CD : Misia, reine de la belle époque, honorée par l'ensemble Revue Blanche
Belle idée d'honorer Misia, de son vrai nom Misia Sert, figure incontournable des arts au tournant du XXème siècle, mécène, modèle et muse. Qui rencontra tout ce que la musique et la littérature avaient de meilleur. L'ensemble Revue Blanche, réunissant soprano, flûte, alto et harpe, a assemblé quelques-unes des pièces inspirées par cette femme aux goûts affirmés et à la personnalité hors du commun. Une passionnante proposition.
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Afin de se plonger dans le monde prolifique du Paris du début du XXème, l'ensemble baptisé opportunément Revue Blanche s'est logiquement tourné vers Misia Sert (1872 -1950), personnage central de la Belle époque, qui fréquenta tout ce que l'Art avait d'essentiel et aussi des figures moins dans la lumière, qu'elle y porta par sa curiosité et son engagement. Cet album capte une image sonore de cette « Reine de Paris » et personnage curieux à la vie chaotique : née Godebska d'un père polonais sculpteur et d'une mère violoncelliste belge, elle sera mariée trois fois, successivement au fondateur du magazine La Revue Blanche, puis à un magnat de la presse qui sauvera ladite revue de la banqueroute, et enfin au peintre catalan José Maria Sert. Amie de Coco Chanel qui dit d'elle « il y a toutes les femmes dans Misia », sa vie privée souvent chaotique ne l'empêchera pas d'être un touche-à-tout artistique. Elle sera proche de Diaghilev, de Renoir, de Proust, de Cocteau, qui lui dédia Les Montres sacrés, et bien sûr des musiciens de son temps.
Ravel la considérait comme sa confidente et lui dédia plusieurs pièces dont La Valse. Sa Sonatine pour piano, transcrite ici pour flûte, alto et harpe, cocasse arrangement lorsqu'on se souvient de la Sonate de Debussy pour ces mêmes instruments, sonne lumineuse, presque orchestrale dans la présente interprétation bénéficiant de tempos soutenus au Mouvement de menuet médian et à l'Animé final. Misia inspira aussi des œuvres sans substrat textuel. Ainsi des Trois Morceaux en forme de poire d'un de ses proches, Erik Satie. On entend ici deux d'entre eux, ''Manière de commencement'' et l'énigmatique ''En plus''. Mais aussi ''Daphénéo'', tiré des Trois Mélodies de 1916 : un dialogue faussement naïf, indispensable de cette littérature début de siècle. Déodat de Séverac, membre comme Ravel du groupe ''Les Apaches'', dédia plusieurs de ses mélodies à Misia. De ses Douze Mélodies, dans un arrangement dû à F. Neyrinck pour soprano, flûte, alto et harpe, sont données le sublime ''Temps de neige'', puis ''Un rêve'' (Mallarmé), ''Les Hiboux'' (Baudelaire) et aussi de Maeterlinck ''L'infidèle'', succession d'interrogations bien dans la manière du poète belge, emplies de mystère.
Misia croquée par Toulouse-Lautrec ©DR
Les Six Madrigaux de Mallarmé de Louis Durey (1888-1979), mettent en lumière une figure importante dans la vie de Misia, qu'elle inspira, Stéphane Mallarmé. Ils passèrent plusieurs étés ensemble. Et la réception organisée pour les funérailles du poète en 1898, se donna dans la maison de la mécène à Villeneuve- sur-Yonne. Ces mélodies très brèves sont de magistrales miniatures, envoûtantes par cette concision, et leur caractère autobiographique, confinant à l'extase (''Jour de l'An''), à une infinie douceur (''1er Avril 1887''), ou encore réminiscences de leurs rencontres (''Éventail I & II''). Misia encouragea aussi les chantres de l'avant-garde, dont ceux du Groupe des Six. Parmi eux, Georges Auric (1888-1963) et ses Six poèmes de Paul Éluard, de 1940/1941, apôtre du surréalisme. Ils évoquent là encore des aspects de la personnalité de Misia : l'incandescence amoureuse (''Mon amour'') dont cette phrase « Et quand tu n'es pas là Je rêve que je dors je rêve que je rêve » ou le mystère insondable de l'autre (''On ne peut me connaître'', ''Tout disparaît'', pour une poignante fin annoncée), une manière de théâtralité aussi (''Le front aux vitres'', dans son rythme haletant). Alfredo Casella (1883-1947) occupa une place centrale dans le renouveau de la musique italienne autour de 1900, et aussi française. Il s'établira à Paris dès 1906 et fréquentera les salons en vue, dont celui de Misia. Du cycle de Quatre mélodies inspirées de Rabindranath Tagore, traduites par Gide, on entend la dernière ''L'adieu à la vie - dans une salutation ultime'' (1915). Après une introduction instrumentale sombre et mystérieuse, le chant se déploie sur un canevas étrange animé par les mélismes de la flûte. On est proche de l'univers de Ravel dans une écriture discrètement évocatrice d'un adieu d'une immense tristesse. Le programme se conclut par ''Extase'' de Duparc, celle de l'indicible beauté d'une « mort exquise, parfumée », tandis que la flûte tresse une mélopée là encore envoûtante avant que tout s'enfonce dans le silence.
Ces pièces instrumentales ou vocales sont interprétées avec la grâce et la passion de musiciens très inspirés, entre intimité et extase, en totale empathie pour le moins avec chacune des œuvres jouées. Leur assemblage musical original offre naturellement matière à raffinement et à un large panel de couleurs. La pureté céleste du timbre de la soprano Lore Binon et son investissement quel que soit le morceau chanté, rejoignent l'engagement et les délicates sonorités de ses trois partenaires, Caroline Peeters, flûte, Kris Hellemans, alto, Anouk Sturtewagen, harpe. Le ravissement est total à l'écoute de ces exécutions suprêmement maîtrisées, d'une rare profondeur. Elles sont captées à l'Amuz d'Anvers avec un étonnant relief et emplies d'atmosphère. À noter encore la qualité luxueuse du livret, malgré l'absence de traduction française des textes, un comble en l'occurrence ! Nonobstant, ce CD vaut le voyage !
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Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Misia''
- Déodat de Séverac : Douze Mélodies (extraits)
- Erik Satie : Trois Morceaux en forme de poire (extraits)
- Louis Durey : Six Madrigaux de Mallarmé
- Maurice Ravel : Sonatine (arr. pour flûte, alto et harpe de C. Salzedo/S. Kanga/ Revue Blanche)
- Georges Auric : Six poèmes de Paul Éluard
- Alfredo Casella : L'adieu à la vie
- Henri Duparc : Extase
- Revue Blanche : Lore Binon (soprano), Caroline Peeters (flûte), Kris Hellemans (alto), Anouk Sturtewagen (harpe)
- 1 CD Antarctica Records : AR 030 (Distribution : Distrat distribution)
- Durée du CD : 59 min 40 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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