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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Leonardo García Alarcón dirige L'Orfeo de Monteverdi

Monteverdi LOrfeo

  • Claudio Monteverdi : L'Orfeo. Fable en musique en un prologue et cinq actes. Livret d'Alessandro Striggio
  • Valerio Contaldo (Orfeo), Mariana Flores (Euridice/Musica), Guiseppina Bridelli (La Messagiera), Ana Quintans (Proserpina/ Speranza), Alejandro Meerapfel (Plutone), Salvo Vitale (Caronte), Alessandro Giangrande (Pastore3/Appolo), Carlo Vistoli (Pastore 2), Nicholas Scott (Pastore 1/Spirito 3/Eco), Matteo Bellotto (Pastore 4), Philippe Favette (Spirito), Julie Roset (Ninfa)
  • Chœur de chambre de Namur, Thibaut Lenaerts, maître de chœur
  • Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón
  • 2 CDs Alpha : Alpha 720 (Distribution : Outhere Music)
  • Durée des CDs : 106 min 21 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/ 5)

Leonardo García Alarcón est un familier de L'Orfeo de Monteverdi. Après plusieurs tournées récentes en concert, il l'a enregistré en janvier 2020. Avec une distribution de haut vol et une exécution musicale extrêmement raffinée, longuement mûrie, cette nouvelle version s'impose désormais en haut de la discographie. Car voilà bien une interprétation d'une irrésistible vie.

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« Fable en musique », à laquelle on fait plus ou moins remonter l'origine de l'opéra, L'Orfeo inaugure un genre, le parler en musique ou recitar cantando qui enveloppe en un seul jet drame et mélodie par une déclamation monodique extrêmement mobile et une riche vocalité. Elle illustre aussi un thème, l'amour conjugal, immortalisé par le chanteur Orphée. Ce qui est traité par Monteverdi et son librettiste Striggio de manière singulière. La clé de lecture manichéenne fondée sur le clivage morts/vivants, ombre/lumière, est en réalité transcendée : dès le départ, le bonheur de l'union d'Orfeo et d'Euridice n'est-il pas moribond ? Ainsi suite à la perte par deux fois de l'aimée, et bien qu'il soit élevé par son père Apollon sur les hauteurs de l'Olympe pour y jouir des « honneurs célestes », Orfeo n'en est-il pas moins confronté au néant de son existence ici-bas.

« Dans cet opéra, on voit à quel point l'amour et la musique sont les deux miracles quotidiens de l'Homme », s'enthousiasme le chef argentin. Il porte sur cette œuvre un regard aussi lucide qu'attendri, où il voit tout autant l'apothéose de la Renaissance que le témoignage du Baroque naissant. Une vision alliant regard sur le passé et avancées novatrices, au fil d'un continuum musico-dramatique qui ne faiblit jamais. On sait combien est impressionnant l'effectif instrumental prévu par le compositeur, d'une richesse jusqu'alors inconnue. García Alarcón offre une exécution de coloriste et d'une grande mobilité. Son orchestre différencie habilement le continuo et la formation élargie chargée des sinfonie et des ritornelli. Particulièrement remarquable est la vivacité de ces derniers dans leurs fréquents changements de métrique, avec un délicieux effet d'accélération dans les pages finales. Depuis la Toccata introductive, sorte d'ouverture fanfare, jouée sans sourdine, la fabuleuse invention musicale qu'offre la musique de Monterverdi, comme sa modernité, sont constamment mises en valeur par des tempos alertes et un souci de la respiration qui enluminent les arias. La battue renferme une vie exceptionnelle, singulièrement dans le traitement du continuo. Enfin un souci particulier est porté à l'ornementation.

Tout cela est en appui d'une ligne de chant très travaillée qui, fondée sur le récitatif monodique, n'en fait pas moins appel à la manière madrigalesque, dans le traitement du chœur en particulier. Le soin apporté au chant est l'autre atout de cette version qui aligne une distribution expérimentée maniant autant la souplesse que l'expressivité. Ainsi de Valerio Contaldo qui, dans le rôle-titre, imprime sa marque à cette exécution : une caractérisation très ''vécue'' dans le ressenti des sentiments, de joie puis de douleur, de celui qui dépassant son statut de personnage, rejoint celui de mythe, celui d'être un poète lyrique. Le chant est dense et expressif, ductile. Que ce soit dans la plainte ''Tu se' morta'' (Tu es morte) au IIème acte et son déchirant ''A dio Terra, a dio Cielo e Sole, a dio'' (Adieu Terre, adieu Ciel et toi Soleil adieu!) ou dans le célébrissime ''Possente Spirto'' (Puissant esprit) au IIIème, air strophique entrecoupé de ses trois ritornelli, on admire un chant ému, sans artifice même dans les vocalises aiguës, de son rythme presque entraînant tel que soutenu par García Alarcón. Le dernier lamento pathétique ''Questi i campi di Tracia'' (Voici les champs de Thraces), avec écho, décrit les divers affetti du héros inconsolable, bouleversante déclamation sur la mort qui s'élève jusqu'à une sorte de méditation philosophique.

Mariana Flores est une Euridice d'une grande douceur et là aussi déchirante. La même interprète distingue également la première intervention vocale de l'opéra, savoir la partie de Musica au prologue. Des autres membres de la distribution, on distinguera la Messagère de Guiseppina Bridelli, sobrement dramatisée dans son récit du IIème acte, pivot de l'action. Comme la double incarnation de Speranza et de Proserpina d'Ana Quintans, beau métal de mezzo. Salvo Vitale est un sonore Caronte tout comme le baryton Alejandro Meerapfel un Pluton d'autorité. Le cast est étudié dans tous ses éléments, jusqu'à l'adorable Ninfa de Julie Roset. Admirable aussi le Chœur de chambre de Namur, d'une vraie plasticité dans l'élocution.

L'enregistrement, au Desingel d'Anvers, est d'une exceptionnelle clarté : relief dans l'étagement des plans sonores, chœurs, solistes vocaux, continuo, ritornelli. Le montage préserve un continuum d'une irrésistible efficacité dramatique. Ce qu'une discrète mise en scène sonore achève d'établir.
Texte de Jean-Pierre Robert 

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