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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Daniel Barenboim signe son intégrale des symphonies de Schumann

SchumannSymhonies

Après Beethoven, Bruckner, Brahms, voici l'intégrale des Symphonies de Schumann sous la baguette de Daniel Barenboim, captée à l'automne 2021. Avec ''son'' orchestre de la Staatskapelle de Berlin dont il a fait une phalange symphonique qui compte parmi les plus prestigieuses du moment. « Beethoven et Schumann ont rendu possibles Wagner, et Mahler. Schumann a été historiquement un des plus importants compositeurs du XIXème siècle », souligne-t-il.

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De quoi tordre le cou au cliché si répandu d'un musicien piètre orchestrateur. « Les symphonies schumaniennes ont longtemps pâti d'être jouées tudesques par des orchestres postromantiques pléthoriques, alors qu'elles reprennent vie dès qu'elles sont menées avec plus de verdeur ». Qu'en est-il de la manière de Barenboim ? Il utilise un grand orchestre, celui de la Staatskapelle Berlin, habitué au répertoire opératique, mais aussi fréquentant, de longue date maintenant, le domaine purement symphonique. On sait que le nombre ne fait pas la réussite, dans un sens ou dans l'autre. Tout est affaire de dosage et de nuances dans la conduite. Comparée aux intégrales récentes de Yannick Nézet-Séguin avec le COE (DG) et de Simon Rattle à la tête des Berliner Philharmoniker (BPRecordings), qui chacun à sa manière, privilégie un allègement de la texture, la vision de Daniel Barenboim se situe dans une forme de tradition. Une vision ''centrale'' pourrait-on dire. Les grands élans sont bien là, mais non l'effet de masse auquel pourrait conduire une formation nombreuse. La dynamique, si importante dans l'orchestre de Schumann, bénéficie d'une large palette de nuances, sans être excessive, non plus que le spectre sonore est disproportionné ou théâtralisé. Les tempos sont bien jugés, même si çà et là des ralentissements, coutumiers chez le chef, manifestent un souci de dramatisation. À l'inverse, le discours peut prendre une allure propulsive. La recherche de couleurs est tout aussi indéniable, même si dans un sens différent des interprétations historiquement documentées, comme un Gardiner (DG). On rencontre alors un ton alerte, proche de Mendelssohn. La malléabilité de la Staatskapelle Berlin autorise cet adoucissement de la matière sonore, notamment pour ce qui est des cordes dont Barenboim souligne la clarté de la texture et la finesse, mais aussi s'agissant des vents, d'une beau grain côté bois et d'une relative discrétion côté cuivres. Tout évolue dans une perspective naturelle de concert, ce que restitue une prise de son parachevant un équilibre pleinement satisfaisant entre cordes et vents et mettant en valeur les caractéristiques de l'orchestre.

Quelques remarques concernant les quatre œuvres. La Symphonie N°1 op.38 ''du printemps'' en Si bémol majeur (1841) offre un bel exemple de ces caractéristiques. Dès le premier mouvement et sa fanfare d'entame, la manière s'avère vive, pleine de joie de vivre, évoluant en un flux généreux, s'emballant joliment à la coda. Le Larghetto est chantant, pas seulement dans la majestueuse phrase des cellos. Le tempo est lent, non sans accords appuyés : ce beau chant d'amour à Clara dont on perçoit le fameux thème. Bien balancé, le Scherzo Molto vivace est calé dans une rythmique dansée et le trio fait contraste, sa deuxième réplique prise à une allure plus rapide, introduisant un bel effet de surprise. Quant au finale, Allegro animato e grazioso, sa scansion martelée toute mendelssohnienne, qu'accentuent quelques accélérations, maintient en haleine. Comme le changement de climat qu'apporte le deuxième thème. Ce qui conduit fièrement à un joyeux tumulte d'apothéose.

La Symphonie N°2 op.61 en Ut majeur, qui n'est pas la plus aisée des quatre, est une fière réussite. Le Sostenuto initial qui emprunte la rigueur de Bach, donne le ton de gravité, tandis que l'Allegro non troppo impose un flux très soutenu dans le développement. La coda est fiévreuse. Le Scherzo vivace, « fuyante ronde hoffmannienne », selon Brigitte François-Sappey, a du mordant dans son débit très rapide, fantasque à souhait. Le trio semble vouloir stopper la course, mais à chaque fois le retour du tempo est quasi boulé, ce que les musiciens berlinois assument crânement. Comme la coda Stringendo renchérissant en irrépressible vitesse. Le contraste n'en est que plus net avec L'Adagio espressivo, une des plus profondes pages lyriques de Schumann : un lit de cordes d'où éclot la mélodie envoûtante des bois, hautbois, bassons, clarinettes. Barenboim fait son miel du merveilleux crescendo par deux fois monté dans un dégradé de pianissimos, débouchant sur les trilles des cordes suraiguës. Très intérieur, le mouvement s'achemine vers une conclusion tout en douceur. L'Allegro molto vivace final renoue avec l'énergie et la luminosité du début de la symphonie. Là où Schumann voyait sa « Jupiter symphonie », Barenboim ne cherche pas à en faire une symphonie du destin façon Cinquième de Beethoven.

La Symphonie N°3 ''Rhénane'' op.97 en Mi bémol majeur souffre d'une baisse d'adrénaline, malgré son caractère radieux et ses éclats héroïques. Les deux mouvements de début et de fin, marqués Lebhaft (animé), connaissent une énergie comme retenue, le dernier plus confortable que propulsif, eu égard à quelques ralentissements qui semblent en assombrir le climat de fête. Les trois séquences médianes forment contraste : le Scherzo, ''Très modéré'', ample comme une danse de Landler, évolue sans se presser, tandis qu'au'' Nicht schnell'' (pas vite) suivant, sorte d'intermezzo romantique expressif s'enfonçant dans une douce rêverie, la musique progresse telle une belle idylle à travers les beaux traits des bois. Le ''Feierlich'' (solennel) voit son choral aux trombones insister sur une couleur funèbre, là où Barenboim installe un ton presque d'ordre religieux au médian et à la péroraison recueillie avec ses cuivres glorieux. La souveraine perfection sonore s'étend bien sûr à tout l'orchestre.

Barenboim joue la Symphonie N°4 op.120 en Ré mineur dans sa version remaniée de 1851/1853. Le matériau y révèle mieux la subtilité de l'harmonie schumannienne. La vision est volubile, n'hésitant pas à bouler le tempo (coda du premier mouvement, péroraison du finale prestissime). Passé le ''Assez lent'' du début de la symphonie, qui énonce le motif générateur de toute l’œuvre, le Lebhaft avec ses vastes phrases des cordes est pris à une allure mesurée, que soudain anime la fulgurance d'un second thème glorieux. La mélancolique Romanze, là encore marquée ''assez lent'', s'épanche naturellement et l'entrée du violon solo lors de la péroraison n'est pas exagérée en termes de prééminence sonore : une gamme amoureuse discrète. Le Scherzo tranche par sa vigueur et en même temps une réelle souplesse, alors que le trio s'inscrit justement dans la continuité du mouvement lent, et après la reprise, installe cette étonnante raréfaction du climat qu'est le passage de transition vers le finale avec ses appels de cuivres graves ; moment unique et délicat à restituer. Ce finale connaît d'abord une dynamique retreinte, avant une accélération par paliers jusqu'à une fin glorieuse. De ce qui aura été la longue et unique coulée d'une symphonie voulue « en un mouvement », notait Schumann.

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La prise de son, en deux séquences, dans la salle de l'Opéra Unter den Linden à Berlin, libère des perspectives d'un grand naturel dans la répartition des plans.

Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Robert Schumann : Symphonies N°1 op.38 ''Symphonie du printemps'', N°2 op.61, N°3 op.97, ''Rhénane'', N°4 op.120
  • Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim
  • 2 CDs & 1 DVD Deutsche Grammophon : (Distribution : Universal Music)
  • Durée des CDs : 67 min 53 s + 63 min 13 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

CD disponible sur Amazon



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