CD : recréation de la première version du Zoroastre de Rameau
En première au disque, cet album présente une recréation de la version d'origine de la tragédie lyrique Zoroastre. Au sommet de son art, Rameau conçoit une œuvre emplie d'idées nouvelles où « chaque acte possède sa propre couleur, sa propre dynamique », souligne Benoît Dratwicki. Le tout assorti de divertissements dansés aussi copieux que magistraux. Cette réalisation est le fruit des travaux musicologiques menés essentiellement par le Centre de Musique Baroque de Versailles et l'orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Écurie, successeure de la formation fondée par Jean-Claude Malgloire.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
La tragédie lyrique Zoroastre a connu une genèse difficile en raison de sévères luttes dans la sphère artistique de l'époque, notamment opposant Rameau et le ministre de tutelle d'Argenson. Elle voit le jour en 1749 grâce à la qualité des échanges avec le librettiste Louis de Cahusac, dont cette œuvre marquait la première collaboration dans le genre tragique. Même si Rameau, non satisfait du résultat et de l'accueil mitigé du public, s'attachera à la remanier en 1756. L’œuvre traite de l'opposition entre le Bien et le Mal chez « un héros, sorte de sage ayant atteint une certaine perfection à l'issue d'un parcours initiatique » car « Cahusac privilégie chez Zoroastre l'image bienfaisante du prophète et du sage combattant le Mal », rappelle Sylvie Bouissou (in ''Jean-Philippe Rameau'', Fayard, 2014). On n'est pas loin des idées de Voltaire. La trame voit, dans l'ancienne Perse, le combat entre la lumière et les ténèbres. Zoroastre y est décrit comme « l'inventeur de la Magie bienfaisante incarnée par Orosmade, symbole de la lumière, qui s'oppose à la Magie diabolique, incarnée par Ahriman, symbole des ténèbres » (ibid.). Hymne au soleil, remise de talisman, sorte de livre de la sagesse ici, sont autant de symboles maçonniques, qu'on retrouvera dans La Flûte Enchantée. Mais dans cette première version, la portée philosophique et morale prend le pas sur l'intrigue amoureuse, entre Zoroastre et Amélite, contrée par les personnages d'Érinice et d'Abramane.
Aussi la musique en est-elle quelque peu austère, par rapport à la version remaniée en 1756. Elle offre une architecture symétrique entre ses cinq actes. Elle ne comporte pas de prologue, mais une ouverture de concept programmatique, une première chez Rameau. Elle délivre peu d'arias, mais de brefs duos concluant souvent un récitatif, par exemple entre Zoroastre et Amélite au IIIème acte et à la fin de l'ouvrage. Les musiques de ballet y tiennent un rôle déterminant, dont ce mode intitulé ballets figurés, danses par le truchement desquelles le groupe ''représente'', c'est-à-dire mime, et où la figure chorégraphique participe directement au drame, intimement unie qu'elle est à l'action. Une succession de danses variées conclut les actes et l'opéra lui-même. On y trouve enfin de savants contrastes d'atmosphère, comme les prémisses d'une tempête à l'acte I, divers chœurs, tel celui ''des esprits malfaisants et cruels'' concluant ce même acte. Mais aussi des moments exaltés menant jusqu'aux orgies infernales à l'acte IV, « l'une des diableries les plus extraordinaires jamais composées pour l'Académie royale de Musique », remarque Benoît Dratwicki. Dans cet acte des enfers, modèle de dramaturgie baroque, tout prend la tournure d'une étrange fête de magie noire et de sacrifice humain. Au XVIIIème siècle, la représentation de la haine, de la vengeance est presque chose commune : on est dévoré de dépit, on abhorre, on exécute avec simple délectation.
La direction d'Alexis Kossenko, fruit de l'intense travail de recherche mené avec les équipes du CMBV, est particulièrement fouillée. Il utilise l'orchestre ramiste fourni, avec des bois par quatre, et une disposition spatiale particulière qui place les violons au centre de l'orchestre, entourés des basses. Et fait appel à des instruments nouveaux pour l'époque, dont copies ont été spécialement réalisées : ainsi de la clarinette, qui se substitue souvent au hautbois. Avec une sonorité bien différente de la clarinette moderne, car on est ici plus près de celle du hautbois flûté. C'est cette recherche de couleurs qui fait le prix de la présente exécution, travaillée aussi quant aux sonorités des flûtes, l'instrument pratiqué par Kossenko lui-même. La battue est alerte, le feeling pour l'idiome ramiste patent, pour ses passages de tragédie, ses ritournelles chatoyantes, comme ses plages toutes de sérénité, voire de suavité. Il en va de même du souci de l'articulation (entrée des mages au II/4). Les contrastes d'atmosphère sont bien jugés aussi, par exemple le culte du soleil au III et l'épisode infernal de l'acte suivant. La finesse des cordes, la gracilité des bois comme les percussions imaginatives de l'orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Écurie le démontrent à l'envi. La vraie veine française est là, la fine instrumentation ramiste, l'orchestration imagée.
La grande déclamation lyrique aussi. Car l'interprétation vocale ne suscite que louanges. D'abord par le soin apporté par tous à la diction de la prosodie ramiste, l'art consommé du récit accompagné et l'aisance dans les ornementations. Ensuite grâce à des interprétations où chacun se fond dans un ensemble. Reinoud van Mechelen prête à Zoroastre sa voix de ténor désormais puissante mais combien flexible, parée d'éclat, comme au moment de l'apparition du soleil à l'acte II, mais aussi d'accents de douceur alliée à une force non cassante dans le registre de l'autorité. Les trilles et autres ornements sont distillés avec souple rigueur. Partout, le geste est inextinguible, le chanteur assurant avec aise les exigences textuelles en termes d'expressivité. Une des plus belles voix actuelles dans ce répertoire. Jodie Devos, Amélite, offre un soprano frémissant, ému même, s'affirmant au fil de l'action, trouvant son apogée dans l'aria du début de l'acte V, toute de résignation mais teintée d'espoir jusqu'à rencontrer le vrai accent dramatique dans les trilles coloratures. Le rôle, plus central que les emplois habituellement tenus par cette artiste, la retrouve alors dans son domaine de prédilection. La diction souveraine comme l'art du cantabile appartiennent comme peu à Véronique Gens qui pare le rôle d'Érinice d'accents tragiques, notamment dans le grave de la tessiture de soprano. Tassis Christoyannis campe Abramane avec élégance, de son timbre de baryton clair aux teintes mordorées. Là aussi, remarque-t-on la perfection du langage orné, typique dans ce répertoire français. Mathias Vidal offre un ténor plus aigu, comparé à celui de van Mechelen, et une délicieuse préciosité dans la partie d'Abénis. La confrontation des deux voix à la fin du II est un des grands morceaux de l’œuvre. On remarque encore les sopranos de Gwendoline Blondeel et de Marine Lafdal-Franc, distribuées dans plusieurs rôles. Tout comme le baryton David Witczak. Le Chœur de chambre de Namur dispense ses qualités désormais bien connues de diction et d'engagement dans les diverses prestations exigées, Prêtres, Esprits infernaux, Mages, Peuples élémentaires.
La prise de son au Namur Concert Hall offre une ambiance naturelle, tant pour ce qui est de l'orchestre que des voix, enveloppées dans l'écrin symphonique. La disposition spatiale des trois éléments, solistes, chœurs et orchestre, respecte un excellent dosage.
LA SUITE APRÈS LA PUB
|
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Jean-Philippe Rameau : Zoroastre, tragédie lyrique en cinq actes. Livret de Louis de Cahusac (version de 1749)
- Jodie Devos (Amélite), Véronique Gens (Érinice), Reinoud van Mechelen (Zoroastre), Tassis Christoyannis (Abramane), Mathias Vidal (Abénis, Orosmade, Une furie), David Witczak (Zopire, Ahriman, Un génie, La Vengeance), Gwendoline Blondeel (Céphie, Cénide), Marine Lafdal-Franc (Zélise, Une fée, Une furie), Thibault Lenaerts (Une furie)
- Chœur de chambre de Namur, préparé par Thibault Lenaerts
- Les Ambassadeurs - La Grande Écurie, dir. Alexis Kossenko
- 3 CDs Alpha : Alpha 891 (Distribution : Outhere Music France) en collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles
- Durée des CDs : 165 min 38 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser
Jean-Philippe Rameau, Chœur de chambre de Namur, Véronique Gens, Jodie Devos, Tassis Christoyannis, Mathias Vidal, Alexis Kossenko, Reinoud van Mechelen, David Witczak, Gwendoline Blondeel, Thibault Lenaerts, Zoroastre, Marine Lafdal-Franc, Les Ambassadeurs - La Grande Écurie
Commentaires (0)