CD : De l'équilibre interprétatif dans la musique de Mendelssohn
Le violoniste Augustin Dumay a conçu le programme de ce CD Mendelssohn à partir de son instrument, en réunissant le concerto, une des sonates et quelques Romances sans paroles, jouées ici dans leur arrangement pour piano et violon. Un concept judicieux qui d'une part, rapproche des interprètes de diverses générations et un orchestre jouant sans chef. Et d'autre part, se propose d'interroger la pratique interprétative des œuvres sur la base du dialogue entre musiciens « en se gardant autant que possible d'un nouvel académisme représenté par les modes du moment », et pour « éviter ainsi le risque évident d'uniformisation des interprétations », souligne-t-il.
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Sa vision du célèbre concerto pour violon et orchestre en Mi mineur op.64 en est la parfaite démonstration. Elle offre en effet une lecture alliant raffinement et naturel du geste, à l'opposé de tout étalage démonstratif, et souligne aussi les originalités d'une composition qui n'en est pas avare. Mendelssohn ne l'a-t-il pas peaufinée durant plusieurs années, de 1838 à 1844. À commencer par celles caractérisant l'Allegro molto appassionato alignant une brève introduction orchestrale, et non une vaste entrée en matière avant celle du soliste, puis une étonnante richesse thématique. Sans parler de la place de la cadence, au sommet du développement et non après la réexposition comme prôné par les canons du romantisme. Enfin de l'épilogue dans un magistral fondu enchaîné avec le retour du premier thème jusqu'à une coda évoluant entre poétique et jolie virtuosité. Ce que Dumay et son orchestre bien sonnant sans être épais restituent avec une vraie justesse de ton. Après la longue note du basson servant de transition vers l'Andante, nous entrons dans l'univers d'une quasi ''Romance sans paroles'' d'un lyrisme serein qui saura connaître un réchauffement passionné au médian du mouvement. Une courte section Allegretto non troppo, intermède en forme de récitatif, annonce le finale Allegro molto vivace. Celui-ci est attaqué fièrement mais sans dureté avec la pirouette du soliste annonçant un passage scherzando, dans le style enjoué typique de Mendelssohn, non appuyé ici par Dumay qui privilégie la fluidité et la souplesse y compris dans la manière bien articulée d'aborder le robuste second thème. La coda nous entraîne dans un univers enchanté digne du Songe d'une nuit d'été.
La Sonate pour violon et piano en Fa majeur de 1828, ''redécouverte'' par Menuhin et publiée seulement en 1953, offre pareil achèvement. À la joie de vivre et l'exubérance de l'Allegro vivace, décidé et passionné de la part des deux partenaires, succède le lyrisme intense de l'Adagio introduit par le piano expressif de Jonathan Fournel, et offrant au violon une partie dépourvue d'affectation sous l'archet de Dumay. Même si un épisode mineur instille quelque drame, la coda revient à la douce poésie du début. De l'Assai vivace conclusif, à la tournure de scherzo, Dumay et Fournel ne mégotent pas la rythmique enivrante, là où les deux voix sont traitées sur un pied d'égalité, formant un vrai duo. On est emporté par l'élan soutenu adopté par les deux musiciens qui en épousent la sinuosité et le ton joyeux. Une interprétation différente de celle due à Alina Ibragimova et Cédric Tiberghien, parue il y a peu, mais tout aussi séduisante.
L'autre audace de ce disque est sans doute la poignée de pièces pianistiques appelées Romances sans paroles, données ici dans des arrangements pour violon et piano, dus à David Walter et à Fritz Kreisler. On sait que Mendelssohn en a composé plusieurs recueils entre 1829 1845. Dumay et Fournel en ont choisi 9. Ainsi de l'op.19b, le N°4, simplement chantante, ou N°5 Poco agitato, complexe dans sa modulation. Ou de l'op.62 No 1, andante leggiero, installant un dialogue chaleureux, ou N° 4 dite ''La fileuse'', preste, aérien et joliment articulée - le bis favori d'Arthur Rubinstein et l'indicatif de l'émission de radio ''Le masque et la plume'' - ou encore le N° 6 ''Le chant du printemps'', bondissant de ses délicats arpèges du piano.
Augustin Dumay, Maître en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth fait équipe avec le jeune Jonathan Fournel, Ier prix du Concours Reine Elisabeth 2021. La symbolique est forte, à l'aune d'une entente artistique parfaite. Car comme le souligne l'aîné, « le dialogue nous a permis d'explorer, d'expérimenter, d'avancer, d'imaginer », puisqu'aussi bien « la musique de Mendelssohn ''le classique des romantiques'' a été propice à la recherche de ce subtil équilibre ».
Le concerto, enregistré au Purchase College dans l’État de New York, offre un équilibre satisfaisant entre soliste et orchestre. Les deux œuvres chambristes, captées à la Salle de musique du Théâtre populaire roman de La Chaux-de-Fonds, bénéficient de prises de son quelque peu différentes, offrant une meilleure balance entre les voix dans les romances que pour la sonate, là où le piano est saisi dans une acoustique très ouverte.
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Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Felix Mendelssohn : Concerto pour violon et orchestre op.64. Sonate pour violon et piano en Fa majeur. Romances sans paroles (extraits, transcriptions pour violon et piano de David Walter & Fritz Kreisler)
- Augustin Dumay, violon
- Jonathan Fournel, piano
- Orpheus Chamber Orchestra
- 1 CD Onyx : 4230 (Distribution : [Integral] Distribution)
- Durée du CD : 75 min 14 s
- Note technique : (4/5)
CD disponible sur Amazon
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