CD : les sonates en trio pour flûte de CPE Bach
Le flûtiste François Lazarevitch et le pianofortiste Justin Taylor présentent quelques-unes des sonates en trio de Carl Philipp Emanuel Bach, qui si elles paraissent moins ''modernes'' que ses œuvres pour clavier, n'en constituent pas moins de parfaits exemples de la vitalité de sa musique de chambre. Le choix du seul pianoforte en lieu et place des parties d'origine de violon et de basse continue apporte à ces pièces une couleur plus austère.
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Ce répertoire particulier, le 2ème fils de JS. Bach le cultive surtout durant sa période dite berlinoise qui le verra s'engager au service du roi Frédéric II de Prusse. Peut-être influencé par les goûts plutôt conservateurs du monarque, flûtiste à ses heures, le musicien compose des pages dans un style moins avancé que celui qu'on lui attribue volontiers et qui le distingue au sein de la famille Bach : celui d'un tenant de la liberté de ton, des audaces harmoniques, de l'expérimentation, comparé à la rigueur de l'illustre Papa. Ces pages prennent d'abord la forme de sonates en trio. Les présents interprètes en offrent quelques-unes assez significatives et mettant en valeur la flûte traversière. De schéma tripartite vif-lent-vif, elles ne dissimulent pas l'influence de JS. Bach. Ainsi des Sonates en trio en Si mineur WQ. 143 & en Ré mineur WQ. 145, datant de 1747, cette dernière ayant d'ailleurs longtemps été attribuée au Cantor. Dans l'un et l'autre cas, CPE Bach adapte de précédentes sonates pour violon remontant à 1731. On y perçoit un art du contrepoint rigoureux, alors que la substitution de la flûte au violon d'origine paraît naturelle. Mais au mouvement lent central de chacune, se fait jour un chant soutenu. Tel est le cas de l'Adagio de la Sonate en trio en Si mineur figurant comme une aria où la voix s'épancherait, ici par le truchement de la flûte douce et enjôleuse, jusqu'à une mini cadence. Le musicien tenant de l'Empfindsamkeit, c'est-à-dire de la sensibilité, de l'émotion en musique, se révèle déjà ici. Dans la Sonate en Do majeur WQ. 149, de la même année 1747, qui voit l'usage d'un matériau inédit cette fois, les deux voix de la flûte et du pianoforte s'épousent naturellement, se renforçant l'une l'autre. La flûte et le clavier mènent alternativement la danse pour un discours extrêmement séduisant. L'instrument a priori soliste se voit disputer la primauté par celui l'accompagnant. Car la partie confiée au clavier est très élaborée, comme à l'Andante médian de cette même œuvre, entamé par celui-ci, rejoint par la flûte tressant moult ornementations et drivant littéralement alors le clavier.
On trouve encore dans le répertoire chambriste de CPE Bach des pièces revêtant la forme de soli instrumentaux. Témoin la Sonate en La mineur pour flûte seule, WQ 132, des années 1760-1763, qui cultive le goût de l'improvisation à travers un schéma original lent-vif-vif. Le premier mouvement Poco adagio est proche du récitatif et les deux derniers offrent une sorte de libre digression. François Lazarevitch en révèle les « trésors d'invention » par un jeu imaginatif qu'il assortit de « modifications parfois conséquentes aux reprises des deux mouvements rapides ». Dans la Fantasia en Fa# mineur pour pianoforte, WQ. 67, CPE donne autrement libre cours à son génie de l'improvisation. Cette œuvre, l'une de ses dernières composées, en 1787, est un parangon d'audaces confinant à l'excentricité : à l'intérieur d'une forme en apparence tripartite, une succession de petites sections aux tempos changeants, tels des sautes d'humeur, laissant même à l'interprète une certaine latitude. La partie centrale, elle-même pourvue des indications Largo-Adagio-Largo, est particulièrement curieuse, quasi déclamatoire, mais dont il émane un étrange sentiment de tristesse.
La présente interprétation fait choix d'une instrumentation particulière, puisqu'aux trois parties d'origine, à savoir flûte, violon et continuo, est substitué le duo flûte-pianoforte. Passé l'effet de surprise, la sonorité particulière du pianoforte, bien différente de celle du clavecin, apporte une couleur plus riche que celui-ci et tout à fait singulière, mais non sans quelque austérité. François Lazarevitch, maître de la flûte baroque, jouant un instrument d'Eugène Crijnen d'après A. Grenser, et Justin Taylor, claviériste d'immense talent, un pianoforte de Paul McNulty d'après A. Walter, joignent leurs forces pour apporter à ces œuvres une faconde mêlée de souple rigueur. Ils sont captés dans une acoustique aussi présente qu'aérée.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Carl Philipp Emanuel Bach : Sonates en trio en Ré mineur, WQ. 145, en Ré majeur, WQ. 83, en Do majeur, WQ. 149, en Si mineur, WQ. 143. Sonate en La mineur pour flûte seule, WQ. 132. Fantasia en Fa# mineur pour pianoforte, WQ. 67
- François Lazarevitch (flûte), Justin Taylor (pianoforte)
- 1 CD Alpha : Alpha 768 (Distribution : Outhere Music)
- Durée du CD : 79 min 54 s
- Note technique : (5/5)
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