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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : quatuors de la nuit

QuatuorEbene Round Midnight

Les Ébène ne s'endorment pas sur leurs lauriers. Après une intégrale remarquée des Quatuors à cordes de Beethoven, ils embrassent un nouveau projet tout aussi ambitieux quoique de moindre envergure, rapprochant Dutilleux et Schoenberg. Sur le thème de la nuit. Le travail accompli avec deux solistes éminents sur le sextuor à cordes de ce dernier a même conduit leur celliste Raphaël Merlin à écrire une nouvelle œuvre destinée à faire transition entre celui-ci et le quatuor de Dutilleux. Un CD à haute valeur ajoutée.

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L'état, le temps, l'espace de la nuit, comme les émotions qu'elle suscite ou provoque ont inspiré bien des musiciens. Rapprocher les ''nuits'' de Dutilleux et de Schoenberg, participe d'un projet mûri depuis des années par le Quatuor Ébène et qui leur est apparu presque d'évidence. Commande de la Fondation Koussevitzky, pour le Juilliard string Quartet, Dutilleux écrit le quatuor Ainsi la nuit entre 1974 et 1976. Il est constitué de sept sections reliées entre elles par des ''Parenthèses'', sorte de liens au sein d'une œuvre conçue comme un cycle. Ces sections déclinent des thèmes chers au compositeur français, tels le nocturne, l'espace, les constellations, les litanies ou le temps suspendu. Une « longue rêverie contemplative... qui alterne avec la rigueur et la maîtrise », selon l'astrologue René Morlet (cité par Martine Cadieu in ''Constellations, entretiens avec Henri Dutilleux''). Un savant monde sonore extrêmement concentré est offert à l'auditeur : un travail sur le temps circulaire, une succession de relations infimes qu'on ne perçoit peut-être pas au premier abord. Son langage spécifique n'est « ni dans la tonalité ni dans l'atonalité, mais dans une double polarité particulièrement consonante », souligne Raphaël Merlin. L'exécution se révèle d'une étonnante plastique sous les doigts des Ébène.

La Nuit transfigurée op.4 de Schoenberg pour sextuor à cordes paraît plus familière, même si la version chambriste d'origine (1899) reste moins jouée que la transcription pour orchestre effectuée par l'auteur quelques années plus tard. Le thème de la nuit procède de son substrat littéraire, savoir un poème de Richard Dehmel narrant la promenade d'un couple amant dont la femme révèle qu'elle porte un enfant d'un autre. L'homme accepte la situation et ils vont heureux dans la nuit transfigurée. La partition plonge dans un univers envoûtant, intime, au fil d'un cheminement qui va de l'ombre angoissante vers la lumière libératrice. Au fil de diverses sections organisées autour d'une section pivot, les Ébène jouent à fond les contrastes, depuis un ''Sehr langsam'' (Très lent) initial pppp et son crescendo savamment ménagé, jusqu'au ''Sehr ruhig'' (Très calme) final, en passant par luttes, transition interrogative, climax tendu comme un arc et instants magiques où tout bascule dans une musique séraphique et planante. On admire le naturel du geste, ne cherchant pas à aplanir les difficultés qui sont surmontées sans ostentation ni recherche de virtuosité.

Pour riche qu'il soit, le rapprochement de ces deux œuvres appelait pour les Ébène un complément, ou plutôt une transition. Aussi en ont-ils conçu une nouvelle, destinée à former un pont entre elles. Raphaël Merlin, le violoncelliste du quatuor, a écrit une pièce qui à la fois reprend la structure si originale du quatuor de Dutilleux et s'inscrit dans les pas du genre du sextuor à cordes de Schoenberg. Night Bridge, poème nocturne pour sextuor à cordes, présente encore cette particularité de s'inspirer de quatre standards de jazz sur le thème de la nuit. Rien d'étonnant pour l'ensemble français qui cultive de longue date dans son parcours artistique des liens étroits avec le jazz. Passée une brève introduction censée perpétrer l'univers de la fin du quatuor de Dutilleux, les quatre parties jazzy sont entrecoupées de ''Parenthèses'', de plus en plus conséquentes, introduisant la séquence suivante. On entend successivement ''On 'Moon River' 1'' puis ''On 'Moon River' 2'', même si les paroles à l'origine de ce standard ont peu à voir avec la nuit, s'agissant de l'évocation d'un fleuve de Géorgie. Puis ''On 'Night and Day'', écrit uniquement en pizziccatos. ''On 'Stella by Starlight'' est la section la plus développée, la plus aventureuse aussi dans le traitement des 6 voix, avec un solo du violon I caracolant furieusement. Et enfin ''On 'Round Midnight'', du mythique Thelonious Monk, si souvent arrangé. La pièce s'achève sur ''Lever du jour'', hommage au Daphnis et Chloé de Ravel. Au total, « une pièce originale pour sextuor absolument dépendante et consubstantielle aux deux œuvres qui la prennent en sandwich », selon la jolie formule de son auteur. Elle bénéficie de la formidable expertise instrumentale des Ébène et de leurs deux confrères et complices de longue date, Antoine Tamestit à l'alto et Nicolas Altstaedt au violoncelle. Comme dans les autres pièces, le raffinement du jeu n'a d'égal que le flair pour en conjurer les écueils, dont Dutilleux estimait pour ce qui est de la sienne, lors de sa création parisienne par le Quatuor Parrenin, que « le travail de mise au point fut long » (ibid.)

L'enregistrement, à la Ferme de Villefavard en Limousin, offre une exceptionnelle clarté, apte à mettre en relief un travail instrumental fouillé jusque dans ses paroxysmes, comme il en est des sonorités volontairement tendues telle la lame du violon I.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • ''Round Midnight''
  • Henri Dutilleux : Ainsi la nuit pour quatuor à cordes
  • Arnold Schoenberg : Verklärte Nacht, op.4 
  • Raphaël Merlin : Night Bridge, poème nocturne pour sextuor à cordes
  • Quatuor Ébène et Antoine Tamestit (alto), Nicolas Altstaedt (violoncelle)
  • 1 CD Erato : 0190296641909 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 69 min 51 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5)

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Antoine Tamestit, Quatuor Ébène, Arnold Schoenberg, Henri Dutilleux, Raphaël Merlin, Nicolas Altstaedt

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