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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD "Mitridate, Rè Di Ponto" : l'opera seria d'un Mozart de 14 ans

Mozart Mitridate

Quel plaisir de retrouver une intégrale d'opéra enregistrée en studio ! Et dans des conditions optimales grâce à une équipe de production qui connaît son affaire, une distribution pour le moins exceptionnelle réunissant le nec plus ultra des chanteurs du roster Erato, et un chef dont la maîtrise de ce répertoire n'est plus à démontrer. Pour donner du premier opera seria de Mozart une interprétation éblouissante.

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C'est sur une commande pour le Teatro regio ducal de Milano, ancêtre de La Scala, que Mozart écrit Mitridate, Re di Ponto K 87, son premier opera seria. Le sujet est emprunté à la tragédie Mithridate de Jean Racine, qui avait vu le jour un siècle plus tôt, et ce moyennant une adaptation en italien par le librettiste Vittorio Amedeo Cigna-Santi. Composée lors du premier voyage en Italie des Mozart père et fils, l’œuvre sera créée le 26 décembre 1770. Se confrontant à un sujet tiré de l'antique, le musicien s'attache surtout à satisfaire la virtuosité de ses chanteurs et à se soumettre à leurs fantaisies, sinon leurs caprices. L'opéra marque le triomphe de la vocalité en une succession d'airs, la plupart d'une redoutable difficulté technique, confiés à chacun des sept personnages. On ne compte que deux ensembles, un duetto qui clôt le IIème acte et un Quintette qui termine l'opéra. Non que l'étude des caractères soit négligée, comme on l'a souvent prétendu. Le génie du jeune Mozart ne pouvait se satisfaire de personnages factices ni se refuser à leur donner une épaisseur humaine, ce qui appert lors des intenses confrontations que sont les récitatifs. En cela il fait voler en éclats les conventions de l'opera seria. La trame voit les derniers jours de l'empereur Mitridate, déjà vaincu par Pompée, de nouveau défait par les armées romaines, avant de se donner la mort. Confronté à la rivalité entre ses deux fils, Sifare, le cadet qui lui demeure loyal, et Farnace, l'aîné, quelque peu félon qui rêve de prendre la succession royale, il leur pardonnera après avoir testé leur fidélité. Le moteur est surtout l'intrigue amoureuse et ses rebondissements en un schéma complexe conduisant les personnages à devoir résoudre le dilemme entre devoir et intérêts privés.

L'opéra reste peu représenté, même à Salzbourg (1971, 1997, 2006). Une de ses mises en scène remarquée restera, au ROH de Londres, celle de 1991 due à Graham Vick. Il est tout aussi peu présent au disque : Leopold Hager dans le cadre de l'intégrale Mozart de Philips et Christophe Rousset pour une version qui fit sensation à sa parution en 1999 (Decca), outre quelques DVD de productions marquantes (Harnoncourt/Ponnelle/Opernhaus Zurich, Minkowski/Salzburger Festspiele 2006). C'est peu dire que cette nouvelle intégrale était attendue. Elle ne déçoit pas. Car a été assemblée une distribution de haut vol. À commencer par Marc Minkowski qui renouvelle ici ses réussites salzbourgeoises à la Semaine Mozart. À la tête de ses Musiciens du Louvre, il cultive un son nourri qui rappelle que Mozart avait en cela suivi le goût milanais de l'époque privilégiant une telle manière d'utiliser l'orchestre. La lecture est énergique et la tension ne se relâche pas un instant. Telle l'Ouverture, menée rondement dans ses premier et dernier mouvements ou la grandiose marche solennelle préludant à l'arrivée de Mitridate au cours du premier acte. Sans parler de l'effervescence de l'accompagnement des airs rapides. La battue favorise une articulation rigoureuse et en même temps souple, procurant le sentiment de clarté. Amoureux de cette musique qui recèle bien des moments de lyrisme d'une grande douceur, le chef en fait sourdre toutes les beautés. Ainsi de la bouleversante cavatine d'Aspasia à l'acte III, méditation sur la mort.

Une autre source de bonheur réside dans la formidable habileté du cast, réunissant quelques stars de la jeune génération, lesquelles assimilent avec complétude l'écriture mozartienne qui, à ce stade, se nourrit d'une vocalité hautement pourvue d'ornementations. Les trois personnages conçus à l'origine pour des castrats, Farnace, Sifare et Arbate, sont distribués, respectivement, à un contre-ténor, une soprano lyrique et une soprano au timbre plus corsé. Les deux femmes, Aspasia et Ismene, le sont à des sopranos lyriques de couleur vocale bien différentiée. Enfin le rôle-titre est confié à un ténor capable de rivaliser avec son lointain prédécesseur, le capricieux Guglielmo d'Ettore.

Ainsi Paul-Antoine Bénos-Djian tient-il avec éclat la partie de Sifare, de son timbre de contre-ténor alto au grain mordoré. Il apporte mille nuances à un rôle délicat, où il faut passer du vilain au repenti. L'interprétation culmine dans l'air ''Gia dagli occhi il velo è tolto''/ Mes yeux se sont enfin dessillés (III/9), le plus long de la partition, où le chanteur caresse les mots. Julie Fuchs, qui au fil de ses prestations, peaufine désormais une stature de prima donna, est une Aspasia grandiose, que ce soit dans les airs de bravoure, truffés de sauts d'octaves et de vocalises acrobatiques jusqu'à d'incroyables cadences finales. Tout aussi admirable, le legato dans la vocalise sur un tempo retenu. L'interprétation trouve son acmé à l'acte III, dans ce qui est une vraie scène, dite de l'empoisonnement, où se succèdent récitatif sec/récitatif accompagné/air en forme de cavatine/récitatif accompagné, et alternent rythmes d'une extrême douceur, celui du bonheur passé, et récit poignant. Le soprano d'Elsa Dreisig, Sifare, est tout aussi enthousiasmant, particulièrement dans cet air du 2ème acte où la voix dialogue avec le cor solo, ou dans les emportements de ''Se 'I rigor d'ingrata sorte'' / Si la rigueur d'un sort adverse (III/6). Leur Duetto assorti de vocalises à l'unisson jusqu'à une cadence ornée est pur joyau. Sabine Devieilhe apporte à Ismene un timbre plus clair encore et une aisance dotée de légèreté dans le registre aigu extrême des airs tout aussi brillants confiés à ce rôle. Adriana Bignagni Lesca complète le panel par un soprano plus charnu dans la partie d'Arbate, le confident.

Dans un rôle qui lui est familier pour l'avoir chanté sur plusieurs scènes, Michael Spyres campe un Mitridate extrêmement pensé, alliant autorité et bienveillance. Ses moyens phénoménaux lui permettent d'en épouser toutes les facettes, que ce soit l'éclat guerrier ou au contraire le merveilleux lyrisme. On le mesure dans les fiers assauts vocaux des airs rapides aux écarts faramineux de ''Quel ribelle, e quell 'ingrato'' qui termine l'acte I et ses incroyables sauts d'octave, ou du rageur ''Vado incontro al fato estremo'' /Je m'en vais à la rencontre de mon ultime épreuve (III/3), d'une virtuosité annonçant les brillantissimes fioritures belcantistes et leurs quintes aiguës exigeantes. Un autre trait vocal remarquable, épousant le souci de dessiner une figure dramatiquement achevée, on le trouve dans les passages chantés en voix de tête et dans le tempo adagio nanti d'expressifs pianissimos. Comme il en est du Ier air ''Si di lauri il crine adorno'' (I/10). Cerise sur le gâteau, le ténor Cyrille Dubois dont on connaît l'art à la scène comme au concert, tient le rôle secondaire de Marzio, le capitaine romain.

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L'achèvement artistique se double d'une exemplaire réussite technique. L'enregistrement, dans la salle SR 1 de la Philharmonie de Paris, par l'équipe Lanceron-Zalay-Pierre, est d'un remarquable naturel dans l'équilibre voix-orchestre : les premières bien en relief sans être démesurément placées au premier plan, le second capté dans toute sa richesse, l'ensemble des cordes enveloppant les bois.

Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Wolfgang Amadé Mozart : Mitridate. Opera seria en trois actes. Livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi, d'après la traduction en italien par Giuseppe Parini de la pièce ''Mithridate'' de Racine
  • Michael Spyres (Mitridate), Julie Fuchs (Aspasia), Sabine Devieilhe (Ismene), Elsa Dreisig (Sifare), Paul-Antoine Bénos-Djian (Farnace), Adriana Bignagni Lesca (Arbate), Cyrille Dubois (Marzio)
  • Les Musiciens du Louvre, dir. Marc Minkowski
  • 3 CDs Erato : 0190296617577 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée des CDs : 59 min 41 s + 50 min 48 s + 40 min 42 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

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