CD : Debussy orchestré, quelques joyaux...
Quelle magnifique idée d'enregistrer les trois partitions de Debussy orchestrées par ses amis et disciples Henri Büsser et André Caplet. Pensées pour le piano, la Petite Suite, La Boîte à joujoux et Children's Corner voient leur suprême concision comme leur élégance gallique démultipliées dans l'écriture orchestrale combien limpide des transcripteurs. On y savoure aussi combien Claude de France aimait évoquer le monde de l'enfance et partageait un sens revendiqué de la simplicité, lui qui professait que « l'extrême complication est le contraire de l'art ». Ce que les interprétations de l'Orchestre des Pays de la Loire et de Pascal Rophé démontrent à la perfection.
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La Petite Suite que Debussy écrit pour piano à quatre mains en 1899, sera orchestrée par Henri Büsser en 1907, à la satisfaction de son auteur. Quatre vignettes en composent le programme. ''En Bateau'', andantino frémissant, se déploie sur un rythme de barcarolle. ''En cortège'' est d'une souple énergie, d'un irrésistible charme dans ses arabesques. ''Menuet'' l'est tout autant dans son tempo de danse à trois temps, évocation d'un monde un peu compassé, avec des parties de bois sophistiquées, bassons, clarinettes et hautbois, et sa péroraison où tout rebondit généreusement. Enfin ''Ballet'', Allegro giusto, se veut une vraie invitation à la fête, joie sans nuages, alors qu'une section médiane laisse le temps de reprendre son souffle, avant un finale, sorte de da capo renchérissant en farandole glorieuse. La présente exécution apporte à cette géniale musique sa belle respiration et surtout sa transparence. On aurait juste aimé à la section initiale un tempo moins lent, ici presque trop languissant.
Debussy dédie ses Children's Corner de 1908 à sa fille, ''à sa chère petite Chouchou''. Pensée pour le piano, l’œuvre sera orchestrée en 1913 par le disciple André Caplet avec infiniment de goût et dans le respect scrupuleux des intentions du maître. Qui se piquant de culture anglaise, écrit les titres des six morceaux dans la langue de Shakespeare. Fantaisie et humour se partagent ces six pièces. ''Doctor Gradus ad Parnassum'' se veut un pastiche de la difficulté des études de piano. ''Jumbo's Lullaby'' ou la ''Berceuse des éléphants'', hommage au fameux pachyderme de cirque nommé Jumbo, s'achemine ''doux et un peu gauche'' dans un climat mystérieux avec en prime une citation de la comptine ''Do, do, l'enfant do''. ''Sarabande for the Doll'', léger et gracieux, évoque un jouet de porcelaine chinoise par une allure trottinante, la finesse de l'orchestration, notamment aux bois, en démultipliant le climat gracieux. ''The Snow is Dancing'', modérément animé, introduit une ambiance plus grave, à l'image des flocons tombant doucement ou en bourrasques. ''The Little Shepherd'' voit le petit pâtre jouer du hautbois et non de la flûte comme un certain faune. Enfin, de son Allegro syncopé proche du rag-time, ''Golliwogg's Cake-Walk'' singe railleur, si on y prête une oreille attentive, Wagner et les premières notes du Prélude de Tristan und Isolde. L'orchestre français et son chef, attentif aux moindres volutes de cette musique souvent opalescente, en signent une version de référence.
Avec La Boîte à joujoux, ballet pour enfants, Debussy poursuit en 1913 dans cette même veine hédoniste. Là encore Caplet orchestrera, l'année suivante, un édifiant conte, conçu à l'origine pour piano et mettant en scène trois personnages : une Poupée, un Soldat et un Polichinelle, outre l'effluve immatérielle d'une rose échappée de la main de celle-ci. L’œuvre se déroule en quatre tableaux dans lesquels le musicien instille une jolie dose d'humour mêlée à une tendresse touchante, à travers des auto-citations et une brassée d'airs enfantins connus, alors que chacun des personnages se voit doté d'une rythmique propre. Un Prélude, ''Le sommeil de la boîte'', découvre l'objet physique du conte. Le 1er tableau, ''Le Magasin de jouets'', figure les jouets s'échappant de ladite boîte pour former une ronde et créer une dramaturgie où la Poupée se moque du Soldat pour lui préférer le Polichinelle qui lui conte fleurette. S'en suit ''Le Champ de bataille'' entre soldats et polichinelles, à coups de petits pois en guise de canonnade. Une bribe de la marche du retour des soldats ''Gloire immortelle de nos aïeux'' du Faust de Gounod signe le départ des hostilités. Le climat, de plus en plus menaçant, est tempéré de plages élégiaques, telle une arabesque de la flûte solo. Les projectiles tombent comme des plumes ou des mini obus pas trop méchants. Alors qu'il est blessé, Le Soldat porte sur son cœur la rose en guise de baume. Le 3ème tableau ''La Bergerie à vendre'', montre les jours heureux que coulent désormais la Poupée et le Soldat, entre autres au son d'un solo de cor anglais. On croise quelques notes de la comptine ''Nous n'irons plus au bois''. Enfin ''Après fortune faite'' évoque un passé fait de moments doux ou amusants sur l'air ''J'ai du bon tabac''. Car bien que vieillis, les deux amoureux sont heureux comme au premier matin, témoin leur belle descendance. L’Épilogue, dans le registre ppp, voit la boîte se refermer doucement sur un dernier salut du Soldat. Pascal Rophé et ses musiciens livrent là encore avec tact et une lumineuse palette, notamment à la petite harmonie, l'immense poésie qui affleure de ces pages magistrales.
L'enregistrement, au Centre de Congrès d'Angers, parachève cette réussite, car la prise de son est un modèle d'équilibre des plans, de naturel de l'image et d'immédiateté de l'orchestre.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- ''Debussy orchestrated''
- Claude Debussy : Petite Suite, L.65 , orch. Henri Büsser. La Boîte à joujoux, ballet pour enfants, L.136, orch. André Caplet. Children's Corner, L.113, orch. André Caplet
- Orchestre National des Pays de la Loire, dir. Pascal Rophé
- 1 CD Bis : Bis-2622 (Distribution : Outhere Music France)
- Durée du CD : 65 min 07 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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