CD : Femmes compositrices - La musique de piano de Marie Jaëll
Cet album marque l'opus N°1 du nouveau label Présence Compositrices, qui se propose de faire découvrir des œuvres connues ou inédites, écrites par des femmes. Les Pièces pour piano d'après une lecture de Dante de Marie Jaëll ouvrent donc le bal. Et de manière prestigieuse. « D'entrée de jeu, j'ai compris que je me trouvais devant un monument ! », souligne Célia Oneto Bensaid, leur présente interprète.
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La pianiste, compositrice et pédagogue Marie Jaëll (1846-1925) étudie la composition auprès de César Franck et sera l'élève de Camille Saint-Saëns à partir de 1871. Elle fut la première à donner en concert l'intégrale des sonates pour piano de Beethoven comme de la plupart des œuvres de Liszt. Celui qui fut le grand inspirateur, dira de ses compositions : « elles surabondent en nouveautés et en hardiesses que je n'ose critiquer, mais que j'apprécierai mieux encore quand j'aurai le plaisir de les entendre jouer par leur vaillant, ambitieux et subtil compositeur ». La Période créatrice de Marie Jaëll se situe entre 1870, après son mariage avec le pianiste virtuose Alfred Jaëll, et 1894. C'est à cette dernière date qu'elle voit publier ce qui sera son ultime chef-d’œuvre confié au piano, ses Pièces pour piano d'après une lecture de Dante.
Il s'agit d'un ensemble de 18 pièces disposées en trois parties : ''Ce qu'on entend dans l'Enfer, Ce qu'on entend dans le Purgatoire, Ce qu'on entend dans le Paradis''. Trilogie d'une étonnante modernité pour l'époque. Au point d'exalter son auteure, dans une lettre à Saint-Saëns (6/8/1893) : « il m'est venu une telle profusion et de si drôles idées dans une œuvre que je suis sur le point de terminer... Il s'agit de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis : on ne voit pas tous les jours de la musique comme cela ». Le propos littéraire est lisztien. On pense au poème symphonique Après une lecture de Dante. Le pianisme souvent grandiose l'est tout aussi. Mais la personnalité de Jaëll ne saurait se résumer à ce jeu toujours limité des comparaisons. Son dessein est de s'éloigner du post-romantisme pour emprunter un autre chemin, même si des harmonies inspirées de Liszt et de Wagner persistent çà et là, dans la dernière partie essentiellement. Ce chemin, qu'elle explicite par ailleurs dans des écrits comme ''Le Divin en musique'', se caractérise par une écriture extrêmement savante, parfois compacte. Qui utilise le procédé de l'accumulation, notamment d'accords luxuriants, et use de formules rythmiques en courts motifs répétés de manière obsédante, qui font presque penser au futur mouvement minimaliste. Surtout, est-on pénétré de sonorités étranges.
C'est le cas avec le premier groupe de pièces ''Ce qu'on entend dans l'Enfer'', inscrit dans un climat sombre, menaçant, tel un déchaînement des puissances du mal. Rarement est-on allé aussi loin dans l'illustration métaphorique des contrées infernales : écriture vibrionnante, logée constamment dans le registre le plus grave du piano (''Poursuite''), batterie de grands accords de plus en plus forts et détachés (''Blasphèmes''), jusqu'à en être obsédants (''Dans les flammes''). La seconde partie ''Ce qu'on entend dans le Purgatoire'' offre un ton plus avenant, chemin vers l'apaisement. Ainsi d'une vague lueur d'espoir (''Pressentiments'') ou d'un relent de post-romantisme (''Désirs impuissants''), là où la référence à Liszt est plus qu'évidente. Même si le déluge sonore reprend vite le dessus (''Maintenant et Jadis''). ''Ce qu'on entend dans le Paradis'', s'avère plus méditatif, sorte de montée vers la lumière. Cette ultime partie dont, selon son auteure, « l'écriture ne fut pas toujours aisée », démontre un processus toujours en recherche chez la musicienne, partagée entre manque de confiance en soi et volontarisme. On y trouve ainsi une forme de légèreté (''Voix célestes''), un geste presque vocal (''Hymne''), une fluidité à travers de délicats arpèges (''Quiétude''), ou une discrète nostalgie qui fait penser à Schumann mais avec une transparence gallique (''Souvenance'').
La pianiste Célia Oneto Bensaid qui dit avoir découvert récemment Marie Jaëll, et cette œuvre en particulier, remarque que la musique en est « diaboliquement exigeante », dans la mesure où « la technique pianistique toute entière est passée en revue ». De fait, on admire dans son interprétation à la fois l'énergie déployée et l'art de traduire des climats si différents tout en maintenant l'intensité quel que soit le registre sollicité, que ce soit l’irrémédiablement sombre de l'Enfer, ou la luminosité de la dernière partie. La prise de son au Temple Saint Marcel à Paris restitue le relief du Yamaha, parfaitement centré dans l'image sonore.
Texte de Jean-Pierre Robert
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Plus d’infos
- Marie Jaëll : Pièces pour piano, d'après une lecture de Dante - Ce qu'on entend dans l'Enfer. Ce qu'on entend dans le Purgatoire. Ce qu'on entend dans le Paradis
- Célia Oneto Bensaid, piano
- 1 CD Présence Compositrices : PC 001 (Distribution : Socadisc)
- Durée du CD : 69 min 23 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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