CD : deux voix d'or ensemble à l'Opéra
Peut-on imaginer voix plus somptueuses de ténor et de baryton pour l'opéra italien que celles de Jonas Kaufmann et de Ludovic Tézier ! Surfant sur plusieurs œuvres qui les ont déjà réunis à la scène, ils nous proposent un florilège de duos empruntés à Verdi, Puccini et Ponchielli. Des moments de pur frisson vocal, transcendés par la direction incandescente du chef Antonio Pappano.
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Il était dans l'ordre des choses qu'ils fassent un disque ensemble. Depuis Werther en 2010 à l'Opéra Bastille, puis La Forza del destino à celui de Munich (2013), et Don Carlos, à Paris de nouveau en 2017, on les avait applaudis devant des performances touchant la perfection. Bons amis, enthousiastes chacun du talent de l'autre, les voici réunis l'instant de quelques grands moments d'opéra italien. Car le genre du duo ténor-baryton connaît à la fin du XIXème une évolution sensible en matière d'esthétique du chant, vers l'approfondissement dramatique, plus de puissance dans l'émission, plus d'endurance aussi dans l'expressivité.
On l'expérimente de manière topique dans ce récital. Après une curieuse entrée en matière, duo emprunté à La Bohème de Puccini, là où les compères Rodolfo et Marcello sont plus dans le béat de la jeunesse et des sentiments amoureux que dans la vindicte qui va caractériser les échanges ténor et baryton dans les œuvres de Verdi et de Ponchielli. De ce dernier, et sa Gioconda (1876) qui se place à l'orée du vérisme, le duo met en scène un baryton menaçant, Barnaba, aux prises avec un ténor, Enzo, partagé entre amour et devoir militaire. La force vocale domine ici et Ludovic Tézier s'y affirme formidablement maléfique, alors que Kaufmann se place surtout dans l'héroïque, là où semble l'avoir conduit la récente fréquentation de Tristan et d'Otello.
Tout autre univers que celui cultivé par Verdi dans les trois opéras ici représentés. Le duo de l'acte I des Vêpres Siciliennes, donné ici dans sa version française d'origine, oppose deux voix tendues tel du fer rouge, mais parées de legato, sur un orchestre haletant. Tézier a pour lui la maîtrise de la langue, pas si distincte chez Kaufmann. La fin furieuse recentre les choses. Le duo du III voit la tension monter jusqu'à l’ébullition car dans l'introduction en forme de cavatine, Montfort révèle à Henri qu'il est son père, puis oppose sa puissance, ce qui génère l'inéluctable confrontation dans les vagues d'un orchestre fulminant. Un essai de réconciliation, poignant chez le personnage baryton fendant l'armure, tourne court dans une mélodie enveloppante, magistralement menée par Antonio Pappano.
Encore plus significatif, la scène et le duo de l'acte II de Don Carlos ''Le voilà, c'est l'infant''. Là encore le baryton français brille par sa royale diction et un timbre ténorisant. Le duo, une des plus belles mélodies fraternelles de tout Verdi, dégage force et délicatesse, notamment dans la reprise ppp. On se souvient de leur prestation naguère à l'Opéra de Paris, peut-être plus engagée encore. Quoique Pappano leur construit ici un écrin orchestral d'une plastique inouïe. Les trois échanges tirés de La Forza del destino (version milanaise de 1869) voient la concentration monter d'un cran encore. Au Duettino du III, les deux voix évoluent dans le médian de leur tessiture, Kaufmann et ses fameux pianissimos, Tézier et son magistral legato du vrai baryton Verdi. Lors de la scène et Duetto suivant, sur le champ de bataille, les deux personnages se rejoignent dans un échange d'abord intimiste, révélation terrible, lutte et supplication, qui vire en une lutte sans merci. La scène et le Duetto de l'acte IV sont l'épilogue d'une vindicte assumée, inéluctable de la part du baryton vengeur qui recherche son ténor ennemi désormais solide dans sa résolution de ne plus combattre. L'équilibre entre les deux voix frôle la perfection. Un des moments les plus dramatiques de l'opéra verdien. Les dernières pages seront enivrantes au tempo prestissime jugé par Pappano.
À la scène finale de l'acte II d'Otello, Kaufmann et Tézier sont définitivement chez eux, sous la houlette d'un Pappano on ne peut plus fougueux. L'air du ténor ''Ora per sempre, Addio'' est glorieux. Le monologue de Iago ''Era la notte'' offre le fabuleux legato d'un timbre clair, sans surligner, avec voix en falsetto pour enfoncer le clou sur la mélodie planante distillant le venin de la jalousie, ultime étape d'un songe maléfique pour enserrer Otello et lui arracher des larmes d'amour. Enfin, au duo de vengeance ''Si pel ciel'', les deux partenaires sont d'égal à égal dans un combat vocal au sommet, sans concession, d'un formidable impact, qu'enflamme Pappano.
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L'enregistrement à l'Auditorium Parco della Musica à Rome, d'une belle clarté, place la voix de baryton toujours à la gauche du spectre sonore et celle du ténor centrale, captée de très près. En général, la balance technique met les voix plutôt à l'avant sans que l'orchestre ne perde toutefois de son impact.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Insieme''
- Duos ténor-baryton extraits d'opéras de Verdi (Les Vêpres Siciliennes, Don Carlos, La Forza del destino. Otello), Ponchielli (La Gioconda) et Puccini (La Bohème)
- Jonas Kaufmann (ténor), Ludovic Tézier (baryton)
- Orchestra dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia, dir. Antonio Pappano
- 1 CD Sony : 19439987002 (Distribution : Sony Music entertainment)
- Durée du CD : 73 min 24 s
- Note technique : (4/5)
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