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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : John Nelson dirige Roméo et Juliette de Berlioz

Berlioz Romeo et Juliette

Poursuivant son intégrale Berlioz, John Nelson aborde Roméo et Juliette, œuvre singulière. D'un compositeur qui, selon lui, cultive d'abord « l'originalité » dans la mesure où « il a brisé toutes les traditions existantes en matière d'orchestration, de structure, de langage harmonique et de narration ». Est associée la cantate Cléopâtre, refusée pour le Prix de Rome eu égard à ses audaces. Ses interprétations à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg fleurent bon l'authenticité.

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Comment illustrer musicalement le drame de Shakespeare Roméo et Juliette ? Berlioz prend le parti d'une ''symphonie dramatique avec chœur, solo de chant et prologue en récitatif choral''. Le choix étant de ne pas recourir au genre de la cantate, encore moins de l'opéra. Car aussi bien « par sa sublimité même, la passion des deux amants et leurs effusions devaient s'exprimer dans la ''langue instrumentale'', large et riche, plus variée, moins arrêtée », souligne le compositeur. Il est d'ailleurs caractéristique que ni Roméo ni Juliette ne s'expriment à la première personne, mais par le truchement d'un contralto solo et d'un ténor solo. Le Père Laurence est le seul à le faire, à la fin de l’œuvre. On a parlé de forme utopique. En fait Berlioz poursuit le cheminement inauguré avec la Symphonie fantastique & Lélio, et avec la symphonie dramatique, instaure un genre nouveau qui permet de faire vivre le drame sans le recours aux conventions du théâtre. C'est l'orchestre qui parle, essentiellement. À cet égard, la partition renferme des pages inspirées qui, souvent dans leur concision, en disent plus qu'un air d'opéra.

Cet orchestre est donc au cœur de l’œuvre. Grand défenseur du musicien français, John Nelson pourvoit une exécution vibrante. Que ce soit dans le choix des tempos, la palette de couleurs, le souci des contrastes dans les masses sonores, sa direction épouse l'originalité de cette fresque grandiose. Singulièrement dans les morceaux purement instrumentaux. Comme ''Roméo seul'', grande page lyrique, que suit l'évocation du bal et son solo de hautbois, puis l'énergie bondissante de ''Grande fête chez Capulet'' et son finale brillantissime, menés avec une vigueur révélatrice. Dans ses rythmes changeants, la ''scène d'amour'' déborde d'effluves de bonheur partagé, à l'aune de l'échange amoureux (superbe concertino de bois), mêlant larges phrases comme interrogatives et plages mélancoliques. Le ''Scherzo de la Reine Mab'', une des pages les plus captivantes de Berlioz, avec son foisonnement de timbres créant une impression de poudroiement sonore, de feu follet aussi, est pur joyau. Rarement a-t-il mieux justifié le sous-titre de ''Fête de songes'' : dans un tempo d'une folle course, tout semble tourner sur soi-même. La section nocturne centrale, avec ses cordes divisées, sonne éminemment aérienne, dans la grande tradition mendelssohnienne. Puis la course reprend de plus belle, marquée par les interventions des cors au lointain, effet magique, là où le céleste côtoie la bacchanale dans le plus formidable contraste. On soulignera encore le sinistre de l'épisode ''Roméo au tombeau des Capulets'', comme pétri de douleur, ou dans ''Invocation – Le réveil de Juliette'', la joie délicate entravée par l'accablement que figurent des traits de clarinette comme désespérés. C'est là un des exemples de la qualité instrumentale que pourvoit l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui outre une petite harmonie extrêmement travaillée, offre des cuivres généreux et des cordes lustrées avec cette légère pointe d'acidité bien française.

La partie vocale est pareillement superlative. On le doit d'abord au traitement des chœurs que Berlioz a habilement répartis en un Petit chœur (Prologue, Scherzetto) et chœur des Capulets ou ''Montagus et Capulets''. Les contributions tant du Coro Gulbenkian que du Chœur de l'OnR sont magistrales de précision. La triade de chanteurs solistes ne mérite que des éloges. Dans la brève partie de ténor, lequel incarne en fait le personnage fantasque de Mercutio, Cyrille Dubois apporte clarté de ton et extrême labilité, à l'heure du Scherzetto ''Mab, la messagère''. Joyce DiDonato, dans la partie de mezzo-soprano, renouvelle la souveraine prestation de sa Didon de l'opéra Les Troyens et de sa Marguerite de La Damnation de Faust : un timbre envoûtant au service d'un réel sens du texte. Christopher Maltman incarne un Père Laurence d'une paternelle bienveillance et de noblesse de ton à l'heure du Serment exigé des deux parties belligérantes.

Le présent coffret présente encore la scène lyrique Cléopâtre que Berlioz proposa comme envoi pour le Prix de Rome, dix ans plus tôt, en 1829. Ce troisième essai restera un échec, la partition étant rejetée, déclarée inexécutable. Le rapprochement avec Roméo et Juliette n'est peut-être pas fortuit, car déjà à cette époque, le jeune compositeur pensait au drame des amants de Vérone. La cantate est un monologue qui voit la Reine d’Égypte décider de se donner la mort par une morsure de serpent. Elle est divisée en trois parties : un récitatif sombre que suit un air agité et dramatique. Vient une Méditation extrêmement sombre, presque sépulcrale. Débuté par un récitatif d'un faux apaisement, le finale évolue sur une musique presque irréelle pour figurer le délire de la reine, que conclut un postlude symphonique effrayant. De cette œuvre, vocalement exigeante, Joyce DiDonato offre une exécution habitée dans l'écrin flamboyant que lui confectionne Nelson.

Les enregistrements à la Salle Érasme du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg, live lors de concerts donnés en juin 2022 (Roméo), pourvoient un son très généreux, nanti de beaux effets de distanciation notamment sur les chœurs.
Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • Hector Berlioz : Roméo et Juliette, symphonie dramatique. Texte : Émile Deschamps
  • Cléopâtre, scène lyrique. Texte : Pierre-Ange Vieillard
  • Joyce DiDonato (mezzo-soprano, Cléopâtre), Cyrille Dubois (ténor), Christopher Maltman (le Père Laurence)
  • Coro Gulbenkian, Jorge Matta, chef de chœur, Chœur de l'OnR, Alessandro Zuppardo, chef de chœur
  • Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dir. John Nelson
  • 2 CDs Erato : 5054197481383 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée des CDs : 72 min 26 s + 39 min 29 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

CD disponible sur Amazon 



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