CD : Ariane et Bacchus de Marin Marais
Hervé Niquet nous offre la résurrection de la tragédie en musique Ariane et Bacchus de Marin Marais, second opus lyrique du célèbre violiste de l'époque de Louis XIV. À partir de la nouvelle édition critique due au Centre de Musique Baroque de Versailles, il en restitue la splendeur, dirigeant un ensemble instrumental et vocal rompu à cet idiome. Cette interprétation historiquement informée permet de découvrir une autre approche du personnage mythique d'Ariane, souvent mis en musique.
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Célèbre violiste, auteur d'innombrables pièces pour son instrument, Marin Marais (1656-1728) a aussi tâté de l'opéra, aussi bien en tant que ''batteur de mesure'', ancêtre du chef d'orchestre, que comme compositeur. Sa tragédie en musique Ariane et Bacchus sera créée en 1696. Tombée dans l'oubli, à la différence du drame Alcyone (1706), l’œuvre renferme pourtant bien des attraits. À commencer par sa musique qui, héritée de l'orchestre de Lully, affirme un style propre, dû à l'évolution des goûts du public en cette fin du règne de Louis XIV. Car la mort de Lully a libéré le genre de la tragédie lyrique de ses carcans. La musique de celle-ci est très diversifiée, souvent descriptive, non sans rappeler quelque origine baroque, offrant un continuum agréable enchâssant des numéros vocaux faits de récitatifs, accompagnés d'abord par le continuo puis par le tutti d'orchestre. Et laissant parfois place à de courts duos. Les passages purement symphoniques abondent, comme celui en forme de prélude pour introduire un air ou une nouvelle scène, et ce souvent de manière démonstrative (''Entrée pour les démons'' à l'acte IV, ou ''Air pour les combattants'' au Vème). Ils font surtout une large place aux danses, qu'elles soient rapides (Bourrée, Gigue) ou plus mesurées : graciles Ritournelles, Chaconne généreuse de l'acte II, extrêmement inventive dans ses divers rebondissements, ou encore ''Air pour les songes'' (III) qui fait intervenir les seuls bois.
La trame, puisée dans les Métamorphoses d'Ovide, conte les amours d'Ariane et de Bacchus après que celle-ci eût été abandonnée par Thésée, sur l'île grecque de Naxos. L'épisode a largement été mis en musique depuis le baroque jusqu'au XXème siècle : par exemple Monteverdi/Lamento d'Arianna, Richard Strauss/Ariadne auf Naxos, Martinu/Ariane ou encore Roussel dans son ballet Bacchus et Ariane. L'intrigue ici est passablement complexe en raison de la profusion des personnages gravitant aux côtés des deux rôles titre : la confidente Corcine, l'amant jaloux Adraste, le magicien Géralde, Junon, la déesse haineuse, mais aussi le Roi de l'Île de Naxos, un sacrificateur et toute une pléiade de rôles secondaires n'apparaissant que dans certaines scènes. Sans parler des personnages allégoriques (Terpsichore, la Gloire, la Nymphe de la Seine) au Prologue destiné à glorifier le monarque régnant. L’œuvre achève malgré tout un nouvel équilibre entre tragédie, en respectant les codes du genre (scène de sommeil, invocations infernales), et presque comédie, eu égard à son lieto fine : Ariane ne se suicide pas mais épouse Bacchus, celui qu'elle aime.
La présente interprétation offre nul doute le meilleur. Soucieuse de ramener à la vie un trésor enfoui, l'édition critique réalisée par Silvana Scarinci et Julien Dubruque mise sur une exécution historiquement informée. Ainsi de la reconstitution du Petit chœur, c'est-à-dire du continuo, confié ici à deux basses de violon, deux violes de gambe, deux théorbes et un clavecin. Du renforcement aussi de l'orchestre par des vents plus nombreux et des basses. Enfin par le respect scrupuleux de la prosodie : « Les points forts d'Ariane et Bacchus résident dans la qualité prosodique des récitatifs et dans l'expressivité des grands récitatifs accompagnés », souligne Benoît Dratwicki. Cheville ouvrière de cette restitution qui s'apparente à une vraie re-création, Hervé Niquet en est aussi le premier artisan de la réussite. Quant au souci des contrastes entre masses sonores, du registre des bois en particulier, et des couleurs dispensées par les musiciens du Concert Spirituel, comme de l'élan conféré à l'ensemble vocal. Le chœur, fruit de l'association de celui du Concert Spirituel et des Chantres du CMBV, assure le rôle essentiel qui est le sien dans l'opéra. Quant aux chanteurs solistes, ils forment une solide équipe maîtrisant à la perfection le vocabulaire stylistique extrêmement orné du genre et une diction policée. Ainsi de Judith van Wanroij, Ariane, voix jeune qui sait dramatiser, de Mathias Vidal, Bacchus, plus discret que d'ordinaire chez le ténor, presque ému, de Véronique Gens, aux beaux accents tragiques dans Junon, de David Witczak, Adraste vengeur ou de Matthieu Lécroart, Géralde, magicien ténébreux. La jeune garde déploie de pareils feux, comme les sopranos Marie Perbost, Hélène Carpentier ou Marine Lafdal-Franc, distribuées dans plusieurs rôles, comme il en est d'ailleurs des primo solistes.
L'enregistrement, dans une discrète mise en espace, pourvoit une subtile différentiation entre continuo et tutti orchestraux.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Marin Marais : Ariane et Bacchus, tragédie en musique en un prologue et cinq actes. Livret de François Balalud de Saint-Jean, inspiré de la tragédie ''Ariane'' de Thomas Corneille et de la tragédie héroïque ''Les amours ou le mariage de Bacchus et d'Ariane'' de Jean Donneau de Visé
- Édition critique du CMBV due à Silvana Scarinci et Julien Dubruque
- Judith van Wanroij (Ariane), Mathias Vidal (Bacchus/Un songe), Marie Perbost (Corcine/La Gloire), Véronique Gens (Junon/la nymphe de la Seine), Matthieu Lécroart (Géralde/Jupiter), David Witczak (Adraste), Hélène Carpentier (Terpsichore/Dircée/Un songe), Tomislav Lavoie (Le Roi/Un sacrificateur), Philippe Estèphe (Pan, Le Deuxième matelot/Lycas/Phobétor/Phantase/Alecton), Marine Lafdal-Franc (L'Amour/Élise/La Maxienne), David Tricou (Un plaisir/Un suivant du roi/Le premier matelot/Mercure)
- Les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles, Fabien Armengaud, directeur artistique
- Le Concert Spirituel, Chœur et Orchestre, dir. Hervé Niquet
- 2 CDs Alpha : Alpha 926 (Distribution : Outhere Music)
- Durée des CDs : 126 min 25 s
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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Véronique Gens, Marin Marais, Hervé Niquet, Fabien Armengaud, Mathias Vidal, Judith van Wanroij, Philippe Estèphe, David Tricou, Marie Perbost, David Witczak, Marine Lafdal-Franc, Matthieu Lécroart, Hélène Carpentier, Tomislav Lavoie, Les Chantres du Centre de Musique baroque de Versailles, Le Concert Spirituel
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