Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Hommage à Bernard Haitink / partie I – Londres

LSO Brahms

La longue et riche carrière du chef d'orchestre Bernard Haitink, un des derniers titans du podium, a connu un glorieux automne. Comme le montre l'enregistrement des Symphonies de Brahms en concert à Londres en 2003 et 2004. Le disque préserve ces moments, comme bien d'autres. Brahms, comme Beethoven et Bruckner, ont toujours été au cœur du répertoire du grand chef néerlandais. C'est dire si ces CD sont les témoins vivants de son art. 

LA SUITE APRÈS LA PUB

Après une intégrale Beethoven, Haitink livrait, au début des années 2000, son interprétation des symphonies de Brahms. Fruits d'une captation en concert, en trois séquences, entre mai 2003 et juin 2004. À la tête d'un LSO en grande forme, qui a toujours apprécié travailler avec lui. Comme il en est au demeurant de tous ''ses'' autres orchestres dont le Concertgebouworkest qu'il dirige à partir de 1956, le Symphonique de Chicago, la Staatskapelle de Dresde, le Chamber Orchestra of Europe et cette autre phalange londonienne, le LPO, qu'il conduit de 1967 à 1979 tant au disque (Chostakovitch chez Decca) qu'au Festival de Glyndebourne dont il fut directeur musical de 1978 à 1988. Sa vision de Brahms est d'une extrême fidélité textuelle. Au point qu'on a pu la qualifier d' ''objective'' (dans une acception quelque peu péjorative), voire la fustiger de froideur. On n'a pas que des amis ! En fait, le terme de sérieux conviendrait mieux, au sens propre du terme, c'est-à-dire profondément rigoureux, en symbiose avec le texte musical, à la manière des Kapellmeister : le récit, rien que le récit, sans solliciter le texte. Haitink ne cherche pas à appuyer, ni dans le lyrisme, ni dans la puissance dramatique. Encore moins à faire briller l'orchestre pour en tirer quelque honneur aux applaudissements. Tout est chez lui question de justes proportions. De l'art des nuances aussi et de la pertinence des transitions. Ce qui autorise des exécutions d'un parfait naturel, d'une vraie spontanéité. Si au fil du temps, et singulièrement la dernière décennie, la manière s'est enrichie d'une réflexion plus intense encore, ces concerts londoniens restent le témoin d'une grande et belle conception de l'univers brahmsien.

Quelques remarques de détail à propos de ces symphonies. De la Symphonie N°1 op.68 en Ut mineur, Haitink offre une vision d'une vigueur contenue. Le Un poco sostenuto, à la rythmique stricte, non pesante, se signale par une belle fluidité, sans tomber dans le tragique : la puissance maîtrisée. L'Andante sostenuto voit son épisode lyrique pris sans hâte, nimbé de ses solos de bois. Le poco Allegretto e grazioso conserve une souple énergie qui n'entame jamais son allégresse. Le finale atteint à une grandeur innée, ce qui ne veut pas dire massive. L'épisode central initié par le cor est justement mystérieux et la partie conclusive sonne on ne peut plus engagée avec ses superbes harmonies, magnifiées par les musiciens du LSO. La Symphonie N°2 op.73 en Ré majeur, trouve chez Haitink se vraie luminosité. Ainsi l'Allegro non troppo est-il calme et rêveur, le développement oscillant entre bucolique et ton populaire. La petite harmonie du LSO y est particulièrement éloquente. L'Adagio non troppo, débuté par ses longues phrases des cellos, offre une douce mélancolie, le 2ème thème ample et bien dans l'esprit de rêverie qui sied à cette partie, sans se presser. L'Allegretto grazioso possède un charme champêtre doucement bercé par les bois. Au finale, l'articulation se fait plus marquée, sans sombrer, aux dernières mesures, dans une violence inutile ni céder à la tentation wagnérienne, comme parfois chez certains. La toute fin sera glorieuse, empreinte de jubilation.

La Symphonie N°3 op.90 en Fa majeur (1883) possède une structuration spécifique, les mouvements extrêmes vifs entourant deux autres de ton modéré, de style intermezzo. Haitink en offre une exécution pareillement soignée. Au con brio, les trois accords triomphaux ouvrent le thème de bravoure des cordes. La battue favorise l'expressivité dans l'opposition entre grands climax. L'Andante se vit pastoral, notamment à l'épisode médian méditatif. Le Poco allegretto, proche d'un scherzo et surtout de l'intermezzo, est élégiaque dans une souple articulation. Le finale voit le retour de l'héroïsme du début de l’œuvre, d'abord contraint puis libéré, mais là encore sans excès, libérant les énergies contenues dans les deux mouvements centraux. Le continuum est irrésistible, là où l'orchestre démontre sa perfection instrumentale. La Symphonie N°4 op.90 en Mi mineur (1884-1885) est nul doute le fleuron de cette intégrale. Une indiscutable rigueur préside au premier mouvement, qui soigne aussi le côté mystérieux, comme un flux ample et une rythmique sobrement articulée. À l'Andante, une pointe de mélancolie colore l'élément légendaire, si consubstantiel chez Brahms, et un lyrisme contenu. L'Allegro grazioso libère une joie sans complexe, mais teintée d'une once de démonisme. L'Allegro energico e passionato final, Haitink en fait saillir le bref thème enveloppant et surtout la multitude de variations originales sous les couleurs les plus diversifiées. Sans parler, à cet endroit, des glorieux cuivres du LSO.

Outre une intéressante exécution du Double Concerto pour violon et violoncelle op.102, avec pour solistes les premiers pupitres de l'orchestre, Gordan Nikolitch et Tim Hugh, on signale une vigoureuse version de l'Ouverture Tragique op.81, qui dispense l'« atmosphère légendaire et fantastique où se mêlent la rudesse et la tendresse caractéristiques des poètes du nord », selon Claude Rostand (in ''Johannes Brahms'', Fayard). Et encore une fort sympathique exécution de la Sérénade N°2 op.16. Ce petit bijou, hélas trop peu connu, d'un musicien de 25 ans, dans la lignée des Sérénades de Mozart et de Haydn, est écrit avec une grande économie de moyens et une instrumentation originale : 9 vents, altos, cellos et contrebasses. Sans violons donc ! Ce sont les vents qui assurent la thématique. Au fil de cinq mouvements, Allegro moderato pastoral, scherzo vivace en forme de danse rustique légère, Adagio en forme de passacaille traversée de quelques bouffées dramatiques, Quasi menuetto, proche de l'intermezzo, un genre qui fleurira ensuite sous la plume de Brahms, et un Rondo où triomphe la bonne humeur avec d'originales interventions des cors et des flûtes piccolos.   

Les transferts de cette remastérisation ne peuvent qu'améliorer à la marge des prises de son live laissant une impression de compacité d'un orchestre capté dans de justes proportions, mais tributaire de l'acoustique problématique du Barbican Hall de Londres. Les symphonies Nos 3 & 4 sont les mieux enregistrées.   

LA SUITE APRÈS LA PUB

Texte de Jean-Pierre Robert

Plus d’infos

  • Johannes Brahms : Intégrale des Symphonies (N°1 op.68, N°2, op.73, N°3, op.90, N°4, op.98). Double Concerto pour violon et violoncelle, op.102. Ouverture Tragique op.81. Sérénade  N°2, op.16
  • Gordan Nikolitch (violon), Tim Hugh (violoncelle)
  • London Symphony Orchestra, dir. Bernard Haitink
  • 4 CDs LSOlive : LSO0570 (Distribution : [Integral])
  • Durée des CDs : 59 min 29 s + 74 min 47 s + 69 min 06 s + 41 min 20 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile grise (4/5)                                                         

CD disponible sur Amazon



Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


Brahms, London Symphony Orchestra, Bernard Haitink, Gordan Nikolitch, Tim Hugh

PUBLICITÉ