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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Rinaldo Alessandrini et Concerto Italiano enluminent le Livre VII de Madrigaux de Monteverdi

Monterverdi Rinaldo Alessandrini

« Le temps qui passe me convainc chaque jour davantage que nous devons rendre à Claudio Monteverdi un culte encore plus grand que celui dont il est l'objet », soulignait il y a peu Rinaldo Alessandrini. Et pourtant s'il est un chef qui s'y est employé, c'est bien lui ! Avec ces deux CD, il donne du Septième Livre des Madrigaux une interprétation éblouissante.

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Avec le Septième Livre de madrigaux à 1, 2, 3, 4 & 6 voix avec d'autres genres de chant, publié à Venise en 1619, Monteverdi franchit un pas dans l'art de la déclamation polyphonique. Il inaugure un nouveau concept musical, vraie « fracture stylistique », selon Alessandrini, par rapport aux précédents livres. Le Livre VII a pour titre ''Concerto'', ce qui met l'accent sur l'assimilation de styles divers et vise à conférer autant d'importance au texte qu'à la musique dans sa dimension narrative, notamment à travers ces ''autres genres de chant'' spécifiés dans le titre de l’œuvre : les Lettres pour voix seule, les Canzonettas avec instruments, la Romanesca pour 2 sopranos ou encore le Balleto final. « Dans le Livre VII, notre attention ne cesse d'errer, inquiète, et constamment sollicitée par des individualités, des subjectivités, conviée à l'écoute de strates sonores en perpétuel changement », remarque Alessandrini. Une dimension presque théâtrale se fait jour, dans un décor pastoral. Les joutes verbales y abondent souvent dans une écriture contrapuntique en imitation. Ce ''stile novo'' se caractérise encore par des vocalises volubiles, un large éventail d'affects, des associations vocales étonnantes, parfois vertigineuses (deux ténors et basse ou deux sopranos et basse).

Le chef italien a choisi de présenter les divers madrigaux du Livre VII, non dans l'ordre du manuscrit, mais selon un agencement permettant de « tenter de retrouver certains filons poétiques ». Ce à quoi conduit le thème fondamental de l'amour, traité ici dans une succession de pièces, madrigaux et autres, et une vaste palette d'affetti : idyllique, passionnel, enjoué, érotique, en tout cas descriptifs de tous les états amoureux : douleur, langueur, sensualité, humour, composante épique même. Ce qui au demeurant permet de rendre hommage au bel achalandage des voix dans toute leur diversité et aux savantes combinaisons imaginées par Monteverdi. Ainsi Alessandrini réunit-il les madrigaux autour des textes de leurs divers auteurs : Battista Marino, Claudio Achillini, Torquato Tasso et anonymes dans le 1er CD, Biagio Marini, Giovanni Battista Guarini, Bernardo Tasso, Gabriello Chiabrera et anonymes pour le second. Tout en respectant le « critère d'alternance variée des effectifs et des situations musicales ». On ne ressent aucune impression de disparate. Bien au contraire, cet assemblage autorise une progression en intensité grâce au rapprochement entre sonnets traitant la même thématique, même si dans sa diversité, comme il en est des ''Baci'' de Marino.

L'interprétation est impressionnante. D'abord portée par une équipe de sept chanteurs soigneusement distribués, bien sûr rompus à l'idiome montéverdien. Ainsi des sopranos. Monica Piccinini pourvoit un exceptionnel cantabile, par exemple dans ''Con che soavità'' (Avec quelle douceur) et son foisonnement dans le concert instrumental, et surtout dans la Lettre amoureuse à voix seule ''Se i languidi miei sguardi'' (Si mes regards languides), modèle de parlar cantando, comme si l'on se trouvait sur une scène idéale témoin de l'expression de l'ardeur amoureuse, et là où texte et musique ne font qu'un. De son timbre différent, Sonia Tedla apporte aux duos de sopranos son lot d'incandescence. Ils sont les gemmes de cette version. Comme dans ''Oh, come sei gentile'' (Comme tu es charmant) et ses échanges éperdus sur le ''O'' initial amoureusement tenu, exemple d'exubérance vocale qui pourtant cherche à traduire les sentiments intimes de la douleur amoureuse. De la ''Romanesca a 2'' où s'étalent les quatre sentiments cardinaux, douleur, désespoir, résignation et colère suicidaire, elles en tressent la diversité dans la monodie parfois dissonante. De même, à la ''Canzonetta a due voci concertata con duoi violini'', la simplicité du chant est-elle entrecoupée de joyeuses ritournelles instrumentales. Les ténors possèdent également des timbres de couleur différente : Valerio Contaldo est lumineux là où Raffaele Giordani verse dans le plus sombre. Chez celui-ci, le sonnet ''Se pur destina e vòle il cielo'' (Si le ciel le décrète et l'ordonne) se vit élégiaque, n'était le pathétisme de la séparation d'avec la femme aimée. Leur engagement est particulièrement en évidence dans les duos. Ainsi dans ce bijou que constitue ''Interrotte speranze, eterna fede'' (Espérances brisées, éternelle constance) où les deux voix liées l'une à l'autre déploient les mélismes du lamento désespéré de l'amant délaissé au profit d'un rival. Dans ''Ah, che non si conviene'' (Ah ! il est trop injuste), les unissons ou les écarts entre les voix traduisent avec emphase ce qu'est la fidélité amoureuse. Salvo Vitale, outre sa basse bien sonore, apporte souvent une note d'humour, par exemple dans le madrigal à 3 ''Eccomi pronta ai baci'' (Me voici prête aux baisers) qui conclut malicieusement érotique la série des ''Baci''. Quant au madrigal à 4 ''Tu dormi ? Ah, crudo core'' (Tu dors, ah ! cœur cruel), distribué à Sonia Tedla, Raffaele Giordani, Salvo Vitale et la contralto Elenza Carzaniga, il offre là encore un effet théâtralisé, les voix aiguës s'interpellant et se répondant, alors que l'entrée de la basse offre un changement de climat, en apparence plus apaisé.

Rinaldo Alessandrini fédère l'ensemble à la tête d'un ensemble de 12 musiciens de son Concerto Italiano, autant de solistes de premier plan. Toute l'originalité et la modernité sont là à travers le soin apporté à la basse continue et aux ritournelles d'orchestre très allantes, telles la Sinfonia du prologue ou l' ''Entrata grave'' ouvrant le CD2. Et singulièrement encore dans les interventions instrumentales durant le ballo final ''Tirsi e Clori''. Joliment relevées de percussions, elles sonnent d'une belle allégresse. Car ce ''dialogo e ballo concertato con voci et istrumenti a 5'', qui se distingue du genre du madrigal, est en soi la démonstration de la dimension théâtrale de l’œuvre tout entière. Une pièce à part cependant où s'unissent chant et danse en une vraie représentation emplie de joie presque frivole, ce qui tranche avec les sentiments plus modérés que mettent en scène les madrigaux et pièces précédentes.

L'enregistrement, à Padoue, est d'une particulière clarté. On y perçoit même des différences d'ambiance bienvenues, apportant un supplément théâtral à cette succession d'états amoureux. Les effets antiphoniques sont soigneusement rendus et la balance irréprochable entre les voix et la basse continue ou l'ensemble instrumental.
Texte de Jean-Pierre Robert  

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Plus d’infos

  • Claudio Monteverdi : Concerto. Settimo Libro de' madrigali a 1, 2, 3, 4, & 6 voci con altri generi de canti
  • Monica Piccinini, Sonia Tedla (sopranos), Elenza Carzaniga (contralto), Andres Montilla (alto), Valerio Contaldo, Raffaele Giordano (ténors), Salvo Vitale (basse)
  • Concerto Italiano, clavecin et dir. Rinaldo Alessandrini
  • 2 CDs Naïve : Op7365 (Distribution : Believe Group)
  • Durée des CDs : 62 min 17 s + 70 min 05 s 
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5

CD disponible sur Amazon



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