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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Il Proscritto, opéra de Mercadante

Voici la quasi-résurrection d'un opéra, Il Proscritto, de Mercadante, jamais repris depuis sa création en 1842. On la doit aux efforts du label Opera Rara et à son directeur artistique, le chef Carlo Rizzi, convaincu de ses « qualités musicales et de son originalité », de nature à tirer de l'oubli une œuvre que l'histoire a injustement négligée. Une valeureuse distribution en constitue encore un des atouts.

Apprécié à son époque, bien que méconnu aujourd'hui, Saverio Mercadante (1795-1870) a laissé quelque 70 opéras, dont un seul, Il Giuramento (1837), a survécu et connu les honneurs du disque. Sans doute a-t-il pâti de la concurrence des champions du bel canto que sont Rossini, Donizetti et Bellini, sans parler de l'émergence du jeune Verdi. Son mélodrame Il Proscritto est créé à Naples en 1842, la même année que le Nabucco de ce dernier. Il appartient à sa période dite réformatrice, après que Mercadante ait découvert, à Paris, les vertus du Grand opéra français. La manière du musicien connaît alors une mutation vers ce type d’œuvre lyrique. Encore que l'empreinte bel cantiste perdure souvent dans le chant soliste, comme il en est des cavatines, cabalettes et autres romances qui fleurissent au sein de l'opéra. Le livret dû à Salvatore Cammarano, qui a alimenté bien des auteurs du moment, est inspiré du drame français Le Proscrit (1839) de Frédéric Soulié et Timothée Dehay. Il est transposé en Écosse au XVIIème siècle. Sur fond de luttes entre soutiens de Cromwell et partisans de la cause royaliste, deux hommes, Arturo Murray et Giorgio Argyll, se disputent les faveurs d'une femme Malvina Douglas. On apprend, au moment où celle-ci convole avec Arturo, qu'elle a été mariée à Giorgio, un royaliste passionné, qu'on croyait mort en mer. Mais celui-ci réapparaît le jour des noces. Reconnaissant un ennemi, et un rival, Arturo fera arrêter Giorgio. Partagée dans ses sentiments vis-à-vis des deux hommes, Malvina se donnera la mort devant eux. Giorgio aura le dernier mot : ''Morte ou vivante, elle est à moi pour toujours ! ».

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Une des originalités de l'opéra réside dans le fait que les deux rôles principaux masculins sont distribués à des ténors, ce qui conduit à des confrontations d'une couleur particulière lors de leurs duos. On y trouve aussi des duos de voix de femmes, comme entre Malvina et son frère Odoardo, rôle travesti (mezzo-soprano et mezzo-contralto). Exemples du « monde sonore vocal unique » que voit dans cet opéra le chef d'orchestre, qui cite encore au titre des attraits de l’œuvre, l'invention mélodique soutenue et le rôle essentiel dévolu au chœur, en particulier lors des concertatos au finale des deux premiers actes, scellant des coups de théâtre. Quant à l'orchestration, elle se signale par l'importance accordée aux vents. Ainsi du solo de cor marquant l'arrivée incognito de Giorgio, le solo de clarinette précédant le début de l'ensemble concertant du finale de l'acte I, ou encore la mélopée des bois ouvrant la grande scène chorale des proscrits à l'acte II. On citera encore, lors de la première scène de l'acte III, dans la tour où est retenu Giorgio, l'atmosphère de désolation que créent les traits de harpe et de flûte, sur une pédale de cordes ppp, cette dernière ornant les premières mesures de la romance du ténor. Carlo Rizzi libère toutes les potentialités de ces pages avec l'énergie du défenseur convaincu. Dirigeant le Britten Sinfonia, une formation réputée pour sa versatilité, ici dans un effectif fourni, il révèle ce mélange, rare pour l'époque, de figures bel cantistes et de grands ensembles avec chœurs, comme de contrastes entre intimisme et grand opéra. Et les harmonies spécifiques de l’œuvre, souvent logées dans des sonorités sombres.   

La distribution réunie est à la hauteur de l’événement que constitue cette résurrection, d'autant plus valeureuse qu'il s'agit pour tous de prises de rôle. Chanteurs confirmés et jeunes artistes en constituent un des atouts. Ramón Vargas défend le rôle du primo ténor Giorgio Argyll avec panache (duos guerriers avec le rival Arturo) et fine musicalité (romance du Ier acte, duos avec Malvina). On a plaisir à saluer le retour en studio de cet artiste au solide métier, ici en belle forme vocale. La sûreté du récit et l'élégance dans le phrasé distinguent cette interprétation. Le rival Arturo est incarné par le jeune ténor péruvien Iván Ayón-Rivas qui déploie lui aussi une belle projection et une sûre ligne de chant (cavatine de l'acte I). Au surplus, les deux timbres bien distincts permettent des confrontations hautes en couleurs (duo de l'acte II). La mezzo-soprano Irene Roberts fait montre d'une autorité naturelle dans le rôle de Malvina, pas toujours flatté par la partition. Car on ne lui connaît pas de grand air, à la différence de ses prétendants ténors. Autre timbre sombre, on admire celui de mezzo-contralto d'Elizabeth DeShong qui possède aussi une brillante quinte aiguë. Ainsi du grand récit de l'acte II/4 qui bascule dans une cavatine bercée par les bois et une svelte cabalette. Les autres rôles sont aussi bien tenus, dont le lumineux soprano de Sally Matthews et la basse solide de Goderdzi Janelidze, respectivement Anna Ruthven, mère de Malvina, et son fils Guglielmo Ruthven, qui ont poussé celle-ci à épouser Arturo. La performance constamment engagée du Chœur d'Opera Rara complète un volet vocal de premier ordre.

La prise de son au Henry Wood Hall de Londres, studio réputé, laisse une impression de sécheresse, surtout quant à la captation des voix. Si l'équilibre voix-orchestre est bien jugé, celles-ci sont proéminentes. Une discrète mise en espace complète la réussite artistique. Comme la documentation exhaustive (en anglais, sauf le synopsis) accompagnant les CD.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Saverio Mercadante : Il Proscritto. Melodrama tragico en 3 actes. Livret de Salvatore Cammarano
  • Ramón Vargas (Giorgio Argyll), Iván Ayón-Rivas (Arturo Murray), Irene Roberts (Malvina Douglas), Sally Matthews (Anna Ruthven), Goderdzi Janelidze (Guglielmo Ruthven), Elizabeth DeShong (Odoardo Douglas), Susana Gaspar (Clara), Alessandro Fisher (Osvaldo), Niall Anderson (Un officier de Cromwell)
  • Opera Rara Chorus, Stephen Harris, maître de chœur
  • Britten Sinfonia, dir. Carlo Rizzi
  • 2 CDs Opera Rara : ORC62 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée des CDs : 48 min 50 s + 75 min 14 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile grise (4/5) 

CD disponible sur Amazon

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