CD : le duo Argerich-Capuçon illumine un bouquet de sonates pour violon et piano
Ce CD est la captation du concert donné le 22 avril 2022 au Festival de Pâques d'Aix-en-Provence. Renaud Capuçon, directeur artistique de la manifestation, avait convié Martha Argerich pour une séance de sonates. Le frisson du live, le sens de l'événement, rarement a-t-on ressenti une telle entente : plus que deux musiciens d'exception jouant ensemble, la simple véracité de la musique, à travers un choix de partitions essentielles du répertoire violon-piano. « Notre but n'est pas de faire un bon concert, nous sommes là pour vivre une expérience extraordinaire », souligne le violoniste. Un album de musique de chambre à chérir.
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La Sonate N°1 en La mineur op.105 de Schumann (1851), que Capuçon indique avoir découverte à l'écoute de l'enregistrement qu'en firent dans les années 1980, Argerich et Gidon Kremer (DG), flatte la tessiture grave du violon, souvent loin de la brillance que procure le registre le plus aigu, au long de ses trois mouvements. Le premier ''Mit leidenschaftlichen Ausdruck'' (avec une expression passionnée) partage son premier thème lyrique avec des élans fulgurants. L'Allegretto, un scherzo qui ne dit pas son nom, hésite entre phrases poétiques et capricieuses, entrecoupé par deux trios, l'un tendre, l'autre plus tendu. Le ''Lebhaft'' (Vif) final, de mode scherzando, évolue dans une sorte de perpetuum mobile où les deux interprètes sont souvent à l'unisson. La complicité entre Capuçon et Argerich est totale, même si le violoniste reconnaît être influencé par le jeu de la pianiste, « l'interprète de Schumann la plus incroyable que je connaisse », dit-il.
Avec la Sonate N°9 ''Kreutzer'' en La majeur op.47 de Beethoven, on est en terrain plus connu. Dans un domaine si fréquenté par d'illustres interprètes, l'exécution d'Argerich et de Capuçon respire une sorte d'évidence, même si quelques touches personnelles à ce duo les distinguent de leurs collègues. Sans doute bénéficie-t-elle de l'adrénaline du concert. Le second thème Presto du mouvement initial est pris à un tempo plus que soutenu et d'étincelante façon. Mais la course qu'on pourrait croire effrénée est en réalité hautement maîtrisée, notamment dans ses passages d’accalmie précédant des montées en intensité presque rageuses. Le développement, où l'on sent la fabuleuse maîtrise d'Argerich, emporte tout sur son passage, conduisant le violoniste à se dépasser. La coda ne laisse pas toucher terre jusqu'à cette modulation finale d'une si grande douceur que conclut une pirouette prestissime. À l'Andante con variazioni, l'air entamé par le piano offre au violon une sublime entrée en matière. Alors que les deux voix s'unissent dans la plus belle harmonie, les variations vont déborder de fantaisie, menée par le piano bondissant d'Argerich (N°1), de climat lumineux grâce au violon solaire de Capuçon, nanti d'une jolie accélération dans le récit (N°2). La réflexion légèrement mélancolique de la 3ème variation, dans son ambitus large au piano, laisse au violon de Capuçon matière à s'enflammer. Le piano reprend les opérations à la 4ème variation sur des pizzicatos du violon, tandis que celui-ci s'empare de la mélodie gorgée de trilles aventureux, d'un naturel confondant sous l'archet de Capuçon. La dernière variation renchérit en profondeur abyssale sous les doigts d'Argerich pour installer avec les trilles du violon un chant sublime. Le final Presto, débuté par un accord franc de la pianiste, sera un feu d'artifice de bout en bout. Son thème guilleret s'égrène dans la plus grande limpidité à un tempo mené tambour battant. Cela respire la joie de laisser à entendre la musique à son meilleur.
La Sonate en La mineur de Franck (1886), sommet d'élégance française, a déjà été enregistrée par Capuçon avec Khatia Buniatishvili (Erato). La présente interprétation est emplie de contrastes et d'une rare beauté plastique. « Nous jouons l'œuvre un peu à la manière d'une improvisation » souligne Capuçon. Argerich débute l'Allegretto ben moderato dans un tempo retenu, sorte de défi au violoniste qui doit tout donner dans un phrasé legato jusqu'au basculement dans une allure plus allante imposée par un clavier bien sonnant et pédalé. C'est tout l'art de Capuçon de maintenir l'intensité, de la ''prendre'' à sa partenaire dans ce moderato voulu par le compositeur, ici presque pris à la lettre. À l'Allegro suivant les choses s'enflamment du côté de la pianiste, mais vite, au développement, le violoniste s'approprie-t-il le discours, élégiaque et cantabile. Le soudain ralentissement prend tout son sens : une rêverie quasi lento. La récapitulation se nourrit d'un feu crépitant, poussant Capuçon à se dépasser et la coda ose un tempo tumultueux. Le Recitativo Fantasia ouvre d'autres perspectives. L'échange entre les deux artistes nous fait gravir lentement quelque sommet et atteindre le Nirvana de la fabuleuse mélodie menée par le violon souple, réfléchi, idéalement timbré sur tout le registre, sur l'accompagnement doucement berçant du piano. Les deux voix ne sont plus qu'une dans cette musique de l'âme. L'Allegretto poco mosso final, parfait exemple de l'écriture contrapuntique de Franck sur le mode cyclique, s'enroule naturellement, tout de simplicité. Lorsque le débit s'anime, les deux partenaires prennent des risques calculés. Et la péroraison est rien moins que glorieuse. Chacun y rivalise d'adresse, de joie débordante, de lyrisme, de griffe gallique.
L'enregistrement live au Grand Théâtre de Provence d'Aix est d'un exceptionnel relief, offrant un parfait équilibre entre les deux voix captées dans toute leur amplitude et leurs magistrales couleurs.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Robert Schumann : Sonate pour violon et piano N°1 op.105
- Ludwig van Beethoven : Sonate pour violon et piano N°9 ''Kreutzer'', op.47
- César Franck : Sonate pour violon et piano en La mineur
- Renaud Capuçon (violon), Martha Argerich (piano)
- 1 CD Deutsche Grammophon : 486 3533 (Distribution : Universal Music)
- Durée du CD : 83 min 26 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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