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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : un rêve sombre mais salvateur

MeinTraum

À partir d'une lettre où Schubert s'exprime sur un rêve, Raphaël Pichon et Stéphane Degout ont imaginé une fresque où sont convoqués airs, chœurs et musiques symphoniques du maître comme de Weber et de Schumann. Un album à thème donc, comme déjà expérimenté par ces artistes dans leur CD ''Enfers''. Et une immersion dans un univers onirique, de l'ombre vers la lumière, entre chefs-d’œuvre reconnus et trésors négligés.

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Dans sa lettre du 3 juillet 1822, Franz Schubert écrit : « pendant de longues, très longues années, je chantais des lieder. Quand je voulais chanter l'amour, il se faisait douleur. Et si je me mettais à chanter la douleur, alors elle se faisait amour. C'est ainsi que l'amour et la douleur se disputaient mon être ». Ce texte s'est vu donner un titre, « Mein Traum » (Mon rêve) par Ferdinand Schubert, le frère du musicien. Il est le point de départ de la démarche ayant abouti à la présente proposition musico-littéraire conçue par Pichon et Degout. Trois clés de lecture l'illustrent. D'abord, la différentiation des espaces, des lieux physiques et mentaux aussi, tel le monde des ondines et des nixes, celles qu'on trouve dans l'opéra de Weber Oberon, ou celui des forêts profondes de la Lorelei chez Schumann ou du Wanderer de Schubert, proche des ombres et de la mort. Le thème du geste interrompu ensuite, qui mène à la question de l'inachèvement, comme il en va de la Symphonie ''Inachevée'' ou de l'oratorio schubertien Lazarus. Enfin, Le genre des Lieder orchestrés de Schubert, aussi bien par Liszt que Brahms, qui voisine avec celui de l'opéra, ou ces chants qui s'en distinguent par leur essence spécifique, tel l'Ave Maria du divin Schubert.

Pichon croise habilement ces paramètres pour construire un programme singulier dont on salue la pertinence des enchaînements et la saveur des transitions. Comme le fait d'enchâsser au milieu des deux mouvements de l'Inachevée un chant d'ondine de l'Oberon de Weber. La variété des climats abordés également : passer du tonitruant Lied ''Gruppe aus dem Tartarus'' au céleste Ave Maria est pour le moins inattendu, mais combien signifiant. Ou encore faire suivre l'Introduction orchestrale de l'acte III d'Alfonso und Estrella par le Lied précité orchestré par Brahms, savoir une musique de tempête par un tableau tout aussi impressionnant.

Cette vaste fresque on ne peut plus romantique permet d'entendre des morceaux bien trop négligés. Ainsi du récitatif et de l'air du personnage de Simon der Sadducäer, tiré de Lazarus ''Où suis-je ?'' : à partir de grands accords sombres, se déploie un récitatif grave suivi d'un air tragique où le mot ''Malédiction'' revient à l'envi ; procédé de la répétition, si cher aux compositeurs romantiques. Du récitatif et l'air du rôle-titre d'Alfonso und Estrella, ''la belle chanson de la fille des neiges'' , qui évoque un rêve éveillé, de la découverte d'un château merveilleux, sorte de mirage. Le récitatif et l'air de Lysiart, extrait d'Euryanthe de Weber, offre une musique tourmentée, vrai sabbat de violence. L'air ''La vue est libre ici'' que chante Dr Marianus à la fin des Scènes du Faust de Goethe de Schumann, figure une montée vers les cieux. Ce que confirme le dernier épisode du parcours, le chœur ''Le Seigneur est mon berger'' de Schubert, qui voit l'atteinte de la lumière salvatrice. Contraste saisissant avec la Ière plage du disque, si dépourvue d'espoir. La boucle est bouclée.

Raphaël Pichon et ses forces de Pygmalion, de plus en plus investis dans le répertoire du XIXème, offrent des exécutions d'une grande sensibilité, creusant les contrastes, grâce à des bois plus que graciles et des cordes souvent poussées à leurs limites expressives. Comme il ressort de l'Inachevée où il est insisté sur l'inéluctabilité du drame à l'Allegro moderato dans la déclinaison du thème principal dit « de l'ensevelissement », ainsi que le désigne Brigitte Massin. Une atmosphère tout aussi tragique parcourt l'Andante con moto : sous une apparente douceur, le développement et ses dialogues des vents ne sont que parenthèse dans un climat d'une totale sombritude. L'accompagnement des airs est tout aussi serré, procurant un écrin tout sauf neutre à son soliste principal. Stéphane Degout est comme toujours souverain dans la déclamation de l'allemand et distille un panel inouï de nuances, du murmure impalpable (Scènes de Faust) à l'éclatement de puissance inextinguible (''Der Doppelgänger''). Sabine Devieilhe est la grâce même à l'Ave Maria, donné avec un accompagnement de harpe et de basse. On admire également le soprano lumineux de Judith Fa. Les chœurs de Pygmalion émaillent les diverses pièces chorales d'une vraie pureté de ton, dont ''Meerfey'' de Schumann ou ''Sanft und still'' de Lazarus.

Effectué dans la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, l'enregistrement propose une acoustique vaste, quoique diversifiée question ambiance selon les morceaux, et un équilibre satisfaisant voix-orchestre.

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Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • ''Mein Traum''
  • Franz Schubert : Symphonie N°7 ''Inachevée''. Airs, pièces orchestrales et chœurs extraits des opéras Lazarus, D 689, Alfonso & Estrella, D 732. Ave Maria D 839. Lieder orchestrés ''Der Doppelgänger'' D 957 (F. Liszt), ''Gruppe aus dem Tartarus (Brahms)
  • Chœurs et airs extraits d'opéras de Carl Maria von Weber (Oberon, Euryanthe)
  • Air et chœur tirés d’œuvres de Robert Schumann (''Meerfey'', Scènes du Faust de Goethe)
  • Stéphane Degout, baryton
  • Sabine Devieilhe, Judith Fa, sopranos
  • Pygmalion, orchestre et chœur, dir. Raphaël Pichon
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 905345 (Distribution :[ntegral])
  • Durée du CD : 82 min 42 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

CD disponible sur Amazon



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