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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Krystian Zimerman et Simon Rattle revisitent les concertos pour piano de Beethoven

Beethoven London Symphony Orchestra

À la fin de l'année 2020, millésime du 250ème anniversaire, Krystian Zimerman et Simon Rattle enregistraient les cinq concertos de piano de Beethoven pour donner leur vision de ces œuvres célèbres, tant visitées au disque. Même par chacun d'eux puisque le pianiste polonais en est à sa seconde intégrale et que le chef anglais en a accompagné deux, celles d'Alfred Brendel et de Mitsuko Uchida. Alors que saisies dans des conditions particulières d'enregistrement dues à la crise sanitaire, leurs interprétations sont tout sauf routine : un partenariat qui fait sens. S'immerger à nouveau dans cette musique avec ces deux géants est effectivement une expérience passionnante qui enrichit encore notre connaissance de ces chefs-d’œuvre.

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« Vous pouvez jouer ces concertos durant toute votre vie et avoir encore faim d'eux », déclare Krystian Zimerman. On peut les entendre pour la énième fois et être encore surpris par leur étonnante richesse, ose-t-on ajouter. « Chaque concerto possède un aspect différent », renchérit le pianiste. Aussi sa manière de les aborder est-elle assortie à ces différences, ne serait-ce que dans la façon de faire sonner son Steinway Grand selon les cinq œuvres, en s'inspirant de la sonorité des instruments de l'époque de Beethoven. Chez un artiste méticuleux au point de connaître parfaitement la mécanique de son instrument aussi bien que la manière d'en jouer, éternellement insatisfait de lui-même, on est frappé d'emblée par la liberté avec laquelle il embrasse ces pages pourtant bien codifiées. Bien sûr, les raffinements interprétatifs relèvent-ils souvent de l'infinitésimal, tel ralentissement ici, telle coloration là, un soulignement distillé ailleurs. Mais l'impression est d'une véritable réappropriation, qui peut surprendre peut-être par un rare souci de sérénité ou au contraire par le parti d'une fougue emportant l'auditeur. Reste qu'une constante demeure : l'approche tout sauf virtuose, au sens de vouloir démontrer un soi-disant ''poids'' des notes, même dans les passages de puissance, associée au naturel de la démarche. Ce qui se traduit par le souci d'un jeu d'une clarté aérienne eu égard à la douceur du toucher, l'envers d'un son percussif. De même, la manière de modeler le son respire-t-elle une évidente simplicité, singulièrement à la main droite quant au caractère gracile des trilles, comme dans les passages arpégés. Ce qui n'enlève rien à la rigueur rythmique. L'association avec le chef anglais, forgée de longue date, montre une complicité palpable : « le sentiment d'une complète et naturelle communication » au point « que nous savons où il nous faut respirer », relève Rattle. « Une relation très inspirante », renchérit Zimerman. De fait, elle est fusionnelle, les deux partenaires se rejoignant dans une vision totalement partagée. Elle prodigue aussi un spectre large en dynamique, jusqu'à l'expression chambriste. Ce que permet aussi un orchestre d'élite, nul doute porté par ces deux géants, où l'on remarque la qualité des bois, clarinette (Largo du N°I, finale du N°III), basson et flûte (Largo du N°III), ou encore hautbois dans le dernier mouvement de ce même concerto.

Krystian Zimerman
Krystian Zimerman ©Mark Allan/DG

Si l'on décline œuvre par œuvre, on apprécie dans le Concerto N°1 en Ut majeur op.15 le jeu coulant et empreint de légèreté du Con brio initial, en particulier à la cadence, la profondeur mêlée à une merveilleuse clarté dans les premières mesures du Largo, pris à un tempo mesuré, ce qui va permettre d'atteindre une sorte d'intimité au médian. Quant au Rondo final, l'esprit bondissant éclate dès son introduction, non conformiste dans son aspect joliment sautillant, sans complexe dans le 2ème thème bien scandé, relayé par des bois ''libérés'', assortissant quelques traits merveilleux dont la mini cadence dans sa ritournelle presque grotesque. Le pianiste polonais qui se rappelle avoir l'habitude de considérer ce N°1 « comme une œuvre sérieuse », dit « maintenant avoir plaisir à jouer ce concerto plus léger, avec plus de joie ». Le Concerto N°2 en Si bémol majeur op.19, le premier composé, le mal-aimé de son auteur, est empreint d'un humour qui serait « méchant et maladroit », note Zimerman, au-delà de son « caractère tempétueux ». Pourtant son ascendance mozartienne n'a jamais été autant évidente qu'ici. Après une introduction orchestrale « pompeuse », selon Rattle, le piano fait son entrée par un thème dégagé et simple, puis soudain un nuage apparaît, vite balayé par le discours allègre du soliste. Les accords seront volontairement appuyés dans les dernières mesures précédant la cadence. Celle-ci, bavarde mais proche aussi du drame, instaure un fascinant dialogue entre deux mondes opposés. L'Adagio se vit presque douloureux dans l'entame orchestrale ouvrant la voie au piano. Qui va tresser une romance d'une suprême facture, là encore dans le souvenir de Mozart. Et la cadence parachève une sorte de quête d'absolu dans un geste inouï, comme retenu, qui vous va droit à l'âme. La sveltesse toute mozartienne, on la retrouve au finale rondement mené, le dialogue soliste-orchestre tenant du miracle dans son humeur presque espiègle, pour finir dans un clin d’œil.

Le Concerto N°3 op.37 en Ut mineur utilise une tonalité associée à la musique tempétueuse chez Beethoven. D'où la nécessité de jouer le con brio dans un tempo très soutenu, notamment dans la partie de piano. Zimerman dit vouloir l'interpréter « comme très dur avec un son plus de granite que de marbre ». De fait, le geste est large à l'entame, en adéquation avec le tempo preste adopté par le chef. Le développement connaît une certaine accélération, traversé en même temps de passages d'une étonnante délicatesse, comme à la cadence : une ''tempête'' raisonnée dans son amplitude et sa superbe vélocité. Au Largo, la cantilène expressive du piano est prise dans une douce allure qui s'impose à l'orchestre jusqu'à un épisode de quasi-immobilisme. Le dialogue avec l'orchestre complètement assagi tient de la magie. Beau contraste avec le Rondo Presto, quoique pas excessivement marqué. Le jeu allégé, quasi dansant de Zimerman fait la différence ici avec bien de ses consœurs et confrères. Le développement est là encore de facture chambriste : orchestre maintenu dans le registre ppp, laissant au piano la primauté. La péroraison est emplie de joie débordante.   

Krystian Zimerman Simon Rattle
Krystian Zimerman & Simon Rattle ©Mark Allan/DG

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Pour Rattle, le Concerto N°4 op.58 en Sol majeur « contient la plus pure musique de tous et quelque chose de mystérieux ». Ainsi de l'introduction confiée au seul soliste, que Zimerman prend avec grande simplicité, comme il en sera de l'entier premier mouvement, dont un développement mêlant fluidité et lyrisme fervent. La cadence tricote la thématique de manière extrêmement inventive et la recherche de la ''juste'' sonorité. La reprise est quasi chambriste. Dans le bref Andante con moto, le piano de Zimerman crée un espace serein dans la conduite de la phrase sur les accords solennels de l'orchestre : alors que le piano semble jouer une partie différente jusqu'à ce qu'il se joigne à l'orchestre dans une belle rétrogradation de puissance et qu'il ait le dernier mot par un génial arpège finissant dans un souffle. Le Rondo final est aussi joyeux qu'emporté, alors que les climats changent souvent, tour à tour d'une fière énergie, par une extraordinaire cavalcade du soliste, et semblant apaisé, puis de nouveau enfiévré. La cadence résume tout cela dans sa souple rigueur, avant une conclusion survoltée.

Le Concerto N°5 ''Empereur'' op.73 en Mi bémol majeur est « une symphonie avec piano », souligne Zimerman. « C'est aussi souvent de la musique de chambre énormément élargie », ajoute Rattle. Il implique bien sûr aussi une totale fusion entre chef et soliste. Elle est ici bien réalité. À l'aune de l'Allegro : une aura grandiose dans l'introduction orchestrale comme dans le geste pianistique. Puis des accès d'intimisme dans le développement. L'Adagio un poco moto, que Rattle considère comme « probablement le plus transcendant de ces mouvements lents où le temps s'arrête », est pris très lent au début et d'une infinie douceur, vraiment chambriste. Avec la pure sonorité cristalline du piano, singulièrement dans les trilles, il se déroule comme une sorte de rêve éveillé. La transition vers le finale s'étire doucement comme si ledit rêve ne voulait pas finir. Mais le Rondo allegro attaca dissipe cette impression, le tempo et la dynamique s'élargissant, fluides et aisés. Le mouvement progresse dans des sonorités éthérées. Non que le passage en tutti en forme de danse ne manque son effet.

Compte tenu des conditions particulières d'enregistrement, en décembre 2020 à LSO St Luke's, la salle londonienne de répétitions de l'orchestre, les musiciens disposés à distance les uns des autres sur toute la surface du parquet de l'église-studio, le résultat est d'un étonnant relief. Le son est plein et clair, l'équilibre piano-orchestre bien jugé, même si le premier est placé en avant, comme dans une situation de concert qui voit souvent l'instrument logé au bord de la scène.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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  • Krystian Zimerman, piano
  • London Symphony Orchestra, dir. Sir Simon Rattle
  • 3 CDs Deutsche Grammophon : 483 9971 (Distribution : Universal Music)
  • Durée des CDs : 63 min 07 s + 69 min 50 s + 39 min 43 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

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