CD : un vibrant hommage à Jéliote, le ténor favori de Rameau
- ''Jéliote Haute-contre de Rameau''
- Jean-Philippe Rameau : airs extraits d'Hippolyte et Aricie, Dardanus, Platée, Le temple de la gloire, Castor et Pollux, Les Boréades
- François Colin de Blamont : air extr. de Les fêtes grecques et romaines
- François Rebel & François Francoeur : air extr. de Scanderberg
- Charles-Louis Mion : air extr. de Nitétis
- Pierre de Jéliote : air extr. de Zélisca
- Antoine Dauvergne : air extr. de Les amours de Tempé
- Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville : air extr. de Daphnis et Alcimadure
- Pierre-Montan Berton : air extr. de Érosine
- Jean-Benjamin de La Borde : air extr. de Ismène et Isménias
- Ouvertures et pièces instrumentales de Rameau ext. de Hippolyte et Aricie, Platée, Les Boréades
- Jean-Marie Leclair : ouverture de Scylla et Glaucus
- Reinoud van Mechelen, haute-contre et dir. musicale
- Ensemble A nocte temporis
- 1 CD Alpha, en coproduction avec le CMBV : Alpha 753 (Distribution : Outhere Music)
- Durée du CD : 78 min 51 s
- Note technique : (5/5)
« On croyait n'avoir point été à l'Opéra, quand on n'avait point entendu Jéliote », lisait-on en 1775 ! C'est dire la formidable célébrité du haute-contre, pour ne pas dire l'engouement suscité par chacune des apparitions de celui pour lequel Rameau écrivit pendant 30 ans, mais aussi quelques autres compositeurs comme Dauvergne ou Mondonville. Le ténor belge Reinoud van Mechelen lui rend hommage au fil d'un récital aussi heureusement conçu que magistralement interprété.
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Pierre de Jéliote ou Jélyotte (1713-1797) aura eu une carrière d'une étonnante longévité. Benoît Dratwicki, dans un passionnant article, retrace les étapes de la carrière hors norme d'un homme qui « plus qu'un artiste, fut une véritable figure du Siècle des Lumières... le symbole d'une réussite spectaculaire due au seul talent... celui d'un homme au grand cœur et d'un artiste intègre aux moyens immenses ». Le chanteur possédait une voix de haute-contre, c'est-à-dire de ténor aigu, à ne pas confondre avec celle du contre-ténor. Passionné de musique, il tâtera également de la guitare au point d'avoir le titre de professeur de guitare du roi, et le violoncelle, ce qui lui vaudra d'être celliste chez Madame de Pompadour. Il composera même à ses heures, dont une comédie-ballet, Zélisca, donnée en 1746. Le programme du disque retrace les étapes de cette prodigieuse carrière, depuis sa fulgurante ascension dans des emplois de second plan, puis la percée et les premiers rôles, la fin à l'Opéra, contraint de quitter les planches pour des raisons de santé. Et enfin, rappelé par l'insistance populaire, son retour à la cour pour de belles prestations encore.
C'est l'occasion rêvée d'écouter un florilège d'airs connus et moins célèbres écrits à son intention par les plus grands compositeurs de l'époque et au premier chef Rameau. Jéliote débute en effet en 1733 dans le rôle d'Un Suivant de l'amour d'Hippolyte et Aricie, puis dans un opéra de François Colin de Blamont Les fêtes grecques et romaines et dans Scanderberg dû au tandem Rebel et Francoeur. Dans ce dernier ouvrage, le rôle de La magie lui offre déjà des pages virtuoses par leur audace harmonique. La percée vient rapidement et les premiers rôles, comme celui du héros de Dardanus qu'il crée en 1737, à 24 ans ! Dans l'air ''Lieux funestes'', la délicatesse de la déclamation rejoint l'aisance des aigus atteints avec une extrême douceur, ainsi que le démontre ici Reinoud van Mechelen. Vient le rôle-titre de Platée qui démontrera l'habileté du chanteur dans le registre burlesque. Ainsi de l'air d'entrée de la nymphe grenouille et son amusante métrique ''Que ce séjour est agréable !'' qui la voit s'interroger à peine infatuée ''Dis-moi, mon cœur, t'es-tu bien consulté ?'' Plus tard, en 1746, Jéliote se compose un rôle à sa mesure dans son opéra Zélisca, qui sait mettre en valeur sa voix avec moult coloratures. C'est que le chanteur est devenu principale haute-contre à l'Opéra. Les succès s'enchaînent alors comme dans Castor et Pollux. L'air de Castor ''Séjour de l'éternelle paix'' est une plainte d'une douceur hypnotique, dont les mots sont comme caressés dans l'interprétation de van Mechelen. Sa fin de carrière, dans les années 1750-1755, le voit encore chanter dans Le temple de la gloire de Rameau ou chez Mondonville (Daphnis et Alcimadure, interprété en langue languedocienne) ou Dauvergne (Les amours de Tempé).
Gravure d'époque de Jéliote dans le rôle de Platée ©DR
L'annonce de son retrait de la scène en 1750 provoque une onde de choc telle qu'on collecte des fonds pour l'aider à poursuivre. Il ne se retirera qu'en 1755. Mais une nouvelle ère s'ouvre alors pour quelques années où il se produit à la cour, à Versailles ou à Fontainebleau. On écrit encore pour lui. Ainsi de Rameau pour son ultime tragédie en musique Les Boréades. Le rôle d'Abaris, que Jéliote ne créera pourtant pas sur les planches, contient des pages mémorables. Ainsi de ''Charmes trop dangereux'', ou de ''Que l'amour embellit la vie'', encore adornés de vocalises très travaillées et de rythmes changeants. Celui qu'on déifie de son vivant en peinture (van Loo) et en qui Marmontel voit un personnage doux et riant, portant « sur son front la sérénité du bonheur » n'a pas dit son dernier mot. Il chante toujours, joue de la guitare ou du violoncelle. Retiré sur ses terres près de Pau, il suscitera une admiration durable qui perdurera bien au-delà de sa mort en 1797.
Pour célébrer ce personnage dans un florilège d'airs choisis, Reinoud van Mechelen, lui-même au faîte d'une carrière unanimement reconnue, apporte un art suprême de la diction, toujours au service de l'expressivité, et qui n'a rien d'apprêté, encore moins de maniéré. Admirables, la justesse des accents dans la déclamation et bien sûr l'aisance de la quinte aiguë et ses trilles libérés, enfin et peut-être surtout, la manière de gérer le registre piano qui sait aussi bien ''sonner'' que dans la puissance du forte. Il est aussi un chef au goût sûr lorsqu'il donne en complément des exécutions rigoureuses d'ouvertures de Rameau (Hippolyte et Aricie, Platée) ou de l'opéra Scylla et Glaucus de Leclair. Il faut dire que les couleurs comme le raffinement d'exécution des musiciens de son ensemble A nocte temporis procurent le plus magistral des écrins sonores. Et ce à partir des partitions réalisées par le Centre de Musique Baroque de Versailles, coproducteur de ce fascinant album.
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L'enregistrement dans la salle de concert de l'AMUZ d'Anvers, une église de moyen format disposant d'une acoustique ouverte, se distingue par son naturel, un parfait équilibre voix-ritornello et un relief certain.
Texte de Jean-Pierre Robert
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