CD : Telemann et l'alto
Voici un album inattendu et fort original. Où l'on découvre que le jeune Telemann a offert à l'alto ses premiers chefs-d’œuvre, avec deux concertos et quelques pièces pour l'instrument solo, territoire qu'Antoine Tamestit investit avec brio. S'y ajoutent deux Ouvertures de la même époque dont le ton réjouissant est restitué avec bonheur par les musiciens experts de l'Akamus de Berlin. Musiques délectables s'il en est.
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Parmi son immense production, notamment de concertos pour violon, hautbois ou flûte, Telemann n'a écrit que deux concertos confiés à l'alto. Ce qui est peu mais pourtant tout à fait remarquable par sa nouveauté. L'instrument était en effet négligé à l'époque baroque, singulièrement en Italie. Ainsi Vivaldi n'en composera aucun pour lui. C'est dans les pays germaniques qu'il sera tiré de l'oubli, au sein de compositions diverses mais non spécifiquement concertantes. Telemann lui confie son premier concerto connu. Le Concerto pour alto, cordes et continuo en Sol majeur TWV 51:G9 daterait des années 1720, alors que le musicien terminait ses activités à Francfort et s'installait à Hambourg où il mènera celles fructueuses que l'on sait. L’œuvre est en quatre mouvements alternant lent et vif. L'instrument est mis en valeur dans son registre grave, notamment au majestueux Largo initial et à l'Andante expressif, tandis que dans les parties rapides, il est traité de manière brillante mais non virtuose. Quelques temps après, Telemann compose son Concerto pour deux altos, cordes et continuo en Sol majeur TWV 52:G3. Il est intitulé ''Concert pour deux violettes'', terme destiné à définir une forme d'instrument de la famille des violons graves, peut-être de petite taille, comme celui utilisé par Lully, et ne flattant pas ou très peu le registre grave. L’œuvre est également tripartite et fait jouer les deux solistes dans le médium. Elle enchaîne en moins de six minutes, ''Avec douceur'', où ils se détachent que peu du ripieno, ''Gaÿ'', où ils jouent en répons, ''Largo'' où ils brodent avec expressivité, et ''Vivement'' plein d'esprit.
Telemann a laissé plusieurs volumes de fantaisies pour instrument seul, flûte, viole de gambe, et en particulier deux recueils intitulés 12 Fantaisies pour violon sans basse TWV 40:14 et TWV 40:15, datant de 1735. Deux de celles-ci sont données ici dans une transposition pour alto, selon une pratique courante à l'époque. Ce sont des pièces d'un beau geste mélodique. Tout aussi séduisante, la Sonate en canon pour deux altos TWV 40:121, extraite du volume de ''Dix-huit Canons mélodieux'', pour deux flûtes, ou violons, publié à Paris en 1738. L'originalité est que les deux protagonistes, altistes en l'occurrence, jouent souvent la même partie, décalée de quelques mesures, créant une impression de faux unisson.
Le CD offre enfin deux Ouvertures. Parmi la multitude de ce type de compositions chez Telemann, le choix s'est porté sur des œuvres singulières par leur ton plutôt humoristique. Ainsi de l'Ouverture burlesque pour cordes et continuo TWV 55:B8, inspirée des personnages de la Comedia dell'Arte. Après une Ouverture développée, se suivent six danses où le goût de la fantaisie rejoint le pittoresque. On entend successivement ''Scaramouche'' fier de lui, ''Harlequin'' cocasse, la gracieuse ''Colombine'', ''Pierrot'' un peu gauche et, avant un double menuet destiné à faire pause, ''Mezzetino'', survolé, chez un autre Arlequin, ancêtre du futé Scapin, ici déguisé en Turc ! La musique est éblouissante dans un incessant crépitement. Quant à l'Ouverture-Suite ''La Changeante'' pour cordes et continuo en Sol mineur TWV 55:g2, elle montre l'inventivité de la palette du musicien, car chacun des huit morceaux est écrit dans une tonalité différente, sorte de manifestation des fameux ''goûts réunis'' si prisés à l'époque. Là encore, on observe une certaine théâtralité. On y trouve des danses françaises comme la Loure et la Canarie mais aussi le Hornpipe anglais. Les noms des morceaux sont évocateurs : ''La Plaisanterie'' ou ces autres ''Scaramouches''. La présente exécution ajoute quelques percussions pour apporter une note de fantaisie supplémentaire à cette belle ''plaisanterie musicale'', finalement pas si inattendue sous la plume de Telemann.
Ce merveilleux disque se distingue bien sûr par le jeu immaculé et plein d'esprit des musiciens d'Akamus Berlin. Dans le sillage de la grande Tabea Zimmermann, Antoine Tamestit déploie d'envoûtantes sonorités, de chaudes couleurs, qui font de cette voix médiane dans la famille des cordes un instrument essentiel, mieux : incontournable.
Ils sont enregistrés au Teldex Studio Berlin qui prodigue une ambiance aérée aussi bien pour les œuvres concertantes et orchestrales que s'agissant des morceaux solos, tous d'un beau relief.
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Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Violas concertos''
- Georg Philipp Telemann : Concerto pour alto TWV 51. Concerto pour deux altos TWV 52. Sonate canonique pour deux altos TWV 40. Fantaisies pour alto solo TWV 40:14 & TWV 40 :15
- Ouverture burlesque TWV 55:B8. Ouverture-Suite ''La Changeante'' TWV 55:g2
- Antoine Tamestit, Sabine Fehlandt, alto
- Akademie für Alte Musik Berlin, Bernhard Forck, Concertmaster
- 1 CD Harmonia Mundi : 902342 (Distribution : [PIAS])
- Durée du CD : 68 min 28 s
- Note technique : (5/5)
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Antoine Tamestit, Akademie für Alte Musik Berlin, Georg Philipp Telemann, Sabine Fehlandt, Bernhard Forck
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