CD : Vivaldi met le Monde à l'envers

« Vivaldi est un compositeur contemporain, de tous les instants, il nous accompagne au fil des siècles...(il) est un mage, qui se transforme, et qui nous transforme ». Ces mots de la violoniste Amandine Beyer, en exergue de son nouveau CD, dit tout le plaisir qu'il y a à écouter ce qui paraît en apparence ressortir du connu, en réalité à redécouvrir toujours. Au sein de l'immense production de ses concertos, les Concerti con molti istromenti figurent parmi les plus échevelés, nous entraînant dans une pure fantaisie débridée, dans un monde à la renverse, sous-titre de l'un d'entre eux. La souveraine maîtrise d'Amandine Beyer et de ses musiciens de Gli incogniti confère à cette poignée de concertos des interprétations de haute technicité, empreintes d'esprit fantasque. De quoi faire tourner la tête !

On ne dira jamais assez combien Vivaldi se renouvelle sans cesse dans sa musique concertante. Contrairement à ce qu'en a pensé l'auteur du Sacre du printemps. Il n'est que de prêter l'oreille aux huit morceaux présentés ici. Et d'abord aux deux concertos sous-titrés ''Per la Solennità di S. Lorenzo''. Le Concerto RV 562 en Ré majeur se veut symphonique et théâtral. Il s'ouvre par une sorte de rataplan en fanfares de cuivres pétaradants, avant que le violon ne prenne la vedette dans une manière échevelée. La fin de cet Allegro sera rehaussée de timbales carillonnantes. Le Grave déploie une mélodie très ornée sur une trame hachée. Et le finale mène le violon dans des contrées hyper virtuoses, témoin du style de jeu extrême du Prêtre roux sur son instrument favori. Soudain, un trait de hautbois cocasse se fraie un chemin, suivi de fanfares comme au début, et tout finit par une cadence de violon. Le Concerto RV 556 en do majeur, pareillement sous-titré, voit la première utilisation de la clarinette dans le vocabulaire vivaldien. Le profil symphonique est là aussi très important. Le premier mouvement fait concerter un violon expansif et un ripieno déchaîné, outre la clarinette, dans un tempo ici bien soutenu. On y découvre moult interventions instrumentales, souvent l'espace d'un bref trait. Au Largo e cantabile la clarinette entame un solo, relayée par la mélodie berçante du violon. L'alliage de deux timbres est rare. Le finale offre un étonnant ressort dans sa combinaison entre orchestre et violon, clarinette, hautbois.

Le Concerto en Fa majeur RV 571 figure une gigantesque chasse à courre avec cors et timbales bien rythmés. Les deux Allegros sont d'une amusante inventivité dans leur tempo et leurs associations harmoniques, alors que çà et là on discerne les solos de hautbois, de viole de gambe et bien sûr de violon, le tout assaisonné de tutti rageurs. Le deuxième est très ample, dont émerge les solos de violon extrêmement ouvragés sur un fond de ritournelle engagée. Le Largo médian offre un moment de répit avec son solo de violon d'un profond lyrisme. Dans le Concerto pour violon et hautbois en Sol mineur RV 576 deux mouvements vifs encadrent un Larghetto. Ici c'est l'effet spatial qui est recherché, par l'opposition de deux ''chœurs'', cordes et vents, singulièrement les deux solistes dans la partie initiale, menée à un tempo très vif par Beyer. Le Larghetto fait dialoguer le hautbois et le ripieno, là encore dans un environnement orchestral très ample. Une vraie course poursuite caractérise le finale dans des échanges fantasques, menés à train d'enfer. Autre curiosité que le Concerto RV 432 en Mi mineur pour flûte traversière : il est en un seul mouvement que conclut une improvisation ''Grave sopra il Libro'', laissant à l'interprète toute latitude de broder.

Amandine Beyer & Gli Incogniti ©DR

Dans le Concerto de violon en La majeur RV 344, la virtuosité est mise en scène au-delà même de l'exhibition. Témoin, le début par un solo qu'interrompt une ritournelle allègre, menant ensuite le violon à se confronter à des épisodes on ne peut plus différentiés. Pareillement l’Allegro conclusif est-il truffé de périlleuses cabrioles du soliste au fil de ritournelles de plus en plus rapides, jusqu'à une cadence osée et un climat chaotique à l'accompagnement. Le Concerto en Fa majeur RV 572 ''Il Proteo ò sia Il Mondo al rovescio'' marque le triomphe de l'originalité. Un vrai tourbillon dès l'entame avec incises des bois, flûte et hautbois, comme du violon solo, chacun y allant de sa propre faconde, en imitant l'autre, tel le dieu marin Protée. Le Largo, dans le ton curieusement d'une pièce à la française, égrène le dire de chaque protagoniste, dont encore le cello. La ritournelle progresse galamment. Le finale assure à la virtuosité une grande mise en scène dans une débauche de traits d'esprit et une façon fort imaginative de traiter les divers solistes : les ''molti istromenti'' que Vivaldi aime tant.

L'interprétation d'Amandine Beyer est d'une éblouissante technicité comme de finesse instrumentale et de justesse interprétative. Une étonnante sensation de vie se dégage de l'accompagnement orchestral, souvent agréablement dansant. Pour la citer encore « Tout est présenté simplement... les rythmes sont simples mais les carrures intelligentes, les harmonies sont lumineuses mais peuvent aussi miroiter dans l'ombre... les instrumentations si ingénieuses !». Que dire de plus !

D'autant que l'enregistrement est d'un extrême relief et d'un parfait équilibre entre solos et orchestre dans un climat sonore on ne peut plus séduisant.

Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

• ''Il Mondo al roverscio'' – Concerti con molti istromenti
• Antonio Vivaldi : Concerto ''Per la Solennità di S. Lorenzo'' RV 562. Concerto pour flûte RV 432. Concerto ''Per la Solennità di S. Lorenzo'' RV 556. Concerto RV 571. Concerto pour violon et hautbois RV 576. Concerto pour violon RV 344. Concerto pour deux hautbois RV 536. Concerto ''Il Proteo ò sia Il Mondo al roverscio'' RV 572
• Gli Incogniti, violon et dir. Amandine Beyer
• 1 CD Harmonia Mundi : HMM 902688 (Distribution : [Integeral])
• Durée du CD : 76 min 34 s
• Note technique :  (5/5) 

CD disponible sur Amazon

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