière. Elle est dans son élément. Vocal bien sûr. Les arias sont chacune des moments d'exception, en particulier les deux morceaux qui se succèdent à peu d'intervalle à l'acte II, ''Tu, preparati a morire'' et surtout ''Scherza infida'', une des perles du chant haendélien. Ces deux arias qui expriment le désespoir de l'homme outragé, le montrent de manière bien différente, les sections du da capo étant différenciées dans l'une et l'autre, permettant de varier à l'infini la puissance émotionnelle des coloratures. La diva est à son meilleur dans l'expression retenue et le raffinement extrême de l'ornementation. Scéniquement, Bartoli est tout aussi convaincante dans toutes les facettes d'un personnage complexe et offrant des possibilités de jeu infinies. On la verra tour à tour éméchée, vindicative, désespérée, retrouvée. À ses côtés, le Polinesso de Christophe Dumaux se distingue par un chant distillant la fausseté, ce que l'acidité du timbre amplifie. La traîtrise du personnage, et ici un certain sex appeal, en ressortent plus crûment. La Ginevra de Kathryn Lewek, passé un premier air décevant, trouve son acmé au IIème acte dans l'aria ''Il mio crudel martoto'', épanchant une désespérance poignante, le tempo d'une lenteur marquée en renforçant le déchirement. Sandrine Piau, Dalinda, offre une ligne de chant d'une perfection qui en fait sans doute, aux côtés de Bartoli, le meilleur tenant ici du style haendélien, et déploie bien de la tendresse innocente, même si c'est par la crédulité de cette femme que le drame se noue. Nathan Berg est un roi d'Écosse de classe quoiqu’un peu monochrome. S'agissant enfin du Lurcanio de Rolando Villazón, si on ne peut disputer au célèbre ténor un engagement certain, la ligne de chant n'est pas toujours aussi idoine qu'il le faudrait, offrant des attaques en force plus proches du romantisme que du plus pur baroque.

Ariodante contient parmi les pages les plus inspirées de Haendel, notamment dans ses ensembles et ses parties dansées d'une grande beauté. La direction de Gianluca Capuano est satisfaisante, quoiqu’un peu sèche, ménageant des nuances extrêmes, tranchée dans les passages vifs ou lente jusqu'à des pianissimos à la limite de l'audible. Mais elle soutient le chant avec à propos. Son orchestre des Musiciens du Prince - Monaco, créé en 2016 à l'instigation de Bartoli, et réunissant des instrumentistes venant de diverses formations européennes, offre une sonorité idoine même si on reste parfois sur sa faim comparé à des ensembles rompus à ce répertoire comme les Arts Florissants ou les Musiciens du Louvre. 

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Christophe Dumaux (Polinesso) & Sandrine Piau (Dalinda) ©SF / Monika Rittershaus 

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La régie de Christof Loy se distingue par son esthétisme. Comme toujours chez ce metteur en scène, le contenant doit servir de catalyseur aux tensions que renferme l'œuvre. Dans le cas présent, elles s'avèrent exacerbées : les deux thèmes de la confiance mal placée en l'autre et de la fidélité s'opposent. Il décrypte les conflits et affetti et en révèle les excès émotionnels par une direction d'acteurs au scalpel, voire agitée, qui passe parfois par de vrais corps à corps. Pour des jeux amoureux et sexuels tournant à l'obsession. Polinesso est ainsi une création démoniaque assumée, figure quasi machiavélique. Ariodante paraît par contraste presque candide dans son amour inconditionnel, à la limite de l'aveuglement, tout en paraissant sûr de soi-même. Il ira jusqu'à revêtir la robe de l'aimée ; ce qui produit un étonnant mélange des genres : une femme déguisée en homme (travesti) reprend les habits d'une autre femme. Bartoli est ici proprement fascinante dans ce déguisement de second degré, barbe et chevelure masculine et atours grandioses de la féminité. On admire un formidable travail sur le thème des crises d'identité, particulièrement fouillé dans les récitatifs. Même si le débit général est lent, voire très lent, par exemple lors de certaines arias comme celles citées d'Ariodante et de Ginevra au IIème acte, jusqu'à la limite de l'immobilisme. Les ensembles, si importants dans cette partition, et les ballets sont intimement intégrés, tel au final du Ier acte, qui se vit comme une vraie construction en plusieurs segments : un duo en gavotte, une reprise par le chœur puis un final dansé dans une grande agitation. 

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Cecilia Bartoli/Ariodante & Kathryn Lewek/Ginevra; crédit : SF/Monika Rittershaus 

Loy montre que cet opéra, pour baroque qu'il soit dans sa conception musicale, oscille vers les Lumières et ouvre de nouvelles perspectives. Ainsi les coloratura des arias s'affranchissent-elles de leur côté purement décoratif pour se concentrer sur la signification des mots, donc du contenu des sentiments véhiculés. Il le démontre par une manière là aussi exacerbée dans les regards et les gestes, qui peuvent être outrés, même dans le chant : ton forcé, à la limite du cri par exemple, mots détachés. Enfin la mise en scène mélange le temps et l'espace : à l'univers claustrophobe d'une vaste pièce aux murs blancs qui s'ouvre sur des perspectives bucoliques, rappelant combien sont essentielles ici les références à la nature, répondent des costumes à la fois baroques et contemporains, car, selon le régisseur, les personnages ne doivent être définis ni en terme purement historique ni dans leur aspect uniquement moderne.

Tout cela est saisi avec acuité par une prise de vues qui suit au plus près la régie et en met en valeur les points saillants. Les images sont souvent sculpturales, notamment les plans rapprochés d'une indéniable force esthétique. 

Texte de Jean-Pierre Robert

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