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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'opéra : La Ville morte de Korngold à l'Opéra de Munich

Korngold Bayerische Staatsoper

Peu souvent donné à la scène, ayant encore moins les faveurs du disque, La Ville morte, le chef-d’œuvre opératique de Korngold, connaissait à l'Opéra de Munich en novembre 2919 une nouvelle production unanimement saluée pour son impressionnante régie expressionniste, son duo vocal de choc et sa direction d'orchestre incandescente. Le présent DVD restitue avec une rare fidélité l'impact de ce spectacle où s’interpénètrent rêve et réalité.

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« La lutte de la puissance érotique de la femme vivante contre la puissance persistante de l'esprit de la morte... tout cela m'a attiré » précise Korngold à propos de son opéra en 1921. La Ville morte, créé l'année précédente à Cologne, lui a été inspiré par le roman de Georges Rodenbach, « Bruges-la-morte » (1892), qui avait servi de base à un drame symboliste, « Le mirage » (1897). Un homme pleure la mort de sa femme, Marie. Une autre femme, Marietta, une actrice danseuse, se présente, offrant une ressemblance troublante avec la défunte. Elle le séduit, mais il lui avoue n'aimer en elle que le souvenir de sa propre femme. Devant son insistance, il la chasse. Mais elle s'en prend à la mèche de cheveux de Marie, conservée telle une relique. Il l'étrangle avec la tresse, brisant là son rêve. Épilogue : il se réveille, Marietta vient de sortir ; elle réapparaît ayant oublié son parapluie... Type même du Zeitoper (opéra d'actualité), qui dans ces années 1920, commence une carrière prometteuse, l'œuvre dont le père de Korngold est en fait l'auteur du livret, Paul Schott n'étant qu'un pseudo de Julius Korngold, réinterprète le roman de Rodenbach. À la différence de Debussy qui avec son Pelléas et Mélisande colle de près au texte de Maeterlinck. Le thème du héros dont le parcours hallucinatoire est tracé dans l'atmosphère décadente de la ville de Bruges, est transcendé par une approche plus exaltée chez Paul et une joie de vivre débordante chez Marietta. Par le désir de voir en cette femme la réincarnation de son épouse, le héros se confronte vite au mirage de l'illusion, et on passe subrepticement du rêve à la réalité.

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Acte I - Jonas Kaufmann (Paul), Marlis Petersen (Marietta) ©Wilfried Hösl 

La régie de Simon Stone ne cherche pas à recréer une époque passée. Il place cette histoire singulière dans un pseudo contemporain : la maison dans une rue banale où vit le héros Paul, décorée années 60 avec des posters des films Pierrot le fou ou Blow up. Là où celui-ci entretient un culte quasi maniaque de sa défunte femme, dans un cabinet secret où sont apposées aux murs des myriades de photos d'elle et rangées soigneusement des boîtes contenant ses effets personnels, jusqu'à sa chevelure disposée sur un porte perruque. Grâce à un plateau tournant, l'espace scénique est occupé par les diverses pièces de la maison, à l'intérieur de laquelle se meuvent constamment les personnages et erre Paul sous l'emprise de son délire divinatoire. Ce dispositif se disloque le temps du IIème acte et du début du IIIème, pour laisser place d'une part, à la vision onirique et haute en couleurs de la fête organisée par Marietta avec ses collègues de théâtre, d'autre part, au tableau de la procession religieuse en ville. Il reste que l'unicité de décoration permet de renforcer l'unité de l’œuvre, malgré ses péripéties et son apparente hétérogénéité, et de concentrer l'attention du spectateur sur l'essence du drame : l'isolement, l'incommunicabilité entre les êtres, le déni de la réalité.

Le parti pris d'expressionnisme habite les deux personnages principaux, dont la direction d'acteurs extrêmement élaborée conduit à les inscrire dans une agitation permanente, proche de la gesticulation chez Marietta, voire dans une volonté d'expression vocale paroxystique, et à la limite de l'hallucination permanente chez Paul, se traduisant par une extrême tension dans le chant, jusqu'au cri. On ne compte pas les images fortes. Ainsi alors que dans une sorte d'état frisant l'intoxication, Paul rêve du retour de Marie, l'illusion fonctionne et la réincarnation de celle-ci, crâne rasé par la maladie, est stupéfiante. Le mimétisme est patent entre les deux portraits de femmes. Plus tard, l'étonnante duplication du personnage de Marie en autant de répliques, installe un état de confusion mentale chez Paul, amenant la scène l'opposant à Marietta, d'une puissance presque insoutenable. Les échanges en sont exacerbés jusqu'à ce mot terrible de l'homme au comble du délire d'amour : « en toi j'embrasse une morte ». Au début du dernier acte, voit-on un Paul désemparé déambuler parmi une foultitude d'enfants, lors de la procession, qui va jusqu'à entourer la maison, comme l'enserrant, alors que le héros se réfugie dans une réflexion mystique. L'ultime confrontation entre Paul et Marietta, au comble de la fureur de part et d'autre, voit la danse frénétique de celle-ci, digne d'une Salomé, brandissant la chevelure de Marie la défunte. À la toute fin, là où le rêve s'évanouit, Paul brûlera une à une les photos de Marie et la chevelure-relique.

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Acte I - Paul et la réapparition de Marie ©Wilfried Hösl 

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La réussite de ce spectacle tient aussi - et peut-être surtout - à sa distribution vocale. Pour sa prise de rôle de Paul, un challenge assurément à la fois vocal et interprétatif, Jonas Kaufmann brûle les planches. Il burine un personnage tourmenté et pitoyable, rivé à son obsession, empêtré dans les affres de l'idée fixe. En prise avec le conflit intérieur de l'homme habité par la vision maniaque du retour de l'aimée, ancré dans une vie de mirage quant à la préservation du culte d'une épouse disparue et attiré par l'appel sensuel que provoque la survenance d'une autre femme, en qui il revoit la propre image de l'autre. Dans une partie vocale d'une redoutable vaillance, au format de Heldentenor, la voix est conduite avec la puissance nécessaire, nantie de ces effets de pianissimo auxquels nous a accoutumé le ténor munichois. Marlis Petersen ne le cède en rien en stature. Sa Marietta est aussi agitée qu'il est tourmenté. Tour à tour capricieuse, aguicheuse, lascive et provocante, la prestation impressionne par un jeu d'une totale liberté. Le soprano inextinguible apporte au rôle ce supplément d'âme qui fait une grande interprétation, notamment dans la ballade du Ier acte. Quelques belles individualités de la troupe de l'Opéra de Munich se révèlent parmi les autres rôles : Andrzej Filończyk, à la fois Fritz, le Pierrot leste et assuré, et Franck, l'ami qui tente de déciller Paul, brille par une prestation qui trouve son épitomé dans l'air en forme de valse ''Mein Sehnen, mein Wähnen'' (Mon désir, mon illusion) à l'acte II, modèle de legato. Cette valse qu'il danse alors avec une Marietta juchée sur un caddie ! Jennifer Johnston offre un timbre de mezzo bien sonore à Brigitta, la servante dévouée mais pas déconnectée du réel. De même que Manuel Günther, dans le personnage double de Gaston et de Victorin, séduit par son ténor de composition. Les choristes et chœurs d'enfants de l'Opéra de Bavière, au IIIème acte, font plus que bonne contenance.

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Acte II ©Wilfried Hösl 

La direction de Kirill Petrenko est l'autre pôle attractif de cette version. La musique de Korngold, d'une luxuriance toute straussienne, souvent vigoureuse et exaltée développant un grand éclectisme, ne sonne chez lui jamais compacte. L'orchestre est riche, passionné, parfois sensuel, traversé d'un réseau de Leitmotive, dans une utilisation très différente de celle qu'en fait Wagner, instaurant plutôt des motifs de réminiscence. À l'exemple de celui de la chanson de Marietta au Ier acte, dont le thème revient en boucle jusqu'à la fin de l'ouvrage, qui le voit repris par Paul. L'exubérance reste totalement maîtrisée même dans les moments les plus tendus, comme le flamboyant prélude de l'acte II truffé de clusters de cuivres et sa péroraison tout en diminuendo bardée de volées de cloches, allusion à cette ville de Bruges imaginée. Avec Petrenko l'orchestration très diversifiée oscille entre opulence et intimisme, les textures les plus chargées avec le lyrisme diaphane. Ce que l'orchestre de l'opéra bavarois restitue avec brillance et raffinements sonores, notamment dans les fins solos de bois ou les traits tumultueux de cuivres ; montrant quel degré de perfection ces musiciens ont atteint sous sa direction.

La réalisation filmique parachève la réussite, offrant des plans souvent d'un esthétisme à couper le souffle, des deux protagonistes en particulier, et restituant au plus près le feeling d'un langage scénique exacerbé qui constamment capte l'attention.

Texte de Jean-Pierre Robert

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Plus d’infos

  • Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt, op.12. Opéra en trois actes. Livret de Paul Schott, d'après la nouvelle ''Bruges-la-morte'' de Georges Rodenbach
  • Jonas Kaufmann (Paul), Marlis Petersen (Marietta/La réapparition de Marie), Andrzej Filończyk (Franck/Fritz), Jennifer Johnston (Brigitta), Mirjam Mesak (Juliette), Corinna Scheurle (Lucienne), Manuel Günther (Gaston/Victorin), Dean Power (Conte Albert)
  • Chœur et Chœur d'enfants du Bayerische Staatsoper, Stellario Fagone, chef des chœurs
  • Bayerische Staatsorchester, dir. Kirill Petrenko
  • Mise en scène : Simon Stone
  • Décors : Ralph Myers
  • Costumes : Mel Page
  • Éclairages : Roland Edrich
  • Assistant dramaturgique : Lukas Leipfinger
  • Video director : Myriam Hoyer
  • Enregistrement live au Bayerische Staatsoper, München, 12/2019
  • 2 DVD : Bayerische Staatsoper Recordings : BSOREC1001 (Distribution : Naxos)
  • Durée des DVD : 93 min 58 s + 48 min 54 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

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Jonas Kaufmann, Erich Wolfgang Korngold, Marlis Petersen, Andrzej Filończyk, Jennifer Johnston, Mirjam Mesak, Corinna Scheurle, Manuel Günther, Dean Power, Bayerische Staatsoper, Stellario Fagone, Bayerische Staatsorchester, Kirill Petrenko, Simon Stone

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