CD : Christophe Rousset, l'excellence dans Thésée de Lully
Poursuivant l'exploration de l’œuvre lyrique de Lully, Christophe Rousset aborde Thésée, une de ses plus belles tragédies en musique. Cette prestigieuse collection, débutée en 2011, se voit de nouveau couronnée de succès grâce à l'engagement du chef d'orchestre, de ses formidables musiciens des Talens Lyriques et d'une distribution de choix.
Troisième tragédie lyrique de Lully, créée à Saint Germain-en-Laye en 1675, Thésée doit d'abord son attrait à la qualité du livret de Philippe Quinault. Contrairement à d'autres auteurs dans leurs livrets sur le sujet des faits d'arme du héros de la mythologie grecque, il traite un épisode de la jeunesse de celui-ci, bien avant ceux de ses amours pour Ariane et Phèdre. La trame, puisée dans le Livre VII des Métamorphoses d'Ovide et inspirée d'une tragi-comédie contemporaine de Jean Puget de la Serre, conte l'histoire du roi d'Athènes Égée faisant appel aux pouvoirs de la magicienne Médée pour libérer la ville de ses ennemis. Mais Médée est amoureuse de Thésée, lui-même épris de la princesse Églé, pupille du roi Égée qui veut épouser cette dernière. Ces deux intrigues sentimentales, dont Médée cherche à tirer profit, sont au cœur de l'intrigue et placent son personnage au centre de l’œuvre. Se vivant autant vengeresse qu'amoureuse, elle ira jusqu'à torturer Églé des affres des enfers puis menacer d'empoisonner Thésée par la main du roi Égée. Celui-ci découvrant que le jeune homme est son propre fils, la machination de Médée sera découverte. Une grande variété d'actions caractérise ainsi la pièce qui contient des passages épiques saisissants, telle l'évocation des enfers au IIIème acte, et des moments plus intimes, monologues de chacun des personnages et confrontations entre eux. Un climat guerrier baigne l’œuvre, porté par les diverses interventions du chœur, à l'exemple du premier très agité des combattants « Il faut vaincre ou mourir ». Mais elle connaît tout autant une atmosphère de magie, transportant le spectateur en un tournemain sur une île paradisiaque ou transformant la scène de théâtre d'un champ de ruines en un palais enchanté. Outre la longueur inhabituelle du prologue, destiné à glorifier le monarque régnant, alors le jeune Louis XIV, on remarque l'importance des divertissements sous forme de danses variées, vives ou langoureuses.
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Cette richesse dramatique et les contrastes saisissants dans le déroulé des actions, sont illustrés par une musique elle-même extrêmement variée, tour à tour énergique ou presque suave. Qui ne manque jamais d'éloquence. On note surtout l'importance dévolue au continuo dans la conduite de l'action, dans les récitatifs et au-delà ; ce qui permet au chef, comme le remarque Rousset, de se conduire en vrai dramaturge par le travail sur l'agencement dudit continuo, toujours inventif (ces accents belliqueux illustrés par un joli tintamarre). Fin connaisseur de l'idiome lullyste, l'art avec lequel il défend cette musique est sans pareil. Comme déjà souligné dans ses enregistrements précédents de tragédies lyriques, tels ceux récents d'Isis ou d'Acis et Galatée, ou du ballet de cour Le Ballet royal de la naissance de Vénus. L'empathie avec ce langage recherché mais auquel il rend son naturel, se double d'un souci de contrastes dans les ritournelles fanfaronnes, telle la marche introduisant la scène du sacrifice à l'acte I/10. Ou donnant aux passages descriptifs tout leur impact comme l'invocation des enfers par Médée. Sans parler de la vivacité des dialogues, tel celui entre Médée et Églé, qui voit la première rechercher insidieusement l'indice révélant que l'autre est sa rivale dans la conquête du cœur de Thésée. Cette quête de la rivalité amoureuse est, on le sait, un des grands ressorts dans l'opéra. Que par exemple Verdi utilisera tout autant un siècle et demi plus tard dans une confrontation sans merci entre Amneris et Aïda.
L'extrême souci apporté à la diction, naturelle, évitant toute préciosité, caractérise chacun des protagonistes d'une distribution très étudiée. Nouveau venu dans la collection opératique lullienne de Rousset, Mathias Vidal incarne le rôle-titre : un héros plus tendre que guerrier, remarque-t-il, et paradoxalement peu favorisé par la partition. Ce qui conduit le ténor français à plus de sagesse que d'ordinaire dans son chant, très policé ici, sans rompre la tension dramatique. La Médée de Karine Deshayes domine le plateau vocal, comme le personnage l'action. La noblesse de ton rejoint la flamboyance du chant, renforçant l'expressivité. Encore une réussite à l'actif de cette immense interprète. Deborah Cachet, Églé, offre un soprano radieux et un investissement là aussi de tragédienne née. Philippe Estèphe offre à Égée la clarté de son timbre clair de baryton basse comme les accents scellant la magnanimité des puissants, lorsque le roi renonce à l'amour de la princesse Églé. Les autres rôles sont parfaitement tenus, dont en particulier les prestations de Bénédicte Tauran dans le personnage de Minerve et de Marie Lys dans ceux de Cléone et de Cérès.
La réussite artistique se double d'un excellent volet technique. Car la prise de son au Studio RiffX 1 de la Seine musicale est chaleureuse, d'un beau relief dans l'étagement des plans : fanfares à l'arrière-plan, continuo et ritournelles ménagés dans une vraie proximité, voix enveloppées dans le continuo.
Texte de Jean-Pierre Robert
Plus d’infos
- Jean-Baptiste Lully ; Thésée, tragédie en musique en un Prologue et cinq actes. Livret de Philippe Quinault
- Mathias Vidal (Thésée), Karine Deshayes (Médée), Deborah Cachet (Églé), Marie Lys (Cléone/Cérès/une bergère), Bénédicte Tauran (Minerve/la Grande Prêtresse de Minerve/une divinité), Thaïs Raï-Westphal (Dorine/Vénus/une bergère/une divinité), Robert Getchell (Bacchus/un Plaisir/un Jeu/un berger), Fabien Hyon (un Plaisir/un Jeu/un vieillard/un combattant), Philippe Estèphe (Égée), Guilhem Worms (Arcas/Mars/un Plaisir/un Jeudi)
- Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
- 3 CDs Aparté : AP 325 (Distribution : [Integral])
- Durée des CDs : 61 min + 47 min + 53 min
- Note technique : (5/5)
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