CD : une intégrale des œuvres pour violon et piano de Ravel
Voilà un CD bien conçu ! Qui regroupe les œuvres que Ravel a écrites pour violon et piano. Ces « deux instruments incompatibles », à ses yeux, lui ont pourtant offert de belles inspirations, dont la Sonate pour violon et Tzigane. Mais pas seulement. Car on découvre d'autres pièces de sa main et des arrangements, dont deux premières au disque. Elsa Grether et David Lively en livrent des interprétations réfléchies et combien séduisantes.
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La Sonate pour violon occupe bien sûr la place de choix de cette anthologie. Sa gestation aura été difficile et duré quelque cinq ans, de 1922 à 1927. Témoins ces mots lâchés dans sa correspondance avec sa future dédicataire Hélène Jourdan-Morhange : « la sonate n'avance guère, grâce au cafard », « je suis un peu vaseux rapport à la sonate », ou encore « je me cramponne à la sonate ». Le résultat est pourtant éblouissant. La ''blanche sonate'', pour reprendre la formule de Proust, débute par un Allegretto fait d'une « longue phrase mince » confrontée à un « petit motif rageur », selon Jourdan-Morhange, pour finir dans l'extase. Blues, Moderato, offre un étonnant mariage de « foxtrot américain » (Ravel) et de sonorités de banjo. Il y plane l'effluve de l'épisode du duo de la théière anglaise et de la tasse chinoise de L'Enfant et les sortilèges (1925). Des glissandos, à jouer nostalgico, voisinent avec des rythmes syncopés à se pâmer. Enfin Perpetuum mobile, Allegro, est un feu d'artifice. Dès que le violon s'empare du mouvement, il ne quittera plus ses interminables doubles croches, tel un insecte virevoltant. C'est un tour de force, l'air de ne pas y toucher, en réalité d'une folle virtuosité, magistralement ménagé par Elsa Grether et David Lively, car le piano apporte une note d'improvisation dans cette course on ne peut plus fiévreuse. On sait peu que Ravel avait conçu dès 1897 le projet d'une Sonate de violon devenue posthume, dont il n'écrira qu'un Allegro moderato, mouvement d'une durée substantielle puisque de 15'. Le manuscrit de cette œuvre de jeunesse, conservé par Georges Enesco, ne sera publié qu'en 1975. Ses trois thèmes contrastés montrent une pièce dans la manière du romantisme finissant, déjà ''ravélienne'' dans ses sonorités choisies et son subtil équilibre entre les deux instruments.
Durant la composition de la Sonate pour violon, Ravel écrit en 1922 la Berceuse sur le nom de Gabriel Fauré, son maître, « pour vous faire patienter », écrit-il à Hélène Jourdan-Morhange ! Conçue sur les notes correspondant aux 12 lettres des mots gabriel fauré, l’œuvre libère un rythme calme et hypnotique. Sa fin marque effectivement un effet d'endormissement. La Rapsodie de concert Tzigane (1922/1924) est l'autre joyau de la production pour violon et piano. Ce sera une « pièce acrobatique », aux dires de son auteur, digne des Caprices de Paganini, concentré des difficultés les plus extrêmes, cultivées avec presque gourmandise. Le long prélude du violon seul donne le ton d'une œuvre d'une étonnante liberté, écrite avec une science accomplie. L'entrée du piano semble apprivoiser la mélodie, mais les pirouettes reprennent de plus belle, pizzicatos infernaux, ruptures de rythmes pour corser le danger. L'interprétation d'Elsa Grether est sur le versant intimiste, confidente à l'oreille de l'auditeur, mesurée en apparence, mais sans rien renier de sa technicité fondamentale. David Lively répond avec non moins de faconde. Et la fin est diabolique.
L'album donne encore les transcriptions d'autres pièces pour cette formation. C'est ce qui en fait tout le sel. Pièce en forme de Habanera (1907) est arrangée en 1921 par Théodore Doney. Cette ''Vocalise-Étude'' doit être jouée « presque lent et avec indolence, et souvent rubato » (Ravel). Elle annonce quelque part Tzigane en termes de technicité violonistique. ''Kaddisch'', première des Deux Mélodies Hébraïques de 1914, a été arrangé par Lucien Garban en 1924. Cette prière juive est dans cette harmonisation on ne saurait plus dépouillée. Ravel avait conçu lui-même la transcription de l'autre, ''L'énigme éternelle'' dont les harmonies dissonantes sont déroutantes. Deux premières au disque enfin. Five O'Clock Foxtrot, d'après L'Enfant et les sortilèges, a été arrangé par André Asselin en 1931. C'est une sorte de suite au fameux duo théière-tasse, d'un ton ravageur et léger, surtout dans cette configuration instrumentale. Enfin, encore plus rare, l'Adagio assai du Concerto pour piano en Sol de 1931 voit sa transcription pour violon et piano réalisée l'année suivante par Gustave Samazeuilh. Ce morceau médian du « concerto à deux pattes » trouve ici une sorte de concentré sublimé : la mélodie passe de l'un à l'autre instrument, notamment lors du retour d'orchestre sur le solo de clarinette, lequel se fait ici tout en douceur au piano, ou plus avant, dans la section plus vive qui marque l'apothéose de cette souveraine rêverie de l'âme. La fin extatique est laissée au violon.
Tout au long de ce parcours, on aura apprécié le violon intime d'Elsa Grether, le piano racé de David Lively, et surtout la parfaite symbiose entre eux, leur élégance raffinée, leur sens du virtuose non tapageur. Ils sont enregistrés au Flagey de Bruxelles avec relief et intimisme, et une excellente balance entre les deux instruments.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Maurice Ravel : Sonate pour violon. Allegro de la Sonate pour violon op. posth. Berceuse sur le nom de Fauré. L'énigme éternelle, extr. des Deux Mélodies Hébraïques. Tzigane
- Adagio du Concerto pour piano en Sol majeur (arr. de Gustave Samazeuilh). Pièce en forme de Habanera (arr. Théodore Doney). Five O'Clock Foxtrot (transc. d’André Asselin). Kaddisch, extr. des Deux Mélodies Hébraïques (arr. de Lucien Garban).
- Elsa Grether (violon), David Lively (piano)
- 1 CD Aparté : AP 295 (Distribution :[Integral])
- Durée du CD : 68 min
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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