CD : le Nabucco de Verdi incarné par l'immense Piero Cappuccilli
Cette réédition rappelle combien cette version du Nabucco de Verdi compte parmi les plus accomplies du catalogue, datant de la grande époque où fleurissaient les intégrales d'opéras. Elle réunit plusieurs voix du roster du label DG des années 1980, à commencer par l'immense Piero Cappuccilli, entouré de quelques chanteurs d'Europe centrale, et est dirigée avec fougue par Giuseppe Sinopoli.
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Premier grand triomphe de Verdi, Nabucco le doit à sa facture musicale tout autant qu'au contexte historique de sa création en 1842 à la Scala de Milan. Le thème d'un peuple opprimé par un envahisseur prenait un retentissement singulier en ces années de résistance en Italie au joug autrichien. De quoi fertiliser l'imagination du musicien. Ce qui se manifeste dans le rôle dévolu aux chœurs, voix d'un peuple méprisé, et trouve son apogée dans le fameux ''Va pensiero''. Mais l'intérêt de ce drame lyrique ne s'arrête pas là. L'écriture orchestrale qui fait largement appel aux cuivres, colore l’œuvre d'un climat monumental et lui confère une teinte souvent martiale qui génère chez l'auditeur un indéniable frisson. Elle possède aussi un côté plus intimiste dans le traitement de ses personnages à travers airs d'un cantabile déjà exceptionnel et ensembles magistralement construits. Surtout, l'opéra est pourvu de duos d'une force dramatique à la hauteur de son sujet. Ainsi de celui opposant Zaccaria et Nabucco, ce type d'échange vibrant entre voix de baryton et de basse, qui marquera bien des chefs-d’œuvre à venir. Ou celui réunissant Nabucco et Abigaille, dans les jardins suspendus de Babylone, alternant la plus vive confrontation et des moments plus consensuels, avant une conclusion au son d'accents guerriers.
La trame, due au librettiste Temistocle Solera, s'inspire d'une pièce française, Nabuccodonosor, écrite en 1836 par deux auteurs tombés dans l'oubli, MM. Anicet-Bourgeois et Francis Cornue. Elle se divise en quatre parties, chacune portant un titre : Jérusalem, l'Impie, La Prophétie, L'Idole brisée. Elle oppose le peuple hébreu et ses oppresseurs les babyloniens, les premiers pleurant avec leur prophète Zaccaria leur pays occupé, les seconds dont leur chef Nabuccodonosor ira jusqu'à se proclamer dieu de l'univers avant que la foudre fasse tomber à terre sa couronne et l'entraîne dans la folie. Cette couronne, Abigaille, une esclave, s'en saisit pour s'emparer du pouvoir et faire condamner à mort Fenena, la fille de Nabucco. Au dénouement, cette dernière, tout comme les hébreux, seront délivrés par Nabucco lui-même, ayant recouvré ses esprits, tandis qu'Abigaille s'empoisonne et demande à être pardonnée de ses forfaits.
Giuseppe Sinopoli épouse les diverses facettes d'une partition riche en rebondissements par une direction extrêmement tendue, souvent menée à l'incandescence, avec précipitation du tempo en fin de phrases, assortie d'accords assenés vivement. Il sait aussi habilement proportionner les ensembles et le soutien aux chanteurs est un sans-faute. On mesure combien cette œuvre de la première manière de Verdi allie bel canto finissant et emphase romantique, ajouté à la grandeur de son sujet biblique. L'orchestre du Deutsche Oper Berlin, avec lequel le chef œuvrait souvent, prodigue une généreuse tinta italienne, tout comme les chœurs maison, quoique la prononciation ne soit pas toujours des plus intelligibles, impression due en partie à une prise de son qui les place souvent à distance.
La distribution est dominée par la prestation de Piero Cappuccilli dans le rôle-titre. Outre un timbre d'une rare plasticité, on admire l'intensité conférée au personnage, la bravoure sans limite aussi bien que le sentiment de soudaine humanité chez un être vaincu par sa propre démesure. On se délecte surtout du legato légendaire, de la phrase intensément soutenue, de celui qui reste un des plus grands barytons Verdi de l'histoire récente. Un seul exemple : la cavatine à l'acte IV ''Dio di Giuda !'' /Dieu de Juda !, dont le geste fier ne manque pas son effet, puis la vaillante cabalette ''O prodi miei, seguitemi''/Suivez-moi, mes guerriers. Une interprétation mémorable assurément. De sa voix lisse de basse, dotée de peu de vibrato et sûre dans le haut du registre, Evgeny Nesterenko, Zaccaria, rappelle la place éminente de ce chanteur russe dans les années 1980 sur les scènes d'opéra et dans les studios d'enregistrement. De la prière du IIème acte, avec cello obligé, une des plus belles inspirations de Verdi, émane une vraie ferveur. La partie délicate d'Abigaille, conçue pour la soprano Giuseppina Strepponi et ses moyens hors norme, appartient à ces voix du XIXème non catégorisées, comme il en sera au siècle suivant, à l'ambitus exceptionnellement étendu. Ghena Dimitrova se tire vaillamment d'affaire grâce à un abattage certain lui permettant d'en affronter crânement les périlleux écarts de tessitures. Ainsi de la cavatine qui ouvre l'acte II, follement ornée avec une quinte aiguë cherchée loin suivie d'une affolante cabalette. Dans ce rôle écrasant, peu d'artistes ont réussi à s'imposer. Une Anna Netrebko aujourd'hui, en l'état de son parcours artistique, sera nul doute à même d'en assurer le challenge lors d'une prise de rôle qu'on dit imminente. Dans les rôles comprimarii, on apprécie la fougue du jeune Placido Domingo, Ismaele, un des plus courts rôles de ténor du répertoire verdien, et dans une moindre mesure la Fenena de Lucia Valentini-Terrani, un peu taxée par le registre aigu.
La prise de son, dans la grande salle de la Radio de Berlin, résiste bien au passage du temps. Les voix, non trop mises en avant, sont captées dans une balance subtile avec l'orchestre. L'ambitus sonore est large avec une différentiation entre vastes ensembles et pages intimistes. Une sorte de mise en espace privilégie les effets de distanciation, quelquefois poussés très loin, comme le chœur ''Va pensiero'' délivré dans un halo lointain.
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Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Giuseppe Verdi : Nabucco. Dramma lirico en quatre parties. Livret de Temistocle Solera
- Piero Cappuccilli (Nabucco), Evgeny Nesterenko (Zaccaria), Ghena Dimitrova (Abigaille), Placido Domingo (Ismaele), Lucia Valentini-Terrani (Fenena), Kurt Rydl (Il Gran sacerdote di belo), Lucia Popp (Anna), Volker Horn (Abdallo)
- Chœur du Deutschen Oper Berlin, Walter Hagen-Groll, maître de chœur
- Orchestre du Deutschen Oper Berlin, dir. Giuseppe Sinopoli
- 2 CDs Deutsche Grammophon : 486 0041 (Distribution : Universal Music)
- Durée des CDs : 60 min 19 s + 64 min 22 s
- Note technique : (4/5)
Écouter des extraits
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