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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Andris Nelsons dirige les 1ère et 5ème symphonies de Bruckner

Bruckner Gewandhausorchester

Andris Nelsons en arrive au quatrième album de son intégrale des symphonies d'Anton Bruckner, à la tête de l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig dont il est le Kapellmeister. Il associe la Première symphonie et la Cinquième, toutes deux placées dans le sillage plus ou moins direct de Wagner, dont il donne en ouverture de programme, Prélude et mort d'Isolde. Une belle proposition, magistralement interprétée par une phalange à la patine légendaire.

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Pour le chef letton, « Anton Bruckner transcende en permanence dans ses œuvres les frontières de la forme, de l'harmonie et du contenu spirituel ». Déjà la Première, et bien sûr la Cinquième, sont éloignées des conventions léguées par le classicisme et le romantisme. Ces deux symphonies ont été composées de manière « aussi bien intransigeante qu'audacieuse ». La symphonie N°1 en Ut mineur, dont les premières esquisses remontent à janvier 1965, sera achevée dans le courant de l'année suivante. Entre temps, en juin 1965, Bruckner a assisté à l'Opéra de Munich à l'une des premières représentations de Tristan und Isolde de Wagner, dirigées par Hans von Bülow. Première étape d'un parcours singulièrement prolifique, cette œuvre est le fruit des recherches d'un musicien organiste qui continue à se perfectionner en contrepoint et orchestration. La symphonie sera remaniée à plusieurs reprises, et notamment en 1890-1891 pour l'Orchestre Philharmonique de Vienne, à l'instigation du chef Hans Richter. C'est cette version qu'a choisi de jouer Andris Nelsons, dans une édition critique due à Günter Brosche. On y trouve déjà les ingrédients qui feront le socle des futures compositions : une pluralité de motifs, chacun constamment réinventé, un travail sur l'harmonie inspiré par l'orgue et une riche orchestration faisant la part belle aux cuivres. Ainsi du premier mouvement qui débute sur un rythme de marche et dans le registre piano, pour basculer dans un flot héroïque et « des alliages de cuivres somptueux, veloutés et fulgurants à la fois qui dépassent en splendeur les plus belles sonorités du Crépuscule des dieux », dira Émile Vuillermoz. Un discours maniant l'art du contrepoint, que l'on retrouve au finale con fuoco, imposant une manière très dynamique jusqu'à une coda de fanfare glorieuse. Les deux mouvements centraux offrent à l'Adagio une écriture mélodique hymnique, très chantante aux cordes, truffée de beaux traits des bois, et des harmonies changeantes, tandis que le Scherzo vivace possède déjà le drive des grandes pages de ce type à venir, avec ici une touche presque rossinienne.

La Symphonie N°5 en Si bémol majeur a été composée en 1875-1876. Remaniée peu après par son auteur, elle sera créée en 1894 par le chef Fanz Schalk qui l'aura encore quelque peu arrangée à son goût. Nelsons choisit la version originale de 1878, dans l'édition de Nowak. Eugène Jochum, grand interprète de cette musique s'il en fut, verra dans cette œuvre « la plus brucknérienne des neuf grandes symphonies de l'organiste de Linz ». Elle exploite le procédé cyclique, et ce depuis son vaste premier mouvement entamé par une section Adagio sombre, à laquelle succède un Allegro moderato marqué par un thème chantant des cordes. Le développement alterne crescendos et decrescendos dans une vision de haute spiritualité chez le ''Ménestrel de Dieu'', comme l'appelait Liszt. Ce même mécanisme cyclique se retrouve à l'Adagio qui, dans son dépouillement, offre un sentiment de sérénité. Comme plus tard dans la Septième symphonie, une sorte de choral de l'ensemble du quatuor à cordes s'y développe puissamment. Dans ces ''divines longueurs'' brucknériennes, Nelsons n'hésite pas à élargir encore le tempo. Le Scherzo semble brocarder le mouvement précédent, de ses multiples thèmes hétéroclites et le Trio est poétique dans son apparente simplicité. L'imposant finale combine les divers motifs des mouvements précédents en une succession de séquences d'un contrepoint serré, où est même insérée une double fugue, et une alternance de passages ppp et fff jusqu'à une péroraison grandiose très cuivrée.

De ces deux œuvres, Andris Nelsons donne des exécutions extrêmement réfléchies. Il possède indéniablement l’essence hautement spirituelle de cette musique. Cela se ressent à la manière de s'emparer de son vaste ambitus sans pour autant se laisser aller à l'exubérance. Mais participe aussi du souci de ne pas se perdre dans les méandres de la pensée du musicien, là où l'assemblage d'éléments a priori disparates doit faire sens. Mais le chef creuse singulièrement les écarts dynamiques, opposant d'étonnants pppp des cordes à des fortissimos impressionnants couronnés des cuivres, lesquels ne sonnent cependant jamais bruyants. Cette impression de presque dilatation de la dynamique va souvent de pair avec une tendance au ralentissement du tempo : le discours prend son temps. L'école précédente des chefs ''brucknériens'' germaniques que furent Jochum ou von Karajan, pour ne citer que ces deux maestros, n'élargissait pas à ce point le tempo et misait sur un ambitus sonore moins excessif. Reste que tout est question de cohérence interne, de juste proportion à l'intérieur même d'un mouvement. Nul doute qu'une telle vision doit plus encore capter l'attention de l'auditeur dans l'expérience du concert que dans l'écoute aveugle qu'autorise le médium du CD. Quoi qu'il en soit, Andris Nelsons bénéficie de la formidable plastique de l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig et de l'expertise de musiciens hors pair : à la chaleur des cordes fait écho la délicatesse des bois, le tout encadré par des cuivres chantants et des percussions qui ne forcent pas. Ce que l'on retrouve dans Prélude et mort d'Isolde de Wagner, placé en ouverture de l'album : un incandescent crescendo, sur le versant lent en première partie, plus allant au finale de l'opéra.

Les enregistrements, effectués entre 2019 et 2021, l'ont été en mode studio dans la salle du Gewandhaus. L'image sonore est spacieuse et naturelle quant à l'étagement des plans, les bois situés à bonne distance et les cuivres justement pas trop proéminents. L'impression est d'un meilleur relief dans la 5ème symphonie que pour ce qui est de la 1ère où un phénomène d'écrasement sonore se fait sentir dans les tutti les plus exposés.

Texte de Jean-Pierre Robert     

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Plus d’infos

  • Anton Bruckner : Symphonie N°1 en Ut mineur. Symphonie N°5 en Si bémol majeur
  • Richard Wagner : Prélude et mort d'Isolde (extrait de Tristan und Isolde)
  • Gewandhausorchester Leipzig, dir. Andris Nelsons
  • 2 CDs Deustche Grammophon : 486 2083 (Distribution : Universal Music)
  • Durée des CDs : 72 min 36 s + 74 min 37 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5) 

CD disponible sur Amazon 



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