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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Partenope de Haendel au Festival de Beaune ou six personnages en quête d'amour

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Saluts à l'issue de la Ière représentation à Thiré, août 2021 ©DR

Pour son quarantième été, le Festival d'opéra baroque & romantique de Beaune s'est entouré de ceux qui ont fait sa renommée, et bien sûr de William Christie, un des essentiels de la première heure. Pour célébrer cet anniversaire, le Maître a choisi l'opéra Partenope de Haendel, dans une production semi staged qu'il promène depuis son propre Festival de Thiré, en passant par Paris et plusieurs haltes européennes. Entouré des chanteurs de la Dixième promotion de son Jardin des voix, cuvée 2021, marquant aussi le 20ème anniversaire de cette prestigieuse Académie. Un moment magique sous la nuit étoilée de Bourgogne.

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Créé en 1730 au King's Theater de Londres, Partenope est un drame antihéroïque, bien différent de la veine seria essentiellement pratiquée jusqu'alors par Haendel. Une comédie de mœurs douce amère plutôt, de l'infernale tyrannie de l'amour, où finalement tout s'arrange dans un bref lieto fine, un peu comme il en ira plus tard dans le Cosí fan tutte de Mozart. Le sujet, emprunté au poète Silvio Stampiglia et qui avait déjà été mis en musique par Luigi Mancia (1699), puis par Antonio Caldara (1708) et Leonardo Vinci (1725), prend pour support le mythe de la fondation de la ville de Naples par la sirène Partenope. Celle-ci est courtisée par trois soupirants, l'inconstant Arsace, prince de Corinthe (castrat), le fidèle Armindo, prince de Rhodes (rôle travesti) et le belliqueux Emilio, souverain ennemi, prince de Cumes (ténor). Un personnage mystérieux, Rosmira, femme déguisée en homme sous le nom d'Eurimene, fiancée d'Arsace, est au centre de cette constellation instable. Car il ne faut pas chercher ici d'action héroïque, mais constater les ravages causés par le tourment des sentiments intimes. De déguisements en conflits d'identité, Haendel peint quelques portraits savoureux qu'il a, bien sûr, confiés à des interprètes choisis pour la brillance de leur chant, comme la soprano Anna Maria Strada del Pò, le castrat Antonio Bernacchi, puis lors d'une reprise, le célèbre Senesino. Musicalement, l'opéra renferme des arias fort variées qui souvent prennent leur distance avec le strict schéma da capo, et quelques morceaux symphoniques apportant une amusante note chevaleresque (sinfonias ouvrant les actes II et III, marche précédant la scène de bataille...). Surtout il est gratifié d'ensembles : s'ils se distinguent des duos d'amour conventionnels, les duos, généralement brefs, font avancer l'action (Arsace-Partenope au Ier acte ou Partenope-Emilio, au IIème acte). Plus rares chez le compositeur, des trios, dont celui mettant aux prises les trois prétendants Armindo, Emilio et Arsace au début de l'acte III, et plus tard Partenope, Arsace et Rosmira, voire des chœurs réunissant les 6 personnages, apportent une note vraiment originale à ce 17ème opéra haendélien.

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Alberto Miguélez Rouco (Armindo) & Ana Vieira Leite (Partenope), sous l’œil de William Christie ©DR 

L'exécution concertante donnée à Beaune, ultime étape d'une tournée d'une quinzaine de villes, initiée à Thiré à l'été 2021, bénéficie d'une mise en espace due à Sophie Daneman, naguère soliste des Arts Flo. Qui en fait met en scène avec goût et esprit cette fine comédie. Cette présentation a l'avantage de dessiner les six caractères peints par Haendel, de manière aiguisée et avenante, rendant lisible une action somme toute enserrée dans un multiple chassé-croisé amoureux. Ainsi de la reine Partenope, femme assurée - on dirait aujourd'hui ''femme puissante'' - que n'affleure pas le doute, digne et sûre d'elle-même. Quoique titillée par les affres de l'indécision du cœur, de ses intermittences sans doute. De ses trois soupirants : Armindo, l'amoureux appliqué, discret, à la limite de la timidité, mais finalement vainqueur du cœur de la belle. Ou Emilio, guerrier fanfaron à l'envi, maniant l'hyperbole, et ici une force presque ''m'as-tu-vue'', mais qui à force de vouloir damer le pion à ses adversaires en amour, est ridiculisé par eux, comme rapetissé sur une chaise d'enfant, pour être à la fin mis échec et mat. Arsace enfin, prince instable, car lui qui aime une autre que la reine, est pourtant aimé d'elle, et donc ne sait pas où sa flamme est destinée, empruntant un chemin dangereux vis-à-vis de Rosmira-Eurimene, dont au bout du compte il obtiendra la main. Du personnage ambigu de Rosmira, clé de voûte de l'affaire, sous les habits masculins d'Eurimene, on peut penser qu'il fait figure de quatrième prétendant dans la joute amoureuse, car elle/il est aussi chantre du double jeu, entre fureur et jalousie, entre les identités de princesse de Chypre et d'un soi-disant prince arménien. Car on aimait à l'époque mêler ces nationalités lointaines. Reste le Capitaine des gardes Oromonte qui pimente l'action de quelques petites touches amusantes. La régie les fait intervenir dans une gigantesque partie d'échecs, avec pions blancs et noirs et dés de jeu colorés vert et bleu. Et surtout les anime de la plus naturelle façon en tous endroits du plateau, devant, parmi ou derrière les musiciens et leur maestro. Chacun est typé avec adresse et son chant devient plus qu'un medium de ce qu'il ressent et véhicule de ses sentiments vrais ou cachés.

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Ana Vieira Leite (Partenope), Matthieu Walendzik (Oromonte), Alberto Miguélez Rouco (Armindo), Hugh Cutting (Arsace), Helen Charlston (Rosmira/Eurimene) ©DR

Ces six personnages, lauréats de la 10ème promotion du Jardin des voix, millésime 2021, forment une troupe de choix qui a peu à envier aux solistes des grandes maisons ou des labels de disques. Leur CV est d'ailleurs déjà impressionnant. Voix de soprano corsée, Ana Vieira Leite donne de l'engagée reine Partenope un portrait aussi diversifié que l'autorisent des arias véhiculant un panel de sentiments variés, de l'ineffable ''Qual farfalletta'' (Tel un petit papillon), sur un accompagnement délicat des violons et une section da capo mezza voce, au sarcastique, à l'heure du choix de qui va s'emparer d'un cœur enamouré, ''L'amour a double visage''. Les notes extrêmes dont Haendel parsème le rôle sont négociées avec tact. Du personnage d'Arsace, le plus gratifié vocalement, Hugh Cutting, timbre séduisant de contre-ténor, dessine une figure à multiples facettes, jeune homme tour à tour désinvolte, anxieux, mais aussi astucieux. N'invente-t-il pas en effet un stratagème pour confondre Rosmira-Eurimene et la contraindre de révéler son identité réelle : en exigeant qu'« il » combatte torse nu ! La ductilité du chant, la plénitude d'émission, la beauté des ornementations, le souffle sont enthousiasmants. Ne fait-il pas son miel de la rythmique inexorable de l'aria ''Furibondo spira il vento'' (Le vent souffle avec violence), ou du lyrisme pétri d'émotion contenue de l'aria de l'endormissement ''Mais quelles sont ces notes mélancoliques'' (III/6) d'une étonnante modernité mélodique, parée de pianissimos envoûtants. Alberto Miguélez Rouco, Armindo, autre remarquable contre-ténor, de moindre projection peut-être que son collègue, pas moins raffiné pour autant, est touchant aussi à l'heure de l'aria ''Non chiedo o luci vaghe'' (Je ne demande pas, ô yeux que j'adore). Jacob Lawrence, Emilio, est un ténor aussi assuré vocalement qu'il est dramatiquement extraverti, fantastique de puissance dans l'aria di furore ''Barbaro fato, si'' (Fortune impitoyable). Helen Charlston, Rosmina/Eurimene, dispense un timbre de mezzo-soprano aux graves avantageux, avec quelque chose d'animal dans la voix, en particulier dans le grandiose air démonstratif avec deux cors obligés ''Io seguo sol fiero'' (Seul et fier, je poursuis...) et le duo avec Arsace (II/4) ponctué d'un cri de fureur. Quant à Matthieu Walendzik, Oromonte, il offre un clair et pétulant baryton basse.

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William Christie n'avait semble-t-il jusqu'alors pas abordé cette œuvre de Haendel. Sa direction offre un raffinement tout italien et d'une rigueur non heurtée. La souplesse de la battue tire de son ensemble des Arts Flo des sonorités envoûtantes, à l'aise dans la musique si fleurie de Haendel, qu'il agisse en formation pleine du ripieno ou de continuo (David Simpson, violoncelle, Joseph Carver, contrebasse, Florian Carré, clavecin). Les solos aussi sont pures perles, qu'ils soient de violon (Emmanuel Resche), de flûte (Serge Saitta) ou de cors (Philippe Bord, Gerard Serrano Garcia). Il faut voir comme le Maître nurse ses musiciens. Et combien il ''couve'' ses chanteurs, d'un geste attentionné, d'un regard complice, à en paraître lui-même ému par l'énergie ou la douceur émanant de ces voix généreuses, de ces interprètes combien investis. On comprend la justesse de la phrase lancée en fin d'applaudissements nourris à l'issue de cette mémorable soirée, rendant hommage à un ensemble de chanteurs et d'instrumentistes combien « admirables », à ses yeux.

Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Georges Friedrich Haendel : Partenope. Opéra en trois actes. Livret anonyme d'après Silvio Stampiglia
  • Ana Vieira Leite (Partenope), Hugh Cutting (Arsace), Helen Charlston (Rosmira/Eurimene), Alberto Miguélez Rouco (Armindo), Jacob Lawrence (Emilio), Matthieu Walendzik (Oromonte)
  • Orchestre Les Arts Florissants, dir. William Christie
  • Mise en espace : Sophie Daneman
  • Scénographie, costumes : Jean-Luc Taillefert
  • Chorégraphie : Christophe Garcia
  • Conseiller linguistique et dramaturgique : Rita de Leitteris
  • Festival international Opéra baroque & romantique de Beaune, Cour des Hospices, le 15 juillet 2022, à 21 h 



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