CD : Fazil Say joue les Variations Goldberg de Bach
Enregistrer les Variations Goldberg au piano c'est immanquablement se confronter aux versions de Glenn Gould. Mais aussi à quelques-unes plus récentes, pas moins marquantes (Schiff, Perahia, Vogt, Tharaud). Le pianiste turc Fazil Say, qui indique avoir longtemps attendu avant d'aborder cette œuvre et l'inscrire à son répertoire, en livre une interprétation où l'on sent la main aussi bien du compositeur que du pianiste qu'il est à part égale. Magnifiant l'inépuisable inventivité de cette guirlande de pièces, un des sommets de la littérature pour le clavier.
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L' ''Aria avec différentes variations pour un clavecin à deux claviers'' en Sol majeur BWV 988 que JS Bach compose en 1742, forme le quatrième et dernier volume du Clavier Übung. Il l'écrit pour un de ses élèves Johann Gottfried Goldberg. L’œuvre est constituée d'une aria, de 30 variations et de l'aria da capo finale, donc de 32 morceaux. Bach y déploie un art singulier de la composition, mêlant des variations à un ou deux claviers, dont des canons de forme différente, ces derniers disposés toutes les trois variations. Il fait montre d'une habileté d'écriture inouïe et d'une science du contrepoint d'une rare maîtrise dans sa complexité, mais donnant l'impression d'une totale fantaisie eu égard au caractère très divers des pièces. Les jouer sur un piano moderne soulève des difficultés techniques redoutables, car aussi bien « de nombreuses parties contiennent des phrases où les mains, les touches et les doigts se chevauchent », remarque Say, ce qui implique que « chaque pianiste doit trouver ses propres ''solutions'' à ces difficultés afin de préserver la fluidité et la variété de la musique ». Say souligne encore que l’œuvre contient un caractère quasi mathématique. Non que cet aspect conduise à une vision mécanique dans l'appréhension des morceaux, comme on le ressent parfois chez certains interprètes.
L'impression générale que donne l'interprétation de Fazil Say est un jeu d'une vraie spontanéité et d'un grand naturel, qu'autorise bien sûr une technique souveraine, largement portée par une vision d'une apparente simplicité, d'humilité presque. Comme il en va du traitement de l'aria initiale, d'une grande limpidité, juste rehaussée d'un réchauffement au médian. Il n'y a rien d'affecté dans le pianisme, non plus que d'appliqué, encore moins de mécanique, grâce à une extrême souplesse. Par ailleurs découvre-t-on combien ces courtes pièces affirment le chant, comme à la Variation XXI, un canon à un clavier et ses divers climats au fil de diverses séquences, ou la Variation XXV légèrement mélancolique au long de son cheminement qui semble ne pas finir. Say insiste aussi sur l'impact de la danse. Ce qui se ressent dans plus d'un morceau, comme à la Variation XXIV qui est un canon à un clavier.
Sans entrer dans le détail, on citera quelques traits saillants de cette interprétation. Ainsi de l'extrême fluidité des variations rapides : la XIème à deux claviers, prise à un tempo prestissime, la XIVème, d'une folle inventivité, ici d'une totale allégresse dans ses traits pointés et ses trilles d'une amusante facture. La légèreté dans les notes piquées, se rencontre encore dans la ''Fughetta'' de la Variation X joliment sautillante. Le soin porté au contrepoint, dans les canons en particulier, n'est pas moins remarquable : celui de la Variation XV ou de la XVIIIème. L'art contrapuntique, on l'expérimente aussi à la XXIIème ''Alla breve'' ; que suit la Variation XXIII, modèle d'humour avec ses montées chromatiques, ses roulades et appogiatures d'une fantaisie débordante. Le souci des couleurs appert à travers le choix judicieux des tempos. Ainsi à la lumineuse Variation XX, rappelant une pièce de Scarlatti ou à la gracieuse VIIème. Les fins de phrases sont discrètes et souvent pleines d'esprit. Surtout, Say résout habilement les difficultés d'adaptation au piano déjà soulignées. Ainsi de la Variation VIII à deux claviers, dans son tempo soutenu et bien allant, de la Variation XX, également à deux claviers, suprême démonstration d'un jeu perlé en même temps d'une extrême souplesse. La dernière variation, dite ''Quodlibet'', là aussi modèle de contrepoint, est dénuée de rigidité pesante, mais au contraire sonne dansante dans son humour premier.
Cette version dont le timing d'ensemble (environ 76') s'inscrit dans la moyenne des interprétations, fuit l'excès de lenteur de certaines (Lang Lang) ou de rapidité souvent intrépide d'autres (Gould). Elle s'inscrit auprès des plus grandes. On n'attendait pas nécessairement le pianiste turc dans ce territoire de Bach, qu'il arpente pourtant depuis ses débuts quant à d'autres œuvres. Elle est captée dans une acoustique plaisante, un studio renommé d'Izmir en Turquie, et avec un beau relief, l'instrument - dont n'est pas précisée la marque - bien centré dans l'image sonore.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Jean-Sébastien Bach : Goldberg Variationen BWV 988
- Fazil Say, piano
- 1 CD Warner : 5054197233968 (Distribution : Warner Classics)
- Durée du CD : 75 min 59 s
- Note technique : (5/5)
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