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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Véronique Gens ''est'' La Voix humaine

Veronique Gens Poulenc

Véronique Gens aborde enfin au disque le mélodrame La Voix humaine, une des dernières œuvres dramatiques de Francis Poulenc. Grâce à un sûr talent de diseuse, elle rejoint la performance légendaire de la créatrice du rôle, Denise Duval. Le magistral soutien orchestral que prodiguent Alexandre Bloch et l'Orchestre National de Lille est pour beaucoup dans la gravité de cette petite tragédie de la rupture. Ils donnent en complément une séduisante interprétation de la Sinfonietta, une œuvre symphonique bien différente par son caractère léger.

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 Avec Les Dialogues des Carmélites, La Voix humaine appartient à la dernière veine créatrice de Francis Poulenc. Elle sera créée à l'Opéra Comique en février 1959 avec Denise Duval dans le rôle de la femme, sous la direction de Georges Prêtre et dans une mise en scène de Cocteau. Directement inspirée de la pièce de celui-ci, donnée en 1930 à la Comédie Française, cette tragédie lyrique en adopte la singularité. « Je pense qu'il me fallait beaucoup d'expérience pour respecter la parfaite construction de La Voix humaine qui doit être, musicalement, le contraire d'une improvisation. Les courtes phrases de Cocteau sont si logiques, si humaines, si chargées d'incidences que j'ai dû écrire une partition rigoureusement ordonnée » écrit-il en 1959 à Louis Aragon. De fait, l'apparente fragmentation du texte centré sur le monologue d'une femme au bord de la rupture avec son amant qui la quitte, reliée encore à lui par le seul médium d'une conversation téléphonique, est a priori tout sauf porteur. Et pourtant le ressort de ce qui est une attente vaine procède de ce discours nécessairement haché, où l'« on doit subitement passer de l'angoisse au calme et vice versa », préconise le compositeur. Comme si l'on entendait l'interlocuteur s'exprimer au bout du fil. Poulenc parvient à instaurer une progression dramatique qui ne connaît pas de répit, même si - et peut-être parce que - agrémentée d'incidents réalistes, tel l'épisode du chien, et à réaliser un étonnant équilibre entre voix et orchestre. Si la voix connaît de nombreux passages où elle évolue seule, l'orchestre semble l'envelopper constamment. « L’œuvre doit baigner dans la plus grande sensualité orchestrale », dira encore Poulenc. Et que dire du rôle du téléphone dont les sonneries intempestives, au xylophone, interrompent le récit avec une effroyable efficacité lors des échanges de la femme avec l'opératrice des PTT.

Formidable tragédienne, formée à l'opéra baroque aussi bien que classique français, Véronique Gens se devait d'aborder ce singulier monologue avec soi-même. Outre l'acuité de la diction et la clarté du timbre de soprano, qui en soi emportent déjà l'impact, c'est le ton et la palette des états émotionnels qui font mouche. Aussi à l'aise dans le quasi parlando calqué sur le langage parlé que dans le grand élan lyrique presque opératique, la chanteuse reste partout d'un parfait naturel. Que ce soit dans le registre de la douleur ou du bonheur feint, dans l'abattement ou l'exaltation, la tendresse ou l'agressivité, souvent en un tournemain eu égard au caractère cursif du texte, Gens nous émeut par la simplicité de l'approche, dénuée de théâtralité, et s'accordant peu de liberté, malgré la latitude laissée par l'auteur à son interprète. Ce qui, selon la créatrice Denise Duval, est « une œuvre de détresse vécue » où « la douleur est inscrite dans ses fibres », Véronique Gens le porte dans le ''vrai'' de son interprétation. Tel soupir (''Quoi... très forte''), tel accent sur le mot (''Oh mon chéri ne t'excuse pas''), telle rupture dans le discours laissé en suspens (''Je ne sais pas encore''), telle hésitation imperceptible (''Je ne savais pas que c'était si rapide''), n'ont d'égaux que les silences porteurs de suspense (''J'ai été très malade'') ou le poids du sanglot étouffé (''Chéri, chéri'' ou les déchirants ''Je t'aime'' finaux). Peu d'interprétations ont de si près touché au vécu et tutoyé une telle intensité. Ce que la trame orchestrale concoctée par Alexandre Bloch, par ses choix de contrastes de couleurs et de rythmes, achève de mettre en valeur, notamment à travers le réseau de motifs récurrents imaginés par Poulenc.

La Sinfonietta est d'une tout autre trempe. Fruit d'une commande de 1947 de la BBC, elle sera donnée en première audition à Londres en 1948 par le BBC Philharmonic, sous la direction de Roger Désormière, et dédiée à Georges Auric. L’œuvre en quatre mouvements présente l'aspect et la durée d'une symphonie. Mais Poulenc tenait à l'appellation de ''Sinfonietta'' ; ce qui correspond de fait à sa fraîcheur et sa liberté de ton, alors qu'elle compte au demeurant quelques auto citations. Alexandre Bloch en propose une exécution séduisante et d'un superbe fini instrumental. Ainsi de l'Allegro con fuoco initial, quoique moins nerveux dans l'attaque franche du premier thème que ne le prenait naguère Georges Prêtre (EMI). Les diverses séquences subséquentes sont justement ménagées comme les fréquents changements de climats. Le Molto vivace, tel un scherzo, évolue plein de joie avec ses relents de marche en concurrence avec des formules dansantes, comme souvent chez Poulenc. L'Andante cantabile s'avère chantant dans l'aubade des bois puis sa jolie mélodie à l'ancienne, suivie d'une section plus expansive dominée par les cordes et d'une péroraison légèrement mélancolique. Au finale ''Très vite et très gai'', dont la rédaction quelque peu laborieuse retarda d'un an la livraison de la commande, la joie éclate avec la reprise des thèmes précédents. La manière, typiquement poulencquienne, propose d'amusantes sautes d'humeur que la présente exécution ménage avec doigté pour restituer, par exemple, une atmosphère de fête foraine accolée à des passages d'un lyrisme un peu convenu. Mais on ne résiste guère à ce flot musical. Un conseil : écouter cette œuvre en premier, avant La Voix humaine afin d'éviter un trop fort contraste.

Les enregistrements, dans l'auditorium du Nouveau Siècle à Lille, procurent une image aérée dans l'une et l'autre œuvre. Pour le mélodrame, a été fait le choix d'un positionnement unique de l'interprète vocale, sans rechercher de mise en espace.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • Francis Poulenc : La Voix humaine. Tragédie lyrique en un acte d'après la pièce éponyme de Jean Cocteau. Sinfonietta, FP 141
  • Véronique Gens, soprano
  • Orchestre National de Lille, dir. Alexandre Bloch 
  • 1 CD Alpha : Alpha 899 (Distribution : Outhere Music France)
  • Durée du CD : 70 min 47 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5)

CD disponible sur Amazon 



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