CD : redécouverte d'André Caplet, magistral orchestrateur
André Caplet n'est pas seulement le musicien inspiré qui a porté à l'orchestre plusieurs œuvres de son collègue et ami Claude Debussy. C'est aussi un compositeur qui a compté au début du XXème siècle, hélas aujourd'hui mal connu. Cet album de l'Ensemble Musica Nigella s'attache à mettre en lumière quelques-unes de ses œuvres écrites pour des formations souvent originales.
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L'orchestrateur de Clair de lune ou de La boîte à joujoux de Debussy, André Caplet (1878-1925) a été un brillant chef d'orchestre, notamment à l'Opéra de Paris, et un non moins inventif compositeur. Malgré une carrière relativement courte, on lui doit un corpus important dont le présent disque révèle diverses facettes. Celle de l'amoureux des instruments à vents d'abord. Sa Suite persane pour dixtuor ou double quintette à vent (1900) est inspirée de mélodies persanes. On y rencontre un exotisme mesuré et une riche variété dans l'utilisation des timbres, préfigurant les éminentes qualités d'orchestrateur du musicien. Les sonorités sont chatoyantes et les mélismes envoûtants, comme dans la troisième et dernière pièce ''Samaïsi'', calquée sur un chant populaire perse. Légende, poème symphonique pour ensemble avec saxophone principal, de 1903-1905, est un des fruits de la vogue que connaît alors le nouvel instrument inventé par le belge Adolph Sax. La pièce, écrite à la demande de son interprète, l'américaine Elisa Hall, d'abord avec accompagnement de piano, sera transposée ensuite pour orchestre de chambre. Quoique l'instrument soliste reste discret, dialoguant parfois avec le violon, on note une remarquable progression depuis une introduction plutôt sereine vers un épisode plus dramatique. Au médian, le retour du saxophone souligne le côté légendaire. L'attention reste soutenue eu égard à la variété de l'instrumentation et la différentiation de tempos.
Caplet a aussi écrit pour la voix. Les étonnantes Trois fables de La Fontaine, de 1919, données ici dans leur version chambriste, ont d'abord été conçues pour voix et piano. Le chef Takénori Némoto a retrouvé les esquisses à la BNF et a complété les parties manquantes. « Une orchestration qui apporte des nuances subtiles à chaque mot comme des coups de pinceau sur une photo en noir et blanc », remarque-t-il joliment. On est séduit par l'acuité de la célèbre fable ''Le Corbeau et le Renard'', grâce au piquant de l'orchestration, les sous-entendus de ''La Cigale et la Fourmi'', captés avec une délicieuse ironie dans des passages rapides et quelques traits solos cocasses. Quant au climat moralisateur de ''Le Loup et l'Agneau'', symbolisé l'un par la menaçante clarinette, l'autre par la gracile flûte, il fait contraster candeur naïve et âpreté conquérante. Un régal d'illustration musicale de « cet objet parfait » dont parlait Gide.
Le compositeur français a enfin conçu plusieurs œuvres pour la harpe. Qu'il associe par exemple à la voix. Comme dans sa trilogie Les Prières pour voix, harpe et quatuor à cordes. Ces poèmes conçus durant la Grande guerre alors qu'il avait tenu à être mobilisé, ont été écrits en 1914 puis en 1917. Ils possèdent un profond sentiment pieux : ''Oraison dominicale'', passé une introduction intense à laquelle la harpe confère une aura particulière, déroule le Notre Père. ''Salutations angéliques'', le Je vous salue Marie, dans une douce mélodie délicatement mélancolique, et enfin ''Symbole des apôtres'' le Je crois en Dieu, là où le ton se fait plus sombre, plus affirmé aussi dans l'acte de croyance, jusqu'au lumineux Amen. Caplet associe la harpe aussi au quatuor à cordes dans Conte fantastique (1923), d'après Le Masque de la Mort rouge d'Edgar Allan Poe (1842). Conçue à l'origine, et sous le titre de ''Légende'', pour harpe chromatique, l’œuvre sera adaptée par le compositeur pour la harpe diatonique à pédales Érard, à la demande de la harpiste Micheline Kahn, sa créatrice. Elle est très illustrative des divers épisodes du conte de Poe. Tour à tour lyrique et d'une grande tension dramatique, toujours emplie de mystère dans sa succession de courtes séquences. Si l’influence de Debussy n'est pas loin, l'ouvrage offre dans ses dernières pages des accents modernistes inattendus, balayés par les rafales de harpe, qui antérieurement se révèle assez discrète dans ses échanges avec le quatuor à cordes.
Les présentes interprétations sont aussi raffinées qu'est pensé le choix des œuvres : une anthologie révélatrice de l'art d'un compositeur loin d'être de second plan, honorée par des musiciens talentueux en parfaite empathie avec cet idiome rare. On citera la soprano Cécile Achille et le baryton Laurent Deleuil, la saxophoniste Émilie Heurtevent, la harpiste Iris Torossian. Et bien sûr l'artisan de cette résurrection Takénori Némoto dirigeant son Ensemble Musica Nigella avec brio et souci d'authenticité dans les effets de couleurs et de rythmes. Ils sont enregistrés avec soin et un excellent relief au Théâtre de Montreuil-sur-Mer.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Caplet, le conteur''
- André Caplet : Suite persane pour dixtuor à vents. La chanson la plus charmante pour voix et ensemble. Légende, poème symphonique. Les Prières pour voix, harpe et quatuor à cordes. Trois fables de La Fontaine pour voix et ensemble. Conte fantastique pour harpe et quatuor à cordes
- Cécile Achille (soprano), Laurent Deleuil (baryton)
- Iris Torossian (harpe), Émilie Heurtevent (saxophone)
- Ensemble Musica Nigella, dir. Takénori Némoto
- 1 CD Klarthe Records : KLA 166 (Distribution :[PIAS)])
- Durée du CD : 72 min 29 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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