CD : musiques de révolte et d'espoir
Les 15 quatuors que Chostakovitch compose entre 1938 et 1974 sont des concentrés inouïs de musique où il expérimente toujours de nouvelles idées. Ils sont surtout l'expression, souvent habilement codée, d'une résistance résolue au régime soviétique en place. Le rapprochement des Troisième et Huitième que propose le Quatuor Novus démontre combien le sous-entendu et l'ironie diabolique permettent de transcender le pathétisme déchirant et dévastateur.
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Le Troisième Quatuor en Fa majeur op.73, de 1946, est en cinq mouvements et introduit une trame épique, comme les Huitième et Neuvième Symphonies contemporaines. L'Allegretto lance une rythmique chaloupée, typique chez Chostakovitch, comme la traduction en musique de conversations de rue animées. « Il ne faut pas le jouer dans un esprit de méchanceté, mais avec amour » précise-t-il. Suivent deux scherzos dans la veine légèrement sarcastique : le 1er, l'air de ne pas y toucher dans un pianissimo à peine effleuré ou surligné forte dans une phrase rageuse de l'alto, le second cynique, plus martelé et tranchant comme la lame, progressant avec sa manière de batterie. L'Adagio est traversé de questionnements de son thème répété plusieurs fois, où l'alto tient une place essentielle. Au finale Moderato, une timide sensation de retour à la vie, dans un discours trottinant, lutte avec une vision tragique.
Une des œuvres majeures du musicien, le Huitième Quatuor en Ut majeur op.110 a été écrit en trois jours, les 12, 13 et & 14 juillet 1960. Sa composante autobiographique a souvent été soulignée : « je me le suis dédié à moi-même », dira Chostakovitch, impressionné par la vision des ruines de la ville de Dresde suite aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale. C'est aussi un hymne à la mémoire de ces victimes et de celles de la terreur stalinienne. Ses cinq mouvements sont joués sans interruption. Le Largo est une sorte de requiem. Cette sombre entrée en matière débouche sur un Allegro acéré et sarcastique, d'où émerge le motif DSCH. L'Allegretto, en forme de valse qui tourne sur elle-même, renchérit sur ce motif signature, sardonique et triviale. On y trouve des autocitations, singulièrement du Concerto N°1 pour violoncelle, mais également des allusions à d'autres musiciens comme Wagner (Marche funèbre du Götterdämmerung) et Tchaïkovski (Sixième Symphonie). Les dernières phrases sont comme effleurées et tout finit dans une pirouette, que les Novus esquissent joliment. Viennent deux Largos. Le Ier s'ouvre par des accords hachés, prélude à un crescendo tragique, longue phrase sinueuse dans le registre ppp, cultivant le sentiment de révolte devant l'horreur que symbolise la reprise à l'alto du thème poignant du chant de Katerina au dernier acte de Lady Macbeth de Mzensk. Le second conclut mélodieux et comme rasséréné une pièce d'une exceptionnelle force expressive : une tentative d'espoir.
Au-delà d'une magistrale qualité instrumentale, déjà remarquée dans un CD du Quintette de Franck aux côtés de Michel Dalberto les quatre musiciens coréens s'approprient comme peu le langage spécifique de Chostakovitch. Un ton toujours juste, des attaques d'une précision au scalpel sont au service d'un ambitus extrême autorisant des écarts dynamiques significatifs qui vont du ffff asséné mais toujours ''beau'' jusqu'au plus impalpable pianissimo habité d'une suprême délicatesse d'émission.
La prise de son, au SWR Studio Kaiserslautern par les techniciens de la SWR 2, offre une image large, les quatre voix occupant tout le spectre sonore, très proches dans une ambiance agréablement aérée.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Dimitri Chostakovitch : Quatuors à cordes N°3 op.73 & N°8 op.110
- Novus Quartet
- 1 CD Aparté : AP 271 (Distribution : [PIAS])
- Durée du CD : 54 min
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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