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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Femmes compositrices - La musique vocale de Rita Strohl

Cette nouvelle parution du label La Boîte à Pépites, destiné à promouvoir l'association ''Elles Women composers'' et à faire découvrir le répertoire des compositrices, porte l'attention sur Rita Strohl. Celle-ci se voit honorée par l'intégrale de sa musique vocale qui réserve bien des surprises.

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Compositrice atypique, personnalité controversée, Rita Strohl (1865-1941) a connu l'oubli, même de son vivant, la conduisant à se retirer de la vie publique et à se réfugier dans des compositions de plus en plus étranges. Parmi une centaine d’œuvres, la musique vocale occupe une place importante, rejoignant une tradition bien française. Elle a été composée entre 1894 et 1901 et est constituée de plusieurs cycles, soit conçus comme tels, soit réunissant des mélodies d'abord publiées séparément. Partout y rencontre-t-on une fine mélodiste, maîtrisant une vocalité épurée assortie de quelques libertés harmoniques. Quant à la partie de piano, elle est extrêmement élaborée, ce qui n'étonne pas de la part d'une autrice également excellente pianiste. Le piano occupe souvent un rôle d'élément unificateur du morceau chanté ou est le vecteur des motifs récurrents. 

Le cycle le plus remarquable est nul doute Bilitis, Poème en douze chants (1898) écrit à partir des ''Chansons de Bilitis'' de Pierre Louÿs, ayant aussi inspiré Claude Debussy au même moment. Douze pièces sont retenues par Rita Strohl, contre trois chez ce dernier. Comme déjà remarqué lors d'une précédente parution, l'inventivité du langage de Strohl épouse la poésie allusive de Louÿs, son caractère sensuel, voire érotique. Le climat y est pastoral et lumineux et le ton tour à tour enjoué, mystérieux, sensuel, non sans une forme de dramatisation à l'occasion. La voix évolue dans une écriture modulante d'un parfait naturel. Elle est soutenue par une partie de piano arpégée et fluide, parfois audacieuse, dépassant le pur accompagnement pour se révéler l'alter ego du chant. La présente interprétation due à la soprano Elsa Dreisig ménage l'intimisme de ces pièces et leur facture innovante, sans toutefois atteindre la plénitude qu'y met sa consœur Marianne Croux dans l'enregistrement précité. La diction offre une moindre clarté et l'on sent la chanteuse moins à l'aise dans ce répertoire encore peu fréquenté. Mais le piano de Romain Louveau maîtrise parfaitement le poids du récit et est paré de fines touches.

Tout le contraire de Bilitis, les Six Poésies de Baudelaire (1894) déploient un climat austère, ténébreux même. Le chant est tendu, proche de la déclamation parlée, et la partie pianistique souvent grandiose. Ainsi, après une première mélodie sombre et emplie de mystère (''Un fantôme''), ''Spleen'', de son grand crescendo désespéré, touche à l'effrayant, le piano évoquant de terribles sonneries de cloches, ce que l'on retrouve avec ''Remords posthumes''. ''Obsession'' surfe sur la démesure, la voix proche du cri, et ''Madrigal triste'' prend le ton d'une ballade désespérée. Stéphane Degout, fin diseur, les pare d'une déclamation tendue à l'extrême, jusqu'à des aigus percutants. Et Louveau lui prête une réplique d'une tout aussi tangible puissance. Les Dix Poésies mises en musique (1901) le sont sur des textes aussi bien de Baudelaire (comme ''Le Revenant'' ou ''La Tristesse de la lune'') et de Verlaine (''Chanson d'automne'') que de Georges Rodenbach ou Achille Segard, figures alors connues. Si l’œuvre est plus composite, ne serait-ce que pour épouser le style de chacun des écrivains, la prosodie de la compositrice reste toujours aussi parfaite, comme admirable le souci d'une belle déclamation, sans recherche de l'effet. Quant au piano, il est là encore très ouvragé et se permet ici aussi des libertés, faisant appel au chromatisme ou usant de modes rythmiques contrastés, par exemple vibrionnant dans ''Le moulin à vent'' ou au contraire berçant pour ''Barcarolle''. Florian Caroubi le défend avec panache. Comme la mezzo-soprano Adèle Charvet, de son timbre chaleureux et moiré, jusque dans de glorieuses envolées dans l'aigu. 

La production de Strohl contient encore une œuvre très originale : Quand la flûte de Pan (1901), sur des textes de Sophie de Courpon, est un mélodrame en six mouvements enchaînés pour récitante et piano. Ce dernier, généreux, déploie un style impressionniste, presque debussyste, magistralement venu sous les doigts de Célia Oneto Bensaid. Quant au fait de confier la partie textuelle à une récitante, ici Olivia Dalric, Rita Strohl semble pousser jusqu'au bout l'idée de traitement de la voix chantée proche de la déclamation parlée, comme déjà initiée dans les Six mélodies de Baudelaire.         

Les différentes prises de son, à la Maison de l'Orchestre National d'Île-de-France, possèdent un grand relief, les voix bien centrées, saisies très proches, mais dans un équilibre adéquat avec le piano.
Texte de Jean-Pierre Robert 

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Plus d’infos

  • ''Une compositrice de la démesure, Vol 1 Musique vocale''
  • Rita Strohl : Bilitis, Poème en douze chants, extr. des « Chansons de Bilitis » de Pierre Louÿs. Quand la flûte de Pan, poésie de Sophie de Courpon. Six Poésies de Baudelaire mises en musique. Six Poésies mises en musique. Carmen
  • Elsa Dreisig (soprano), Adèle Charvet (mezzo-soprano), Stéphane Degout (baryton)
  • Olivia Dalric (récitante)
  • Célia Oneto Bensaid, Florian Caroubi, Romain Louveau (piano)
  • 2 CDs La Boîte à Pépites : BAP 04.05 (Distribution :[PIAS]) 
  • Durée des CDs : 50 min 55 s + 52 min 37 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5)

CD disponible sur Amazon



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