CD : Les Noces de Stravinsky dans la version originale de 1919
L'originalité du présent album est de présenter la version conçue à l'origine par Stravinsky pour son ouvrage Les Noces, restée inachevée pour des raisons techniques, mais récemment complétée quant à l'orchestration par le musicologue Theo Verbey. L'occasion d'entendre le foisonnement musical qu'avait à l'esprit l'auteur pour ses scènes de noces russes. Une première au disque.
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Œuvre capitale dans la production de Stravinsky, Les Noces ont connu une gestation complexe s'étalant sur plusieurs années, de 1915 à 1923. Un premier projet d'orchestration utilisant un effectif de quelque 150 musiciens est vite abandonné. Vient une deuxième version, en 1917, tout aussi considérable dans l'instrumentation, comprenant de nombreux cuivres, piano, harmonium, deux harpes, cymbalum, clavecin, percussions et cordes, non retenue finalement. Stravinsky envisage alors un « ensemble plus sommaire », dont un piano, un harmonium, percussions et cymbalums hongrois. Il écrira dans cette mouture de 1919 deux des quatre tableaux que comprend l’œuvre. Finalement, en 1923, pour les Ballets russes de Diaghilev, il décide de faire accompagner les voix par un ensemble constitué seulement d'instruments frappés (pianos, timbales, cloches, xylophone et tambours). La présente exécution revient, pour la première fois au disque semble-t-il, à la version de 1919, qui a été complétée en 2007 par Theo Verbey.
L'instrumentarium en est constitué d'un pianola, sorte de piano à bandes perforées actionnées par un pédalier, d'un harmonium, de deux cymbalums et d'un large spectre de percussions. Cet assemblage d'instruments aux sonorités dissemblables apporte une vraie étrangeté à ces scènes de noces villageoises et souligne la singularité de la partie chantée, voix solistes et chœur. Le côté volontairement abscons, l'aridité même du texte n'en ressortent que mieux : son dessein rituel à travers un montage en quatre parties, Chez la mariée ou la Chevelure, Chez le marié, Le départ de la mariée, Le repas de noces. Comme l'association étonnante entre chant funèbre, invocation aux divinités et rire sarcastique de la communauté des invités, façon chœur antique, parfois proche du voyeurisme. André Boucourechliev relève que « c'est la musique qui détermine le sujet, non le contraire » car Stravinsky « veut ''présenter plutôt que décrire'' ». Cette instrumentation lui confère une force primaire peu commune.
L'interprétation, en langue originale russe et non dans la traduction française de Ramuz, donnée par le Chœur Aedes dirigé par Matthieu Romano et les quatre voix solistes, soprano (Amélie Raison), mezzo-soprano (Pauline Leroy), ténor (Martial Pauliat) et basse (Renaud Delaigue) n'appelle que des compliments. Tous jonglent à la perfection avec les différences de rythmes, les chevauchements de voix ou les associations improbables entre elles, pour traduire le pittoresque de la trame, le côté obsessionnel des réactions des uns et des autres protagonistes. La contribution des instrumentistes solistes de l'orchestre Les Siècles n'est pas moins remarquable, dont celle de René Bosc jouant un pianola Yamaha. Et on ne peut que saluer le travail de Theo Verbey, aidé par Colin Matthews, quant à la complétion des deux derniers tableaux dans cette configuration.
On passera vite sur le couplage : une ''adaptation'' dans une instrumentation identique à celle de la pièce de Stravinsky du Boléro de Ravel, due à Robin Melchior. Qui trouve sa justification dans le spectacle dansé, présenté au Théâtre de Chaillot en 2021, intitulé ''Nijinska / Voilà la femme''. Et qui donne à entendre le fameux thème susurré par une voix de soprano, repris par le chœur, suivie de l'entrée de l'harmonium, etc... Ce qui n'est décidément pas dans le goût de la musique d'un compositeur qui aimait pourtant les boîtes à musique. Mais nul doute pas celle-là ! Pourquoi s'ingénier à chercher à changer ce qui est - si bien - écrit, à vouloir faire à tout prix du ''d'après''. « La véritable transposition vers la voix » dont se targue Matthieu Romano n'apporte pas grand-chose à la singularité de cette œuvre magistrale et à son fabuleux pouvoir hypnotique. Dommage.
Les enregistrements au RiffX Studio de La Seine musicale (Les Noces) et au CNSM de Paris (Boléro) offrent une parfaite lisibilité malgré la complexité des œuvres.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Igor Stravinsky : Les Noces (version de 1919, complétée par Theo Verbey, 2007)
- Traditional russian folk song : ''Ne vesiolaïa''
- Maurice Ravel : Bolero (arrangement de Robin Melchior)
- Amélie Raison (soprano), Pauline Leroy (mezzo-soprano), Martial Pauliat (ténor), Renaud Delaigue (basse)
- Chœur Aedes, dir. Matthieu Romano
- Les Siècles
- 1 CD Aparté : AP 300 (Distribution : [Integral]
- Durée du CD : 40 min 50 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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