CD : L'Estro armonico de Vivaldi mis en perspective
Cet album rapproche les 12 concertos de L'Estro armonico de Vivaldi des arrangements pour clavier de six d'entre eux qu'en a réalisé JS Bach une vingtaine d'années plus tard. Une démarche artistique imaginative que l'on doit à Rinaldo Alessandrini qui s'est entouré de son ensemble Concerto italiano, dont les quatre violons jouent les parties solistes, d'un organiste et de clavecinistes italiens de renom. L'intérêt de ces disques se situe en fait sur deux plans : apprécier l'intégrale des pièces de Vivaldi autant que savourer la comparaison avec les transcriptions de Bach.
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Le premier recueil de concertos pour violon que Vivaldi publie en 1711 à Amsterdam en appelle à l'attention de l'auditeur par son titre singulier ''L'Estro armonico'', littéralement ''L'inspiration harmonique'', mais plus profondément, selon son auteur et l'éditeur, une invite chez celui qui les écoute à faire usage de toutes ses facultés imaginatives. Ces 12 concertos d'une énergie poétique rare sont regroupés en quatre groupes de trois, comprenant dans chaque cas un concerto pour 4 violons, un autre pour 2 et le dernier confié à un seul violon soliste. Ils sont pour la plupart à trois mouvements et fonctionnent sur le principe de l'alternance soli-tutti. On y rencontre l'art consommé de l'écriture de Vivaldi pour le violon et les cordes comme une inventivité débordante dans le renouvellement de la thématique et sa mise en œuvre rythmique. De quoi faire taire la fameuse méchante boutade de Stravinski quant à la répétition infinie d'un même morceau. Autrement dit, voilà des compositions aussi inspirées que novatrices, d'une belle virtuosité et d'une intensité peu commune. Quelques années plus tard, Bach adaptera six de ces pièces sous forme de concertos pour clavecin seul (les Nos 3, 9 & 12), pour 4 clavecins et cordes (N°10) ou pour orgue seul (Nos 8 & 11), suivant ou non la clé d'origine. Rinaldo Alessandrini a choisi de réunir les uns et les autres, permettant une comparaison fort édifiante. Il présente les 18 pièces dans un ordre de son choix, ne suivant pas nécessairement la chronologie de celles de Vivaldi, mais rapprochant en tout cas chacun des six arrangements de Bach du concerto vivaldien correspondant.
On se limitera à signaler quelques spécificités qu'autorisent l'examen croisé des deux sources et cet étonnant jeu d'échos ou de miroir entre concertos italiens d'origine et leurs adaptations, entre style vivaldien et manière du Cantor. Ainsi du Largo presque martelé du Concerto pour violon N°3 RV 310 et son équivalent pour clavecin seul BWV 978, et d'un finale entraînant dans les deux cas. La cantilène presque suave du violon I au Largo du Concerto N°11 pour deux violons et violoncelle RV 565 se retrouve plus chantant encore dans le Concerto pour orgue BWV 596, mais cette fois dégagé du caractère quelque peu théâtral que lui insuffle Vivaldi. Le Larghetto e spiritoso envoûtant du Concerto N°8 pour 2 violons RV 522 se voit magnifié en termes de cantabile dans le Concerto pour orgue en La mineur BWV 593 à son adagio médian. Le Larghetto central du Concerto pour violon N°9 RV 230, lyrique tel un air d'opéra, est adapté par Bach dans son Concerto pour clavecin BWV 972. Le cas du Concerto N°10 pour quatre violons RV 580 est plus intéressant encore car son adaptation par Bach pour 4 clavecins et cordes BWV 1065 offre au second mouvement (Largo-Larghetto-Largo) un changement d'atmosphère plus marqué que dans l'original Largo vivaldien, quoiqu'il retrouve le même allant au finale, particulièrement orné chez Vivaldi, auquel Bach apporte une virtuosité comparable.
Il faudrait encore citer toutes les pages aussi originales les unes que les autres des 12 concertos vivaldiens. Quelques exemples : l'Allegro e spiccato du Concerto N°2 pour deux violons RV 578, le Concerto N°4 pour 4 violons RV 550 et ses quatre mouvements sur le schéma lent-vif-lent-vif, dont un brillant Allegro assai, le Largo hypnotique du Concerto N°6 pour violon RV 356 à travers son solo intense, ou encore l'Allegro final magistralement orné par chacun des solistes sur un irrésistible tutti du Concerto N°8 pour 2 violons RV 522, comme la fugue dans le second mouvement du Concerto N°11 RV 565. Mais aussi l'étonnant dialogue soli/tutti dans le Concerto N°5 pour 2 violons RV 519, déclamatoire à l'Allegro, souverainement chantant dans le registre ppp au Largo, très allant au finale où chacune des deux voix solistes rivalise d'adresse. Quant au Concerto N°7 pour 4 violons RV 567, il s'ouvre par une longue introduction en forme d'Ouverture rappelant la rigueur du style français, influence qui marque aussi le finale en forme de menuet.
L'interprétation est superlative. Avec neuf musiciens composant le tutti (quatre violons, deux altos, un cello, une contrebasse et un théorbe) Rinaldo Alessandrini obtient une vraie transparence du discours. Les mouvements rapides sont alertes et n'ont rien de heurté. Les ornementations sont inventives et sonnent toujours juste. Ses quatre violonistes, Elisa Citterio, Stefano Barneschi, Boris Begelman et Andrea Rognoni, jouent tour à tour en solistes ou dans le tutti, mettant en valeur aussi bien la virtuosité que l'expressivité, du fait d'une exceptionnelle qualité de jeu. Au point qu'on a peine à distinguer la position de soliste(s) de celle de participation au tutti tant l'engagement de chacun et de tous est entier. La contribution des claviéristes est tout aussi remarquable. Que ce soient l'organiste Lorenzo Ghielmi ou les clavecinistes Andrea Buccarella, Salvatore Carchiolo, Ignazio Schifani et bien sûr Rinaldo Alessandrini lui-même, tous apportent leur exceptionnelle expertise aux pièces de Bach. L'impression qui se dégage de toutes ces exécutions est celle d'une belle souplesse et de légèreté, aussi bien aux cordes qu'aux claviers.
L'enregistrement des concertos de Vivaldi, dans un palais romain, est généreusement résonnant mais offre une fine différentiation entre tutti et soli, jusqu'à de judicieux effets stéréo dans les interventions de ces derniers. Les concertos pour orgue, captés dans une église en Suisse, offrent une agréable atmosphère. Reste que les concertos pour clavecin seul voient l'instrument saisi dans un lointain le privant de relief.
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Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Antonio Vivaldi : 12 Concertos op.3 ''L'Estro armonico''
- JS. Bach : 6 concertos, arrangements pour clavier d'après L'Estro armonico
- Lorenzo Ghielmi, orgue
- Andrea Buccarella, Salvatore Carchiolo, Ignazio Schifani, clavecin
- Concerto italiano, Rinaldo Alessandrini, dir. et clavecin solo
- 2 CDs Naïve : OP 73'67 (Distribution : Believe Group)
- Durée des CDs : 78 min 05 s + 81 min 09 s
- Note technique : (4/5)
CD disponible sur Amazon
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