CD : joyaux du baroque français dans le répertoire de haute-contre
Pour son premier récital avec orchestre, magistralement accompagné par György Vashegyi, Cyrille Dubois explore quelques joyaux du répertoire français dans le registre de la voix de haute-contre. Outre des pages de Rameau, il nous permet de découvrir des œuvres de ses contemporains, connus et moins célébrés.
Le répertoire de l'opéra français du XVIIIème siècle a flatté un type particulier de voix aiguë d'homme, le haute-contre, une tessiture de ténor léger aussi à l'aise dans des registres élégiaques et de tendresse que dans des rôles de héros conquérants. Distincte du contre-ténor ou du castrat italien, c'est une voix puissante et timbrée qui use essentiellement du registre de poitrine, tout en étant capable d'envolées dans l'aigu, mais plus dans la force que dans le falsetto. Au service du texte, ses atouts sont l'intelligibilité de la prononciation, la bonne articulation jusque dans le mode tendu, ce qui peut s'avérer complexe, dès lors qu'il s'agit de concilier beauté du chant et déclamation au risque de forcer la voix dans les assauts de puissance. Défendu par de célèbres représentants, comme Pierre Jélyotte et Joseph Legros, le haute-contre perdurera du dernier quart du XVIIème siècle jusqu'à la Révolution. Une évolution se fera alors vers la voix mixte de ténor.
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Cyrille Dubois se propose de mettre en valeur toutes les facettes de cette voix à travers les divers emplois qui lui furent confiés à l'opéra. Conçu avec le CMBV, le programme annonce une tonalité brillante et enlevée, à l'aune de son titre, emprunté à une œuvre de Rameau : un chœur extrait de la tragédie lyrique Les Boréades. Autrement dit « une invitation à profiter du temps présent », souligne le chanteur. Rameau y occupe bien sûr une place notable avec de extraits des Fêtes de Polymnie, de La Guirlande ou de Platée, et dans ce dernier cas, un extrait du divertissement de l'acte III réunissant Thespis et le chœur, hymne à Bacchus, précédé d'une trépidante pantomime. Mais l'essentiel est ailleurs. Cyrille Dubois redonne leurs lettres de noblesse à bien des compositeurs restés dans l'ombre. D'où des pages méconnues, voire de nombreux inédits. On connaît mieux, ces temps, Cassanéa de Mondonville, notamment à travers son opéra Titon et l'Aurore, redécouvert il y a peu à l'Opéra Comique. Il chante un air dévolu au personnage titre, ''Que vois-je ? Suis-je prêt à finir ma carrière ?'', torture tragique de l'amant déchiré par la perte de l’aimée. D'Antoine Dauvergne, ce sont plusieurs extraits du drame Les Amours de Tempé (1752), à travers les deux personnages de Bacchus (air ''Mille tendres oiseaux sous cet ombrage frais'' et son concertino de flûte entourant la voix) et de Daphnis (''La jeune beauté qui m'enflamme'', que ponctue une quinte aiguë flamboyante).
Au chapitre des raretés et quasi-inédits au disque, on découvre des pages étonnamment contrastées mettant en valeur la voix de haute-contre. Ainsi de François Lupien Grenet et son Temple de l'Harmonie (1737), dont une scène bucolique associant le personnage d'Hylas et le chœur. Comme de Pierre Montan Berton, de Bernard de Bury ou encore d'un certain Jean-Baptiste Philibert Cardonne. Un chœur extrait du Phaétuse (1759) de Pierre Iso, fournit un bel exemple de musique figurative de catastrophe. Quelques morceaux instrumentaux agrémentent le déroulé du programme, dont des extraits de Castor et Pollux, de Zaïs et de Daphnis et Églé de Rameau, ou empruntés à Pancrace Royer, dont un ''Air pour les Turcs en rondeau'' tiré de Zaïde, reine de Grenade, joliment dansant.
L'éclectisme de Cyrille Dubois ne cesse d'étonner. Il fait sien ce répertoire avec gourmandise. L'élégance de la diction, avec cette légère affectation dans la respiration en commencement de phrase, nul doute un procédé caractéristique de l'époque du XVIIIème pour amorcer le chant, rejoint l'art d'exprimer avec passion les divers états d'âme des personnages, ces impénitents amoureux, princes, guerriers ou bergers. La fluidité de la ligne de chant, la douceur des inflexions sont un sujet d’émerveillement. Cette indéniable souplesse, acquise dans d'autres répertoires, comme celui de l'opéra-comique français, lui permet d'affronter la vaillance du registre aigu, là où il faut éviter de forcer la voix. Mais le ténor sait jusqu'où aller trop loin dans l'expression de ces passages soutenus. Il a en György Vashegyi le meilleur des soutiens. Car le chef hongrois connaît comme peu les arcanes de notre répertoire baroque. Comme l'ont montré ses diverses intégrales de tragédies lyriques, dont encore récemment celle du Polydore de Stuck. L'indéniable authenticité de l'approche n'a d'égale que l'acuité quant au sens du rythme et à la palette de couleurs. On pense au traitement des parties de basson ou de flûte. Que son Orfeo Orchestra restitue à la perfection.
Captées au Kodály Centre de Pécs, en Hongrie, toutes ces pièces reviennent à la vie avec relief dans une ambiance on ne peut plus séduisante.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- ''Jouissons de nos beaux ans !''
- Airs extraits d'opéras de François Rebel & François Francoeur (Tarsis et Zélie), Antoine Dauvergne (Les Amours de Tempé), Jean-Philippe Rameau (Les Boréades, Les Fêtes de Polymnie, La Guirlande, Platée), Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (Les Fêtes de Paphos, Titon et l'Aurore), François Lupien Grenet (Le triomphe de l'Harmonie), Louis-Joseph Francoeur (L'Aurore et Céphale), Pierre Montan Berton (Deucalion et Pyrrha), Bernard de Bury (Les Caractères de la Folie), Jean-Baptiste Philibert Cardonne (Ovide et Julie), Pierre Iso (Phaétuse)
- Pages instrumentales extraites d'opéras de Rameau (Castor et Pollux, Daphnis et Églé, Zaïs, Les Boréades), Pancrace Royer (Zaïde, reine de Grenade, Le Pouvoir de l'Amour)
- Cyrille Dubois, haute-contre
- Purcell Choir
- Orfeo Orchestra, dir. György Vashegyi
- 1 CD Aparté : AP319 (Distribution : [Integral])
- Durée du CD : 77 min
- Note technique : (5/5)
CD disponible sur Amazon
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