CD : Jean-Paul Gasparian joue Rachmaninov

Jean-Paul Gasparian a imaginé le programme de ce récital Rachmaninov autour de sa Deuxième sonate pour piano. Une somme de musique hyper virtuose et expressionniste dont les germes sont déjà présents dans les Moments musicaux composés des années plus tôt.

La Sonate N°2 en Si bémol mineur op.36 a été composée par Rachmaninov en 1913, et révisée en 1931 dans un souci de concision. Elle a depuis lors fait l'objet de ''retouches'' par divers interprètes comme Vladimir Horowitz ou plus récemment Hélène Grimaud. C'est un monument du piano postromantique de la part d'un virtuose du clavier, qui souhaitait rendre hommage à Chopin et à sa Sonate N°2 op.35 dont elle reprend la même tonalité. De cette œuvre tumultueuse, presque théâtrale par endroits, expressionniste, Jean-Paul Gasparian donne une exécution dotée d'une technique solide au service d'une belle lisibilité quant à son extrême foisonnement thématique. Ainsi du début de l'Allegro energico et sa rafale de notes comme des vagues emportées. Un deuxième thème plus apaisé, pas moins complexe, donne le ton tragique de l'entier mouvement, avec son chromatisme ardent et ses enchaînements harmoniques audacieux. Le pianiste adopte une déclamation ferme s'accompagnant de forts contrastes aussi bien de dynamique que de tempo. Le Lento, curieusement marqué ''Non Allegro'', libère une cantilène expressive, réminiscence d'un romantisme révolu. Introduit par une page d'un lyrisme étrange, le mouvement se poursuit en un crescendo impressionnant, traversé de sursauts de puissance, et le discours s'interrompt dans une fausse douceur. Le finale Allegro molto voit le retour de l'agitation du début de l’œuvre dans une débauche d'effets percussifs. Un peu sur les traces d'Ivo Pogorelich dans son récent disque, Jean-Paul Gasparian adopte un jeu implacable et ne cherche pas à arrondir les angles.

Écrits en 1896, les Moments musicaux op.16 trouvent leur modèle cette fois chez Schubert. Leurs six pièces, d'une grande liberté de forme, font se succéder un long Andantino d'un ton rêveur, très orné à la main droite, un Allegro d'une grande fébrilité, bardé d'accords sforzando, un Andante cantabile pathétique, un Presto fiévreux, notamment à la main gauche créant un halo fantomatique, un Adagio sostenuto contemplatif et serein, sorte de paysage de l'âme, enfin un Maestoso, maelstrom sonore obsessionnel dans son tournoiement. Le pianiste en restitue les superbes sonorités et les diaboliques envolées.

Il a ajouté quelques pièces isolées. Tel le Prélude en Ré majeur op.23 N°4, tiré des 10 Préludes de l'année 1903, au rythme délicatement balancé à la main droite sur de beaux arpèges de la main gauche, avant d'atteindre un vaste crescendo. Puis le Prélude en Si mineur op.32 N°10, dernier de ceux de cet opus écrit en 1910, offrant un rythme de sicilienne dans un ton extrêmement sombre. Enfin une transcription de la fameuse Vocalise op.34 N°14, initialement conçue pour voix et piano et qui a connu moult arrangements. Celui-ci, dû à Alan Richardson, retrouve la quintessence du style de Rachmaninov dans le registre du lyrisme flamboyant : une page se colorant peu à peu de passion, ici retenue, faisant oublier les déchaînements qu'on relève par ailleurs. Encore une marque du jeu nuancé de Gasparian qui ne cherche pas à trop souligner le côté tellurique de la musique du compositeur.

Il est enregistré à la Fondation Singer-Polignac à Paris, où il est en résidence depuis 2020, dans une ambiance à la fois aérée et proche. La prise de son, analytique, offre l'image sonore d'un instrument occupant tout le spectre, plus large que nature.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

• Sergei Rachmaninoff : Sonate pour piano N°2 op.36. Moments musicaux, op.16. Prélude en Ré majeur op.23/4. Prélude en Si mineur, op.32/10. Vocalise op.34 (extr. des Romances – arr. : Alan Richardson)
• Jean-Paul Gasparian, piano
• 1 CD Evidence :  EVCD085 (Distribution : [PIAS])
• Durée du CD : 64 min
• Note technique :  (4/5)

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