CD : de l'affliction à la joie chez Bach et Haendel
Ce généreux CD, enregistré en décembre 2020, doit en partie son existence à la crise de la Covid 19 ayant libéré l'emploi du temps de bien des artistes. Raphaël Pichon dont on sait l'ingéniosité pour composer un programme qui fait sens, a assemblé pour son épouse, la soprano Sabine Devieilhe, des cantates de Bach et des arias de Haendel. Une savante construction partagée entre affliction et joie, ombre et lumière. Pour une immersion artistique qui va bien au-delà du pur plaisir éprouvé à l'écoute d'une voix d'exception.
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Il fallait oser rapprocher des cantates de Bach et des airs d'opéra ou d'oratorio de Haendel. « Nous voulions rendre l'affliction, le repentir, et la joie, le désir à travers des pages profanes et sacrées de ces deux compositeurs », souligne la soprano. De fait, le programme compose un ensemble partagé entre tristesse et allégresse, qui ne manque pas de contrastes, depuis le premier morceau, un chant sacré de Bach, accompagné du seul luth (Thomas Dunford), jusqu'à l'Alléluia final d'une cantate. Le Cantor n'a écrit que peu de cantates destinées à la voix de soprano. Composée en 1714, ''Mein Herze schwimmt im Blut'' (Mon cœur baigne dans le sang), BWV 199, l'est autour du thème de la repentance et du pardon, à travers la figure du Pécheur. La première aria avec hautbois solo expose comme une plainte muette, non sans une puissance opératique. À la seconde, la soprano dialogue avec le violon, puis avec la viole de gambe au choral qui suit. Tandis que la dernière aria, en forme de gigue, conclut sur les mots ''mon cœur est joyeux''. À la fin du récital, point d'aboutissement d'un intéressant parcours, la cantate ''Jauchzest Gott in allen Landen'' (Criez de joie vers Dieu dans tous les pays) BWV 51 offre un climat plus vif, ne serait-ce qu'en raison du solo de trompette et de la vocalité très tendue exigée de la soliste. En particulier à la première aria et au choral et Alléluia final. Entre temps, l'aria N°2 avec solo de viole de gambe est chargée en expressivité. Dans ces deux œuvres, Sabine Devieilhe montre retenue, voire pudeur, et le timbre séraphique sait n'être pas désincarné.
Avec Haendel, les choses sont différentes, car ce répertoire, elle le pratique à l'opéra. Comme ici dans le personnage de Cleopatra de Giulio Cesare in Egitto. « Cléopâtre ne pleure qu'en privé. Mais lorsqu'elle s'abandonne à son chagrin, elle n'est pas si éloignée de la voix des cantates de Bach », relève-t-elle. Deux arias emblématiques du rôle sont exécutées ici : ''Se pietà di me non senti'' (Si tu n'as pas pitié de moi), avec basson obligé, moment de grande vulnérabilité dans de douces vocalises, une des plus profondes inspirations du musicien. Puis ''Piangerò la sorte mia'' (Je pleurerai ma destinée), sommet de déploration, qui connaît divers stades dans l'expression de la douleur, et ce dans un tempo de plus en plus lent. Le chemin passe encore par deux extraits de la Brockes Passion. Dont l'émouvant Duet entre Marie et Jésus (ici chanté par Stéphane Degout) et une courte aria d'une Âme croyante, traduisant dans un rythme syncopé, l'horreur devant la crucifixion. Enfin des extraits de l'oratorio Il trionfo del Tempo et del Disinganno offrent là encore matière à repentance car la figure de Bellezza (La beauté), dans son aria finale, exprime sa résolution à adopter une vie plus austère. Le violon solo semble montrer la voie de la rédemption.
Tout au long de ce cheminement profondément pensé, là où « les larmes coulent, et l'âme cherche le repos » (ibid), on aura admiré l'art suprême de la soprano. Mais aussi celui de l'ensemble Pygmalion et de son chef Raphaël Pichon qui prodiguent le plus idiomatique des écrins grâce à une sensibilité extrême dans les tempos, joliment boulés dans l'opéra de Haendel, créant une vie extraordinaire. À l'aune encore de la Sinfonia de la cantate BWV 146, prise à vive allure et distinguée par la brillante prestation à l'orgue positif de Matthieu Boutineau. Une mention particulière aux autres solistes émérites, comme le violon de Sophie Gent et de Louis Creac'h ou la viole de gambe de Lucile Boulanger.
La prise de son, dans l'ambiance pleine d'atmosphère du Temple du Saint-Esprit à Paris, ajoute au sentiment de sérénité qui émane de ces morceaux et en même temps à l'impression de vraie chaleur sonore. La voix est parfaitement enveloppée dans la merveilleuse gangue orchestrale.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Johann Sebastian Bach : Chant Sacré ''Mein Jesu ! was vor Seelenweh'' BWV 487. Cantate ''Mein Herze schwimmt im Blut'' BWV 199. Cantate ''Jauchzet Gott in allen Landen'' BWV 51. Sinfonia de la cantate ''Wir müssen durch viel Trübsal'' BWV 146
- Georg Friedrich Haendel : Extraits de la Brockes Passion, de l'opéra Giulio Cesare in Egitto (Cleopatra) et de l'oratorio Il trionfo del Tempo e del Disinganno (Bellezza)
- Sabine Devieilhe, soprano
- Avec Stéphane Degout, baryton
- Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
- 1 CD Erato : 0190296677861 (Distribution : Warner Classics)
- Durée du CD : 83 min 37 s
- Note technique : (5/5)
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Bach, Haendel, Sabine Devieilhe, Stéphane Degout, Raphaël Pichon, Pygmalion