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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : les Concertos de piano de Clara et de Robert Schumann

Schumann ClaraEtRobert

Ingénieuse idée de rapprocher les concertos de piano de Robert et de Clara Schumann, écrits dans la même tonalité de La majeur à dix ans d'intervalle. Deux œuvres sans doute liées par un lien, celui d'un amour réciproque. « Tu me complètes en tant que compositeur, tout comme moi je te complète. Chacune de tes pensées provient de mon âme, tout comme je te dois toute ma musique », écrit Robert à Clara en 1839. Beatrice Rana et Yannick Nézet-Séguin offrent de ces partitions des exécutions toutes personnelles, on ne peut plus attachantes.

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 Plutôt que d'associer le Concerto de piano de Schumann à celui de Grieg au prétexte de leur identité de tonalité, l'unir à celui de Clara semble tomber sous le sens. Ce n'est pas souvent le cas au disque. Et pourtant, il y a bien des intérêts à rapprocher les deux œuvres. Pianiste déjà célébrée, la jeune Clara Wieck, future épouse Robert Schumann, se lance à 14 ans dans la composition d'un concerto pour son instrument, qui sera créé en 1835. Il connaît une curieuse gestation : son dernier mouvement voit le jour en premier, sous forme de pièce de concert isolée, un Concertstück pour piano, ayant au demeurant bénéficié des conseils d'orchestration de l'ami Robert Schumann. Étonnante coïncidence : le premier mouvement du Concerto de Robert sera conçu sous la forme d'une Fantaisie pour piano à part entière. Un des points rapprochant les deux concertos, outre la fameuse tonalité de La mineur. Œuvre d'une « femme visionnaire dès son plus jeune âge », remarque Beatrice Rana, là où il nous faut être conscient « de l'influence qu'elle a exercée dans un monde de grands compositeurs hommes », renchérit Nézet-Séguin, le Concerto pour piano op.7 de Clara est d'un seul tenant. À l'Allegro maestoso, une introduction orchestrale déclamatoire amène l'entrée du piano tout aussi affirmée. Qui pourtant poursuit dans le plus grand lyrisme, à la Chopin. Au discours volubile du soliste s'agrège un accompagnement très soutenu, comme plus tard il en sera dans le début du Concerto de Schumann. La Romance, marquée Andante non troppo con grazia, débute par un solo de piano, longue phrase cantabile généreusement modulante que suit un solo de violoncelle en épousant le chant dans un dialogue poétique avec le clavier. Le finale Allegro non troppo est initié en forme de polonaise par une courte fanfare. On y rencontre de complexes modulations du piano qui ne sont pas sans rappeler le Concerto pour piano N°2 de Chopin, comme des passages extrêmement lyriques. Le morceau final, qui a bénéficié de l’orchestration de Robert, notamment dans le développement, mène à une coda fougueuse montrant une écriture accomplie. Beatrice Rana joue cette œuvre avec une indéniable empathie.

« On retrouve une partie de l'influence de Clara dans la variété même du concerto de Robert », alors que « toute la musique de piano de Robert a été écrite pour les mains de Clara », remarque la pianiste. Le Concerto pour piano en La mineur op.54 de Schumann (1845), dédié à une femme, est souvent joué par une pianiste (Argerich, Pires, Grimaud, Uchida...). La présente interprétation se souvient de ce que le Ier mouvement Allegro affetuoso provient d'une ''Phantasie'' écrite en 1841. Le ton adopté par la pianiste italienne et le chef Yannick Nézet-Séguin est délibérément fantasque : passé l'énoncé du Ier thème délicatement exposé au piano, on se prend à folâtrer parmi ses moult métamorphoses où alternent l'intense expressif et le très passionné. De franches ruptures émaillent l'accompagnement orchestral prodigué par le chef, accentuant les écarts dynamiques dans les passages où la mélodie du piano est agrémentée des interventions des bois (clarinettes, flûtes, hautbois) qui ont tout loisir de tresser leurs arabesques ; ce que les solistes de COE réalisent à merveille. Rana adopte un ton plutôt sobre dans ces échanges avec l'orchestre. La cadence, annoncée fiévreusement à l'orchestre, se déploie dans un large ambitus. Et la trottinante coda pousse vers une joyeuse conclusion. L'Intermezzo Andante grazioso se vit d'abord dans la discrétion avant que se déploie la cantilène des cellos. Celle-ci est amplifiée à l'orchestre et ses bois solistes dans une allure confortable quoique marquée par quelques ralentissements. Un répit, souligné par le chef, de plus en plus lent jusqu'à la transition magique qu'on a dite « pleine d'expectative » (Brigitte François-Sappey). Le Vivace final se veut ici plus radieux qu'héroïque. D'une impétuosité maîtrisée, nouvel intermède romantique agréablement tricoté par le piano fluide de Rana et l'accompagnement tout aussi allant de Nézet-Séguin. La richesse de cet ultime épisode bénéficie d'une palette de dynamique et de tempos poussée à l'extrême. Au fil de cette exécution, on aura apprécié la ductilité du pianisme de Beatrice Rana, l'absence de toute dureté et un souci de sobriété, là où plus d'une de ses consœurs choisissent une manière affirmative d'une volonté de force. Une vision toute personnelle, assumée par le chef et son orchestre d'élite.

Beatrice Rana conclut ce parcours par une pièce solo, ''Widmung'', extraite de l'op.25 de Robert, composée en 1840, l'année de leur mariage : une ''Dédicace'', parfait « résumé de leur relation, racontant un amour si incroyable qu'il fait naître en chacun d'eux ''un meilleur moi''... une dédicace de ma part à ce grand couple, qui est une source inépuisable d'inspiration », souligne-t-elle. La transcription de Liszt, intitulée ''Liebeslied'' (Chant d'amour), allie virtuosité et profonde poésie. Comme l'interprétation de la pianiste.

Ces exécutions, saisies au Festspielhaus de Baden-Baden lors du Festival d'été 2022, dispensent un naturel étagement des plans et un équilibre parfait entre soliste et orchestre.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • Clara Wieck-Schumann : concerto pour piano N°1 en La majeur op.7
  • Robert Schumann : Concerto pour piano en La majeur op.54. ''Widmung'' op.25 N°1 (arr. Franz Liszt)
  • Beatrice Rana, piano
  • Chamber Orchestra of Europe, dir. Yannick Nézet-Séguin
  • 1 CD Warner Classics : 5054197296253 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 57 min 22 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

CD disponible sur Amazon 



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