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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : le piano conteur de Michele Campanella

Dreams and Tales

  • ''Dreams & Tales''
  • Modest Moussorgski : Tableaux d'une exposition
  • Alexander Scriabine : Sonate pour piano N°3 op.23. Valse op.38
  • Michele Campanella, piano
  • 1 CD Odradek Records : ODRCD  395 (Distribution : UVM)
  • Durée du CD : 63 min 37 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

« Un homme de Naples peut-il parler le langage de l'art russe ? », s'interroge Michele Campanella. La réponse est affirmative à l'écoute de ce nouvel opus du pianiste italien. Qui associe les Tableaux d'une exposition de Moussorgski et la Troisième sonate de Scriabine, deux partitions qu'il dit côtoyer depuis cinquante ans. Entre rêves et légendes, une somme.

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« Les Tableaux possèdent un pianisme ardu, mais ce n'est pas une œuvre virtuose », poursuit-il. On réécoute avec plaisir dans son original pour piano cette géniale fresque que Moussorgski compose en 1874, kaléidoscope de pièces reliées les unes aux autres par un fabuleux thème refrain, appelé ''Promenade'' et ses diverses déclinaisons pour servir de transition ou introduire tel nouveau tableau. Michele Campanella nous prend par la main pour nous faire vivre le plus merveilleux des voyages, sans bouger de notre fauteuil d'auditeur. Il rappelle avec justesse que la puissance du récit « pourrait être facilement réduite ou interrompue par une interprétation purement pédante ». Loin de cela, comme de tout gimmick ostentatoire, encore moins virtuose, car l'observance scrupuleuse des indications de dynamique confère à cette lecture un goût de vrai. Ainsi de ''Le vieux château'', marqué andantino molto cantabile e con dolore, cette dernière indication conférant au morceau une poétique de ballade dans un pianissimo envoûtant et son ostinato à la main gauche, presque immatériel. Ou plus loin, la section ''Bydlo'', sempre moderato pesante, prise à une allure hiératique jusqu'au forte final et son rallentendo diminuendo. Le scherzino de ''Ballet des poussins dans leurs coques'' est juste fantasque, notamment dans son second thème aérien. Le contraste avec ''Samuel Goldenberg & Schmuÿle'' n'en est que plus marqué. Le ton populaire est là. L'aspect vocal aussi, comme dans ''La place du marché à Limoges'', Allegro vivo, sempre scherzando, pour restituer l'animation, l'impression de foule caquetante jusqu'au délire final. Il y a aussi quelque chose de chantant dans ''Baba-Yaga'' Allegro con brio feroce, mais sans ostentation, qu'interrompt une section andante mosso, instant de quiétude. Partout, le pianiste italien distille ces vignettes avec un souci inné du contraste et un pianisme racé. 

C'est un tout autre univers que propose la Sonate N°3 op.23 en Fa dièse mineur de Scriabine. Parmi la douzaine que ce dernier a laissée, celle-ci, de 1897/98, marque la fin de sa première période dite romantique, tout en présentant des audaces caractéristiques des compositions plus tardives. Son sous-titre d' ''États d’Âme'' est en soi tout un programme, illustrant en quatre phases les divers états d'une âme en peine. Le premier mouvement Drammatico raconte une lutte douloureuse parée d'une énergie assumée et d'un panel dynamique impressionnant, tels les accords grandioses en cascade de la main gauche. L'Allegretto, sorte de scherzo, est un moment de repos où, selon le programme, ''l'âme veut s'étourdir, chanter et fleurir quand même'', bien détaché et joué forte dans le grave, la partie médiane contrastant par sa facture chantante. L'Andante se veut une rêverie débutant dans le registre médian, le temps d'une grande effusion poétique, quoique les audaces harmoniques soient plus apparentes ici. Le finale enchaîné Presto con fuoco figure une course-poursuite véhémente qui ne semble s'assagir que peu, tant la cavalcade reprend tumultueuse, aux harmonies parfois effrayantes et d'une technique affolante. Comme dans les moments les plus exposés des Tableaux de Moussorgski, Michele Campanella ne se départit jamais d'une certaine prise de recul, même dans les passages d'intensité croissante et d'écriture complexe de cette œuvre. Il conclut avec la Valse op.38 de 1904, « un délicieux exemple d'équilibre formel, d'harmonie suggestive, d'élégance aristocratique » (ibid.). Là où le compositeur joue avec le fameux rythme à trois temps pour le métamorphoser à sa guise dans une écriture qui paie sa dette à Chopin.

La prise de son, dans une acoustique proche, capte avec naturel les aigus cristallins et les graves non cotonneux du piano Yamaha, celui-ci bien centré dans l'image sonore.

Texte de Jean-Pierre Robert

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