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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : airs et duos d'opéras et d'opéras-comiques français

Rivales Gens Piau

Cet album est une mine documentaire et artistique. Un hommage à deux voix célèbres de la fin du XVIIIème siècle français, la Saint-Huberty et la Dugazon. Aussi bien que la découverte (avec huit premières au disque) d'airs du répertoire de l'opéra et de l'opéra-comique de cette époque, où elles triomphèrent respectivement dans l'un et l'autre. Et enfin la rencontre inespérée de deux artistes combien attachantes, Véronique Gens et Sandrine Piau, idéalement choisies et assorties pour l'interpréter. L'addition de ces trois paramètres nous vaut un passionnant face-à-face.

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« Rivales n'est qu'une farce, une guerre imaginaire entre deux divas, mais la mise en scène de leur fausse rencontre nous offre le plaisir de vraies retrouvailles », clament-elles en chœur. À la fin du XVIIIème, les scènes parisiennes, de l'Académie royale de Musique et de la Comédie italienne, se partagent le répertoire de l'opéra pour la première, de l'opéra-comique pour la seconde. Et pareillement deux grandes voix, Anne-Antoinette-Cécile Saint-Huberty, prédisposée par sa voix de mezzo-soprano à chanter l'opéra, Louise-Rosalie Dugazon pour se produire dans l'autre genre alors naissant de l'opéra-comique, auquel la destine sa voix plus claire. Près de deux siècles et demi plus tard, Véronique Gens et Sandrine Piau s'inscrivent dans les pas de leurs illustres devancières au fil d'une brassée d'airs et de duos. En partant du postulat que le timbre de soprano de l'une et de l'autre présente une couleur différente, celui de Véronique Gens sera assigné à la Saint-Huberty et la voix de Sandrine Piau à la Dugazon.

Ainsi Véronique Gens alias Saint-Huberty nous offre un des grands morceaux tragiques de l'Alceste de Gluck ''Divinités du Styx'', gratifié du phrasé somptueux qu'on lui connaît sur un tempo vaillant rehaussé de cuivres. De même Armide de l'opéra Renaud d'Antonio Sacchini clame-t-elle le vengeur ''Barbare amour'', air strophique de facture très classique qui, dans un tempo retenu, contraste avec le caractère vindicatif du texte. Dans un mode plus agité, Ariane dans Ariane sur l'île de Naxos de Jean-Frédéric Edelmann (1749-1794) manifeste son attente fébrile de Thésée dans l'air ''Il ne vient point''. Enfin de L'embarras de richesses de Grétry, la jeune Rosette chante un hymne à l'amitié et à l'amour naissant dans un air à couplets de ton légèrement mélancolique. On ne peut mieux illustrer les diverses facettes du talent de la diva de référence et de celle qui lui rend hommage, car Gens étale ici ses dons d'immense tragédienne.

Dans le sillage de la Dugazon, Sandrine Piau montre combien le répertoire embrassé par celle-ci fut finalement assez varié. La facette virtuose est à l’œuvre dans l'air d'Arsène ''Où suis-je'' tiré de l’opéra-comique de Pierre-Alexandre Monsigny La belle Arsène (1773) : dans un climat tempétueux avec force percussions, l'héroïne clame son effroi. L'air de Nicolette extrait de Aucassin et Nicolette de Grétry offre un modèle strophique dans un ton agréable malgré la douleur de l'amante délaissée. Sextus de La clemenza di Tito de Gluck avoue sa passion amoureuse dans une mélodie cantabile avec montée dans l'aigu maîtrisée plus en intensité que dans la brillance. De même, un extrait de Fanny Morna d'un certain Louis-Luc Loiseau de Persuis (1769-1819), offre-t-il une grande scène dramatique qui, après une introduction orchestrale développée avec concertino des bois, fait se succéder récitatif déclamé avec orchestre puis un air tour à tour de complainte éplorée et de récit haletant. Comme sa prédécesseure, Sandrine Piau montre la diversité de ses talents aussi dramatiques que virtuoses.  

Le programme ajoute des duos, créant peut-être d'improbables rencontres, car il n'est pas établi que Dugazon et Saint-Huberty aient partagé la même scène au cours de leur carrière. Peu importe, les deux prétendues ''rivales'', et néanmoins amies cette fois, se joignent le temps de trois échanges magnifiques, quoique de facture assez différente. Du Démophon de Cherubini (1778), le centurion Ircile tente de consoler Dircé promise à une mort certaine. Le duo réunissant Arsinda et Luceio tiré de La clemenza di Scipione de JC Bach est brillant avec un finale très orné où les deux voix se mesurent dans des vocalises aiguës. Enfin le duo Camille-Adolphe extrait de Camille et le souterrain (1791) de Nicolas Dalayrac (1753-1809) met en scène mère et fils dans un échange tour à tour fébrile et éploré.

On l'a compris, le face-à-face imaginé par Benoît Dratwicki, directeur du CMBV, et le chef Julien Chauvin, nous vaut un disque quasi anthologique qui comblera les spécialistes et aiguisera l'attention des ceux avides de découvrir du nouveau sur la planète vocale. Car outre la mise en lumière d'un répertoire tombé dans l'oubli, entre baroque et romantisme, la magie des deux voix de Sandrine Piau et de Véronique Gens opère de la première à la dernière note de ce singulier programme. « Deux voix jumelles qui semblent ne jamais s'être perdues de vue et qui se retrouvent et s'entrelacent », souligne Julien Chauvin. Deux artistes qui depuis leurs débuts avec William Christie, mènent une belle carrière, même si par des parcours différents. Au mieux de leur forme vocale, elles nous émeuvent par la justesse de ton dont elles assortissent ces morceaux. Elles sont soutenues par Julien Chauvin et ses merveilleux musiciens du Concert de la Loge, qui se font une fête de ces musiques riches, en particulier pour ce qui est des pupitres des bois et des cuivres.   

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L'enregistrement à l'abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache met en valeur les deux voix dans un juste équilibre avec l'orchestre. La légère réverbération du lieu ajoute même une étonnante note de relief dramatique.

Texte de Jean-Pierre Robert  

Plus d’infos

  • ''Rivales''
  • Airs et duos extraits d'opéras et d'opéras-comiques de Pierre-Alexandre Monsigny (La belle Arsène), Jean-Frédéric Edelmann (Ariane dans l'île de Naxos), Johann Christian Bach (La clemenza di Scipione), Christoph Willibald Gluck (La clemenza di Tito, Alceste), Louis-Luc Loiseau de Persuis (Fanny Morna), André-Ernest Grétry (L'embarras de richesses, Aucassin et Nicolette), Luigi Cherubini (Démophon), Antonio Sacchini (Renaud), Nicolas Dalayrac (Camille ou le souterrain)
  • Véronique Gens, Sandrine Piau, sopranos
  • Le Concert de la Loge, violon et dir. Julien Chauvin
  • 1 CD Alpha classics : Alpha 824 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée du CD : 63 min 12 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

CD disponible sur Amazon



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