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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : arias oubliées du baroque tardif

Comme l'une de ses illustres consœurs italiennes, Philippe Jaroussky explore les sentiers oubliés du répertoire baroque. Et nous offre un bouquet d'arias en première au disque. Un régal pour qui aime la découverte et surtout les performances immaculées du célèbre contre-ténor français.

Les recherches de Jaroussky l'ont conduit à exhumer quelques titres perdus de vue depuis des lustres, singulièrement des arias ''oubliées'' écrites pour la voix de castrat. Tous ces morceaux ont la particularité d'avoir été conçus sur des sujets très prisés à l'époque baroque. Et à partir de textes d'un seul et même librettiste, alors incontournable, Pietro Metastasio. Celui-ci a écrit des dizaines de trames pour ses contemporains musiciens. Et il est passionnant d'entendre le même dramma, traité par plusieurs d'entre eux, comme L'Olimpiade ou Artaserse, mais aussi Il re pastore ou La clemenza di Tito, ces deux derniers devant aussi intéresser d'autres auteurs de l'époque suivante, comme Mozart. Cette « chasse aux trésors exaltante », pour reprendre le mot du chanteur, se concentre sur la période du baroque tardif. Elle présente un florilège de morceaux tour à tour de bravoure, comme les arias dites ''di tempesta'', ou d'intense lyrisme, proche du futur style galant. En tout cas, tous d'une extrême originalité, et pour certains très travaillés dans l'accompagnement d'orchestre.

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De L'Olimpiade on entend deux airs vifs, empruntés d'une part à Andrea Bernasconi, traitant des vents impétueux des sentiments, d'autre part à Tommaso Traetta, sorte de scène de la folie dans ce cas, qui précédée d'un récitatif accompagné, se résume en un air furieux sur des trémolos de cordes et une ligne vocale sinueuse tendue. Le cas de l'Artaserse est encore plus intéressant. Il a été traité par Leonardo Vinci, dont il existe un enregistrement dans lequel Jaroussky chante le rôle-titre (Erato). Il l'est ici par Niccolò Jommelli (1749), là aussi dans une aria di tempesta, nantie de vocalises exigeant une extrême longueur de souffle. Il l'est encore par Jean-Chrétien Bach, avec une aria presque anti héroïque, écrite pour le fameux castrat Guadagni : une supplication d'un fils à son père, ménagée au son d'un accompagnement restreint de l'orchestre, où la voix est presque mise à nu. Autre trame, celle de Demofoonte, mise en musique ici par Johann Adolph Hasse, avec deux arias contrastées composées pour Carestini : l'une démonstrative, qui voit les tempos s'entrechoquer et le chant couvrir un large ambitus, du grave à l'extrême aigu ; l'autre, plus resserrée, pour exprimer le déchirement du personnage, partagé entre sentiments contradictoires. 

Le récital est l'occasion de découvrir des musiques de compositeurs négligés, mais ayant écrit sur des sujets porteurs. C'est le cas de Michelangelo Valentini et de sa Clemenza di Tito, dans un air écrit pour le castrat Caffarelli, sur le mode lent-vif-lent, dégageant une ligne de chant d'une grande douceur. De Niccolò Piccinni avec son Catone in Utica (1770) et une aria comportant une partie orchestrale virtuose. Ou encore de Giovanni Battista Ferrandini dont l'air extrait de son Siroe, re di Persia est d'une intense puissance émotionnelle par ses contrastes, la pulsation implacable du ripieno des cordes figurant « comme un battement de cœur immuable ». Mais un musicien reconnu comme Gluck s'est aussi essayé à des sujets métastasiens moins utilisés à l'époque, comme Il re pastore (1756). Quoique le jeune Mozart s'en emparera à son tour en 1775.

C'est peu dire que Philippe Jaroussky nous donne de nouveau une fastueuse leçon de chant. Le méticuleux et sans doute long travail de recherche et de préparation porte ses fruits : un festin de nuances au service d'un vrai sens tragique, par notamment la douceur des trilles dans le registre mezza voce, le legato de la ligne de chant allié à la longueur de souffle, la prouesse des vocalises haut perchées et d'étonnantes incursions dans le grave, décuplant l'expressivité. Surtout, il émane de ces interprétations une aura qui impose le respect, par le professionnalisme de l'interprète et une vraie simplicité. Comme l'a encore prouvé le récent concert donné autour de ce programme. Il trouve en Julien Chauvin et son Concert de la Loge, dans une formation d'une vingtaine de musiciens, partenaires à sa mesure. L'engagement de tous les instants, sans jamais donner dans l'excès, rejoint le souci d'authenticité dans le trait, comme la précision des attaques, le raffinement de jeu et les contrastes dynamiques, du forte presque tranchant au quadruple pianissimo d'une délicatesse envoûtante. Tout ménage un écrin de rêve à la voix soliste.

L'enregistrement, dans l'acoustique agréablement aérée de l'église du Liban à Paris, procure un équilibre quasi idéal entre voix et orchestre.
Texte de Jean-Pierre Robert      

Plus d’infos

  • ''Forgotten Arias''
  • Airs extraits de dramma per musica d'Andrea Bernasconi (L'Olimpiade), Christoph Willibald Gluck (Il re pastore), Niccolò Piccinni (Catone in Utica), Giovanni Battista Ferrandini (Siroe, re di Persia), Tommaso Traetta (L'Olimpiade), Michelangelo Valentini (La clemenza di Tito), Johann Adolph Hasse (Demofoonte), Johann Christian Bach (Artaserse), Niccolò Jommelli (Artaserse)
  • Philippe Jaroussky, contre-ténor
  • Le Concert de la Loge, dir. Julien Chauvin
  • 1 CD Erato : 5054197633881 (Distribution : Warner Classics)
  • Durée du CD : 76 min 55 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5)

CD disponible sur Amazon

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