CD : le duel au clavier entre Haendel et Scarlatti
Pour son premier album solo, le jeune claveciniste Cristiano Gaudio a imaginé d'illustrer le fameux duel musical ayant opposé Haendel et Scarlatti, une joute amicale dont le second serait sorti vainqueur au clavecin, tandis que son collègue saxon tenait la palme à l'orgue. Il offre pour ce faire un parcours croisé entre pièces de clavecin des premières années de chacun des deux compositeurs, magistralement interprétées.
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On ne sait si est vrai ou fantasmé l'épisode curieux d'un duel en musique organisé en 1709 par le Cardinal mécène Pietro Ottoboni dans son palais romain, qui aurait opposé ces deux jeunes virtuoses de 24 ans. La notoriété de chacun était déjà grande pour rendre plausible pareille initiative. Haendel venait de débarquer en Italie et singulièrement à Rome où il enflammait les esprits par ses compositions instrumentales créatives. Et Domenico Scarlatti jouissait d'une grande popularité comme instrumentiste virtuose dans son Italie natale. Il aurait rencontré Haendel à Venise en 1708 et aurait été fasciné par l'art du saxon. Rome était alors le centre des activités musicales, eu égard à l'influence exercée par les grands mécènes qu'étaient les cardinaux Benedetto Pamphilj et Pietro Ottoboni ou encore le prince Francesco Ruspoli. Tous les compositeurs du moment se croisaient en leurs fastueux palais. Et bien sûr Haendel et Scarlatti qui avaient une grande estime l'un pour l'autre. Le détail de la confrontation reste flou, mais il semble acquis que l'exercice se déroula aussi bien au clavecin qu'à l'orgue. Et se serait soldé par une sorte de match nul, Scarlatti vainqueur pour ce qui est du jeu au clavecin et Haendel à l'orgue. Scarlatti racontera lui-même « à 24 ans, je participais à une compétition avec un jeune homme nommé Haendel qui était considéré comme un prodige, je fus vainqueur au clavecin et lui à l'orgue ».
On ne sait rien des œuvres jouées lors de cet événement qu'il est donc impossible de reconstituer. Aussi Cristiano Gaudio a-t-il choisi le parti de l'illustrer uniquement au clavecin et jouant de manière alternée des pièces de chacun des deux protagonistes. Où l'on s'aperçoit que Scarlatti n'est pas seulement le champion de la vélocité et que Haendel sait aussi se montrer un chantre de la technique la plus virtuose. Tous deux satisfont également au registre de la profondeur. Des 555 sonates de clavecin de l'italien, Gaudio en donne dix, dont les hyper virtuoses (K43, Allegrissimo et ses roulades obstinées, K33 et ses appogiatures infinies), celles inspirées de la danse (K64, Gavotta, K82, Fuga), ou encore les pièces où se manifeste l'art de faire chanter l'instrument (K32, Aria, K86, là où l'italien montre son talent d'improvisateur pour créer un récit qui ne se limite pas à la brillance de la technique de jeu). Le talent d'improvisation est partagé par Haendel, que ce soit dans ses prestes Toccatas (Toccatas 6, 9, 11) ou la Sonate en sol mineur HWV 478. La Suite II en fa majeur HWV 427 démontre une évidente influence italienne dans ses quatre mouvements : un Adagio en forme d'aria mélodieuse, un Allegro structuré en Allemande, un second Adagio offrant des harmonies apaisantes et, pour conclure, un Allegro fugué alerte. La vaste Chaconne en sol majeur HWV 435 déploie une variété d'inspirations à travers des pages extrêmement brillantes et d'autres d'une grande intensité.
Cristiano Gaudio joue deux clavecins du facteur Bruce Kennedy, l'un italien, l'autre allemand, d'une agréable mécanique. Il utilise chacun selon la nature de la pièce à interpréter, et non affecté à un compositeur donné. Nul doute qu'il adopte un style propre à chacun des ''adversaires'' et qu'il les réconcilie dans notre admiration. Car on ne peut qu'être séduit par la confondante maîtrise technique et le jeu inventif du jeune claveciniste formé auprès de Blandine Rannou et d'Olivier Baumont au CNSMD de Paris et conseillé par Christophe Rousset ou Skip Sempé.
La prise de son à la ''Pieve di Santo Stefano a Cennano'', à Sienne, procure un excellent relief dans une ambiance aérée.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- ''Händel vs Scarlatti''
- Georg Freidrich Händel : Toccatas 1, 6, 9 & 11 du manuscrit de Bergamo. Sonate HWV 478. Suite II HWV 427. Chaconne en sol majeur HWV 435. Transcription de la Sonate pour violon X en la majeur
- Domenico Scarlatti : Sonates K82, K69, K32 K64, K43, K33, K53, K86, K84 & K58
- Cristiano Gaudio, clavecin
- 1 CD L'Encelade : ECL 2003 (Distribution : Socadisc)
- Durée du CD : 71 min
- Note technique : (5/5)
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